Un autre 18 juin…

Les commémorations du 18 juin 1940 font désormais oublier un autre 18 juin dont les conséquences marquèrent profondément l’Europe du début du 19° siècle. En effet ; c’est le 18 juin 1815 qu’eut lieu la bataille de Waterloo qui clôt le cycle des guerres révolutionnaires et impériales.

Dès le 19° siècle, le déroulement de celle-ci inspira de nombreux auteurs romantiques. Elle fit l’objet de travaux d’historiens de toutes nationalités dès cette époque. Des écrits dans lesquels transpirent souvent les sentiments des auteurs à l’égard de l’empereur des français tant le déroulement de cette ultime campagne contribua au mythe impérial.

L’ouvrage de Pascal Cyr nous présente une étude qui replace la campagne de l’Armée du nord dans son contexte politique, mais également, et c’est là son originalité, économico-financier. L’ouvrage présente d’abord l’état des rapports de force en Europe au moment du Congrès de Vienne avant d’aborder l’état des forces politiques en France. Il va ensuite présenter les conditions financières du réarmement français avant de clore par l’étude de la campagne militaire proprement dite.
De plus, à la différence de nombreux auteurs qui se contentent de reprendre des extraits de mémoires ou de synthétiser les travaux de leurs prédécesseurs, Pascal Cyr s’est plongé dans les cartons des archives de Vincennes.

Le Congrès de Vienne : l’Europe contre la France ?

Le Congrès de Vienne est ici replacé dans le contexte des bouleversements territoriaux successifs et des diverses négociations qui ont émaillés la période révolutionnaire et impériale. Le traité de Paris vit les coalisés obtenir de Talleyrand le retour aux frontières d’avant 1791 et donc l’abandon des « limites naturelles »du territoire français. Ceci obtenu, le Congrès de Vienne fut le théâtre d’âpres négociations et de rivalités entre les quatre grands vainqueurs (Angleterre, Autriche, Prusse, Russie). Prussiens et Russes réclament en particulier de nombreux territoires. Cela inquiète Autrichiens et Anglais et entraîne un rapprochement entre ceux-ci et la France. Les divisions entre ses anciens vainqueurs furent cependant un élément d’espoir pour Napoléon qui espérait que cela empêche la formation d’une nouvelle coalition à son retour.

Une France ralliée à l’Empereur ?

La rapidité du « vol de l’aigle » de Golfe Juan à Paris et de l’effondrement du régime de Louis XVIII pourraient laisser penser que le pays adhère massivement au retour de l’Empereur. La réalité doit être plus nuancée, c’est avant tout les excès des ultras qui jettent la population dans les bras de Napoléon. Qu’il s’agisse du sort des anciens militaires, de celui des biens nationaux, de l’état de l’économie, nombreux sont les sujets d’inquiétude et de mécontentement qui amènent le départ précipité du roi.

Une fois au pouvoir, l’empereur doit faire face à de nombreuses réticences et à des oppositions plus ou moins cachées. Celles-ci se font plus réelles, à défaut d’être toujours visibles, lorsqu’il apparaît évident que son retour signifie la reprise des hostilités.

Si les royalistes, et en particulier les Vendéens constituent la face émergée de cette opposition, ils ne sont pas les seuls. Dans les villes portuaires où l’on a souffert du blocus continental on craint le retour de la guerre. A tous les niveaux de l’administration, dans les municipalités, et même au gouvernement en la personne de l’incontournable Fouché, l’auteur montre l’existence de forces qui souhaitent l’échec de Napoléon. Certaines agissent (royalistes), d’autre font preuve d’une grande passivité en espérant des jours meilleurs.

Napoléon se voit donc contraint de faire à nouveau appel à ses anciens ministres. Mais ceux-ci ont perdu leur enthousiasme. L’arrivée d’un Carnot émoussé à l’intérieur ne permet pas une reprise en main efficace de l’administration. L’empereur doit donc composer avec les libéraux.

L’Acte additionnel que doit concéder Napoléon est un compromis qui ne lui permet pas de ressusciter l’adhésion des débuts de l’empire. Il est davantage révélateur de sa faiblesse face aux libéraux et de son refus de s’appuyer sur les couches les plus modestes de la société.
Comme le montre pascal Cyr, pour emporter la décision, l’Empire a besoin de renouer rapidement avec les victoires militaires et la gloire.

Des finances à renflouer et une armée à équiper.

La reconstitution d’une armée en grande partie licenciée par Louis XVIII se révèle difficile. Il faut rappeler sous les drapeaux de nombreux hommes mais sans avoir l’air de rétablir la conscription si impopulaire. Cela se révèle cependant relativement aisé, les troupes ne manquent pas. A l’exception de certains maréchaux et généraux, les officiers et sous officiers regagnent les casernes qui représentent leur gagne-pain.

La question de leur équipement est plus problématique. L’auteur met en évidence le coût énorme que représente l’achat des armes, vêtements, chaussures, chevaux…. C’est largement au dessus des possibilités budgétaires. L’auteur met en perspective les besoins de la campagne de 1815 et ceux de celle de 1805, l’augmentation des coûts est importante. Or le territoire français n’est plus celui de l’Empire triomphant. Il va donc falloir recourir à l’emprunt. Car l’augmentation des impôts est, compte-tenu de la situation politique et économique, impossible.

Or les milieux d’affaires ont vu la Restauration effacer les dettes de Napoléon, ils ne croient pas en la solidité du régime. Celui-ci doit donc payer comptant tous les achats ; Et si l’Armée du Nord est convenablement fournie, il n’y a pas de quoi constituer des réserves pour les troupes qui arrivent dans les dépôts, on ne peut équiper ni les villes fortifiées ni les gardes nationaux. Là aussi, seule une victoire rapide permettrait de restaurer la confiance et de trouver l’argent nécessaire.

L’échec d’une manœuvre en position centrale.

Face à des ennemis dispersés et supérieurs en nombre, la rapidité d’action est indispensable au succès. Les armées russes et autrichiennes qui sont de loin les plus nombreuses, n’ont pas encore achevé leur concentration. Les plus proches sont les armées britanniques (largement composée de belgo-hollandais et d’allemands) et prussienne. La force de chacune d’elle étant équivalente à celle de l’armée du Nord, mais la qualité des troupes bien inférieure à celle des français. Le plan napoléonien est simple : les défaire avant qu’elles ne se réunissent. L’empereur espère qu’une défaite de l’armée britannique amène un changement politique au Royaume-Uni et le retrait de celui-ci. Ces deux armés battues, il disposerait de temps pour développer l’armée, de la confiance pour obtenir les crédits nécessaires à l’équiper et de la confiance nécessaire pour renforcer ses forces face aux austro-russes.

L’étude de la campagne et de la bataille de Waterloo proprement dite occupe un bon tiers de l’ouvrage. Le récit est précis et critique. L’auteur essaye de faire la part de chacun dans la faillite de celle-ci, un point sensible qui fait toujours l’objet de discussions, en particulier lorsqu’on s’attaque aux capacités militaire de Bonaparte. Pascal Cyr étudie les principales fautes reprochées à l’empereur ou à ses généraux (les fraises de Grouchy, les hésitations ou les charges de Ney…), à partir des mémoires des uns et des autres, mais également en revenant aux documents de la correspondance officielle de l’état-major, et à la connaissance réelle de la topographie des lieux par les acteurs.

Conclusion

Un ouvrage complet qui se lit facilement et permet d’appréhender les grandes lignes de la campagne de 1815 et des raisons de son échec en un seul volume. La bibliographie est riche, récente et s’accompagne d’une intéressante mise au point historiographique.

Un bémol cependant, l’absence de cartes dignes de ce nom,. Impossible de suivre les enjeux évoqués lors du Congrès de Vienne ou la situation stratégique à l’entrée en campagne. Seule la campagne et la bataille font l’objet de cartes, mais illisibles ! Pourquoi être allé chercher celles peu lisibles de l’ouvrage de Thiry de 1943 alors qu’il a été fait bien mieux depuis.

François Trébosc© Clionautes