Les publications de ciné-archives comportent à la fois un ou plusieurs DVD (un seul ici) et un livret d’une bonne centaine de pages abondamment illustrées. Les différents articles, résultat du travail de plusieurs historiens, permettent de mieux comprendre le journal L’Humanité, qui fête son cinquantenaire en 1954, mais aussi la fête du même nom. C’est donc des aspects particuliers de l’activité du parti communiste mais aussi de l’histoire sociale française. Mais il s’agit surtout de la façade que le parti communiste cherche à donner de lui-même auprès de la population. Le film d’Henri Aisner (1954), qui inspire le titre du coffret, propose ainsi un aperçu du Parti très proche de ce que l’on en voit dans La Vie est à nous. Le contexte est tout autre. Si le film de Jean Renoir est une commande qui prend place dans la campagne des élections législatives de 1936, on est alors un an après la mort de Staline, au moment où le parti communiste s’implique (avec les gaullistes comme alliés «objectifs», comme on disait alors) dans le débat contre le projet de CED (Communauté européenne de défense). On est surtout à l’apogée du PCF, qui domine toujours par son poids électoral, mais auquel le pouvoir se dérobe depuis son éviction du gouvernement en 1947.
Comme dans La Vie est à nous, Marcel Cachin est l’un des personnages centraux du film. Directeur du journal, il en raconte l’histoire, mais au travers de militants qui racontent quels ont été leurs débuts. De l’ouvrier soumis aux chronométreurs qui symbolise la période du Front populaire, à la mobilisation de tout un village contre le projet de construction d’une base de l’OTAN (dans lequel intervient le général SS qui a ordonné l’exécution du fils de la propriétaire qui résiste aux pressions), en passant par le résistant du Havre qui distribue L’Humanité devenue clandestine, on comprend à quel point l’organe du parti communiste est au cœur de son activité, comme l’analyse bien l’article de Pauline Gallinari. On comprend aussi son importance dans la prise de conscience des nouveaux venus, qu’ils soient ouvriers ou paysans.
Raconter l’histoire de L’Huma, c’est aussi donner l’occasion à un parti de masse de proposer des modèles à quoi s’identifier. On a ainsi des camarades issus du peuple, d’un enthousiasme très communicatif, puisqu’ils arrivent à rallier des sceptiques, eux-mêmes issus du même milieu. Entre populos, on se comprend, et le bon sens empreigne les idées communistes qui sont colportées : le sentiment de solidarité domine largement.
Dire ce qu’a été L’Humanité, c’est donc aussi raconter l’histoire du Parti. C’est pourquoi, comme dans La Vie est à nous, on a affaire à un film fédérateur. Les composantes du peuple français, tel que le PCF veut le faire percevoir, sont ainsi représentées, comme on l’a dit, et on se plaît à montrer des figures du Parti très proches de ce peuple : Cachin, bien sûr, mais aussi Henri Martin, et d’autres. Et tous se retrouvent à l’occasion de la Fête de l’Huma, qui arrive en point d’orgue de cet essai fédérateur, avec la valse composée par Jean Wiener. Sur la Fête elle-même, on lira avec beaucoup d’intérêt les articles du livret, et en particulier celui de Julian Mischi, « La Presse et la fête. Au cœur du communisme populaire » (p. 81).
D’autres films, plus courts, sont proposés dans le coffret. On en retrouve qui sont dans celui de la réédition de La Vie est à nous (comme le premier numéro du Magazine populaire). D’autres méritent qu’on s’y arrête, comme la publicité (beaucoup trop courte) Pif reporter (1960) : parti de passe, le PCF ne néglige pas la jeunesse ; on est au début des grandes heures de l’hebdomadaire. Mais on a aussi un extrait de 17’ du documentaire sur la soirée des résultats du second tour des législatives de 1978, suivi d’un autre qui est consacré à la Fête de L’Huma 1981. Ces deux choix sont d’autant plus importants qu’ils se situent au début du déclin du Parti, alors même que la gauche progresse et atteint le pouvoir. La transition est d’ailleurs perçue par des militants, en 1981, dont on sent bien la tension qui les animent, entre réalisation d’un objectif important (le pouvoir) et le sentiment d’être les dupes de cette histoire. On se prend à espérer un coffret similaire à celui-là sur l’évolution électorale du PC.
Cette initiative de Ciné-Archives, comme on le disait déjà à propos de la réédition de La Vie est à nous, en confirme le bien-fondé. Au-delà des pesanteurs de la propagande qu’elle porte (ce qu’exige l’objectif du film), La Terre fleurira et les autres films du coffret aident à s’immiscer dans une part importante de l’histoire sociale et politique de la France du XXe siècle, et à comprendre comment un parti tel que le PCF a pu devenir un parti de masse capable de rassembler pendant un temps relativement long un quart de l’électorat.
Frédéric Stévenot, pour les Clionautes