C’est à une histoire continentale des Afriques des origines au XVIIe siècle qu’invite Jean-Michel Deveau. Il retrace l’histoire des entités politiques, leur organisation, leur économie avant l’arrivée des Européens avant de se questionner sur les modifications apportées par cette rencontre entre deux mondes. Il montre, sans contestation possible, que les Africains ont une histoire longue et brillante.

Jean-Michel Deveau rappelle, en introduction, les récentes données de l’archéologie et de la paléontologie qui font de l’Afrique : le berceau de l’humanité, des Australopithèques au paléolithique puis au néolithique. Il situe quelques éléments de présence, de déplacements des populations qui restent à étudier. Il décrit brièvement les peintures rupestres du Sahara et cite brièvement les sites mégalithiques et les débuts de la métallurgie.

Après un tour d’horizon continental il convient de faire une étude par sous ensembles régionaux.

La Sénégambie

Longtemps tournés vers l’intérieur des terres par un océan rendu peu accessible par le phénomène de la barre, c’est le lieu d’un contact assez ancien avec les Européens. Cette périphérie fut sous la domination lointaine des hommes du Niger. Après une description de la géographie physique de la région, entre fleuve Sénégal au Nord et rivières du Sud : Gambie, Casamance, l’auteur présente trois entités politiques.

Les royaumes de Tekrur et Jolof des origines au XVe siècle

Dans la moyenne vallée du Sénégal, la région de Bakel, divers peuples coexistent dans un ensemble culturel où le wolof est la langue vernaculaire, en partie islamisés au XIIe siècle. La dépendance du Mali fait entrer la région dans les circuits commerciaux transsahariens. L’auteur décrit le royaume de Jolof et son histoire jusqu’au XVe siècle : un Etat centralisé, une société hiérarchisée : des hommes libres, les geer ; les artisans (tisserands, forgerons, griots…), les neeno ; les esclaves de case, les jaam. Un système qu’on peut comparer aux castes indiennes.

Le pouvoir appartient à une lignée royale ; les chefs locaux, les laman et les guerriers, les ceddo entourent et conseillent le roi. La description des villages et de la vie quotidienne, de l’économie rurale et de la vie religieuse s’appuie sur les écrits d’Alvise Ca’ da Mosto. L’animisme est teinté d’islam à partir du XIIe siècle avec le règne de Warjabi.

Le royaume de Gabou

Des populations mandingues ont migré de l’Est vers le Siné puis vers le Sud. Après la chute du royaume de Jolof, vaincu par Tiramagaham, un général de Soundjata, ce dernier lui octroi le royaume de Gabou dans les vallées de la Gambie et de la Casamance aux dépens des populations Baïnouk et Diola. De ce royaume on connaît le cérémoniel su sacre et les tatas, des forteresses de terre destinées à protéger le royaume des révoltes comme des ennemis de l’extérieur, royaume de Jolof au nord, Peuls du Fouta-Djalon au sud. L’auteur décrit le système de provinces assez autonomes sous l’autorité d’un gouverneur. A partir du XIVe siècle les marchands mandingues islamisés fondent leurs propres villages alors que l’animisme régulait la vie quotidienne.

Les Peuls et l’empire du Fouta-Djalon

Eleveurs nomades, quand leur communauté devenait majoritaire, ils imposaient leur pouvoir grâce à une aristocratie islamisée dite « du livre et de l’épée ». La Sénégambie connaît deux épisodes migratoires : vers 1460 des Peuls venus du Macina et au XVIe siècle. C’est à ce moment là que se constitue un premier empire s’étendant du Fouta-Djalon au Fouta-Toro sous l’autorité de Koly Tenguella. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que se stabilise cet empire avec Ibrahima Sori, fondé sur une aristocratie guerrière, un grand nombre d’esclaves et de marabout. L’islamisation en profondeur se fit dans les écoles coraniques où l’enseignement se faisait en langue fulbe. Le souverain, l’almamy changeait tous les deux ans pour éviter les abus de pouvoir.

Les royaumes du Niger

Les nombreux sites archéologiques attestent de la longue histoire de la boucle du Niger. Dès le IIIe siècle avt J-C, une cité, sur le site de l’actuelle Djenné, est un lieu d’échanges entre agriculteurs, pasteurs et forgerons.

L’empire du Ghana ou Wagadou (IV-XIe siècle)

Prospère grâce au commerce du sel et de l’or, ce premier empire, dominé par les Sarakolé, est mal connu. L’auteur décrit l’organisation de cette théocratie animiste : le palais royal, la capitale (30 000 h. au XIIe siècle), la caste des guerriers : les souba, des fantassins et les maga-si, des cavaliers, une civilisation du fer. Les paysans ou pasteurs étaient esclaves du roi selon les écrits d’Al Bakri. Cet empire est au contact de l’islam par les marchands qui contribuent à la prospérité de cet espace d’échanges : or et esclaves contre sel et tissus. L’empire s’effondre en 1077 avec d’une part la conquête almoravide mais aussi la sécheresse qui l’affaiblit face à un djihad fondamentaliste venu de Mauritanie.

Une tentative de réunion sous une même autorité des pasteurs du nord et les agriculteurs du sud se fait au temps du royaume du Sosso vers 1200, un temps victorieux grâce à l’habileté de ses forgerons. Mais il cède devant la naissance à l’Est d’un nouvel empire.

L’empire du mali ou le royaume mandingue

Son histoire est connue grâce aux griots et aux chroniqueurs arabes comme al Bakri. Paris des mines d’or du Bouré, vers Bamako, les Mandingues déjà islamisés développent leur pouvoir face au royaume du Sosso avec Soundjata, célébré par les griots. Il mit sur pied un système de vassalité pour contrôler une vaste zone, grâce à un syncrétisme religieux entre islam et animisme. C’est la première période d’unification du Soudan occidental dont l’auteur décrit l’organisation politico-dynastique. Un des plus connus de ses successeurs est Mansa Moussa dont on connaît le pèlerinage légendaire à La Mecque, l’apogée d’un vaste empire. La chute de cet empire a été imputé à la fois à une redirection des caravanes vers l’ouest et les comptoirs portugais et à la médiocrité des souverains.

Le Songhay (XIIe – XVIIe siècle)

L’auteur revient sur les récits fondateurs du royaume : histoire de migrations sur plusieurs générations, de l’islamisation vers l’an 1000 et de la fixation de la capitale à Gao qui devient une place importante des échanges avec l’Égypte. Un temps sous l’autorité du Mali, Sonni Ali engage une politique de conquête à la fin du XVe siècle. Ses successeurs confirment leur adhésion à l’islam et poursuivent la lutte contre les incursions des Touaregs au Nord. L’organisation des pouvoirs s’organise autour du roi, l’askia. En matière économique le commerce des esclaves joue un rôle certain.

Au XVIe siècle le Maroc qui cherche une place dans une économie « mondialisée » lance une offensive risquée sur Gao (12 avril 1591) sans jamais parvenir à contrôler vraiment le pays et notamment les mines d’or. Le Songhay retrouve une certaine indépendance au début du XVIIe siècle, teintée d’anarchie, de razzias des Touaregs ou des Peuls du Macina.

L’auteur dresse un tableau des groupes ethniques présents au Soudan occidental, leurs cultures, religions et systèmes de pensée.

Tombouctou et Djenné

La description de Tombouctou montre la part de sacré attaché à la cité, la description qu’en firent ceux qui purent y pénétrer au XIXe siècle : Caillé ou Léon l’Africain. L’auteur évoque les origines de la ville une position longtemps secondaire avant son développement du XVe au XIXe siècle. Tombouctou est une métropole économique avec son port fluvial Cabra, un commerce local et international où or et esclaves tiennent une grande place. La ville est au centre d’un vaste espace économique de la Méditerranée au Congo ?

Tombouctou est aussi une métropole intellectuelle et religieuse, longtemps fermée à toute pénétration étrangère. Les premiers Européens qui y entrent décrivent une cité de 40 à 50 000 habitants vivant du commerce. Ces récits permettent la description des maisons, du mode de vie, du gouvernement et du sort des esclaves.

L’auteur aborde le voyage de Tombouctou à Djénné, les grandes pirogues : 5m de long, 20 hommes d’équipages qui convoient des marchandises dont les esclaves.

Le site de Djenné a été occupé dès le 3e siècle a. J-C, d’après les fouilles de 1977. On y consommait le mil, le fonio et le riz. René Caillé a laissé des descriptions précises des maisons, de la vie de famille, des habitants et de l’économie.

C’est Félix Dubois qui a montré l’originalité et la beauté de l’architecture de terre

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Bozo, Peuls, Mandingues et Dogon

Le delta nigérien fut un lieu de migration et de confrontation de différentes ethnies.

Les Bozo vivent du fleuve, ils sont pêcheurs alors que les Somono sont bateliers.

Le groupe le plus nombreux ce sont les éleveurs Peuls, appelés aussi Fulbe, Toucouleur…, migrants par excellence dont l’auteur décrit les principales caractéristiques.

Les Mandingues, connus sous d’autres noms : Bambara, Malinké… forment un groupe divisé entre une aristocratie commerçante islamisée et une paysannerie animiste dont la religion réglait la vie quotidienne selon un ordre cosmique.

Enfin les Dogon, repliés que le plateau de Bandiagara depuis le XIV e siècle. Ils furent les plus étudiés par les ethnologues. On connaît assez bien leur système de croyance et leur mythologie, leur organisation sociale et leur art.

La Côte de l’Or et son arrière-pays

La côte de l’actuel Ghana fut nommée, par les Portugais, côte de l’or, extrait des mines de l’actuel Burkina Faso. Lors du déclin du Mali, des royaumes contrôlèrent la côte et un riche arrière-pays : royaume de Bouna, royaume de Kong et royaume Akan. L’auteur en retrace à grands traits, l’histoire : développement de la culture du coton dans le royaume de Bouna, richesse agricole du royaume de Kong dans les vallées de la Bandama et de la Comoé entre savane et forêt dense, Il développe la période des Traoré (XVe – XVIIIe siècle) suivie de la période musulmane des Watara : une société largement esclavagiste.

C’est au XVIIIe siècle que le royaume de Kong est envahi par les Ashanti. L’auteur décrit la formation des Etats akan et de la fédération ashanti. Les Akan étaient installés sur la côte depuis le paléolithique et confrontés à des migrations des guerriers mandé venus du Nord qui mirent sur pied des Etats militaires forts sur une’ structure clanique. Le plus important royaume ashanti connu son expansion économique au XVIIIe siècle en contrôlant les routes commerciales entre le golfe de Guinée et les rives de la Méditerranée. L’auteur décrit brièvement les conséquences de l’arrivée des Européens sur la côte et l’importance des esclaves à la fois comme moyens de transport et comme marchandise.

La Côte des Esclaves et l’embouchure du Niger

Du Togo à l’embouchure du fleuve Niger, l’espace est dominé par les royaumes de l’Oyo et du Dahomey, dans la mouvance yoruba. L’auteur retrace l’origine du peuple yoruba, la lutte entre le royaume d’Ifé et les Igbo. L’organisation socio-politique du royaume d’Oyo et la religion sont décrites mais c’est surtout le royaume de Dahomey qui retient l’attention : pouvoir royal, politique étrangère, religion du vaudou.

Le royaume de Kongo avant l’arrivée des Portugais

Ce vaste espace s’étend de part et d’autre du fleuve Congo. On en connaît les caractéristiques physiques grâce aux textes portugais, aujourd’hui archivés à la bibliothèque vaticane. Le pouvoir royal s’appuie sur la légende qui justifie la place des étrangers, migrants qui ont apporté l’agriculture et la métallurgie. Le pouvoir royal est associé à des objets symboliques comme le trône. Le système clanique définit les interdits matrimoniaux.

Bien que ce soit un système matrilinéaire la répartition des tâches est très inégalitaires aux dépens des femmes et des esclaves (prisonniers de guerre ou condamnés en justice). Comme le montrent les exemples des Tio et des Pygmées. La vie économique se base sur un équilibre production/besoins sans ide de progrès. L’artisanat est une activité noble. L’auteur décrit les comportements sociaux, les villes et villages. Au XVe siècle, des conflits nombreux justifient une armée d’environ 20 000 hommes. Le système religieux a permis la conversion rapide au monothéisme.

L’arrivée des Européens

Ce chapitre est consacré au rôle de premier plan des Portugais et aux motivations économiques. Henri le Navigateur inscrit son action dans l’idéal des croisades. La chronologie proposée commence en 1496. On peut lire les évolutions de la pénétration portugaise de la pensée magique à la connaissance scientifique et la découverte de l’altérité.

Les Portugais du Congo en en Angola

La présence portugaise a ici toute son importance avec les débuts de la christianisation , conversion de roi Nzinga Nkuwu, devenu Jean 1er (João I do Congo) et le rôle joué par l’Église vis-à-vis d’Alfonso 1er Nzinga Mvemba. L’auteur tente un bilan de l’action missionnaire, des baptêmes mais pas de christianisation en profondeur, et en décrit les conséquences politiques : des rapports tantôt amicaux, subordonnés tantôt conflictuels (exécutions de Portugais en 1575-1580).

De la même façon l’action des Portugais est présentée en Angola, véritable colonie de peuplement non sans résistances : révolte de la reine Nzingha

Dans les deux pays une activité est en plein développement : la traite des esclaves.

Esclaves et traites

Refusant de trancher entre la responsabilité des Européens et celle des Africains, Jean-Michel Deveau préfère pointer les progrès de la recherche pour la compréhension des mécanismes sans occulter le « martyr des traites transsahariennes ou transathantiques » (p. 289). Il rappelle les difficultés à définir l’esclave, produit d’un processus d’asservissement et pose le cadre des traites intra-africaines, arabes, atlantique en mettant un point focus sur le port d’Ouidah. Pas d’oubli des résistances qui commencent à sortir du silence, des études à poursuivre.

Un livre riche qui conduit le lecteur des temps anciens à l’aube du XIXe siècle et s’inscrit dans un mouvement éditorial. Le lecteur désireux de poursuivre la découverte pourra consulter : L’Afrique ancienne de l’Acacus au Zimbabwe – 20 000 avant notre ère – XVIIe sièclePublié chez Belin en 2018, sous la direction de François-Xavier Fauvelle, Atlas historique de l’Afrique – De la préhistoire à nos joursPublié aux éditions Autrement en 2019 sous la direction de François-Xavier Fauvelle et Isabelle Surun ou L’Afrique des routesPublié en Coédition Actes-Sud – Musée du Quai Branly Jacques Chirac en 2017, sous la direction de Catherine Coquery-Vidrovitch.

On ne peut que regretter l’absence de cartes.