Les sciences ont besoin de faire un point régulier sur leur état de santé, c’est un fait : posée par Béatrice Mabilon-Bonfils et Christine Delory-Momberger, professeures des universités en sciences de l’éducation, la question de l’utilité des sciences de l’éducation trouve ici de multiples réponses dans cet ouvrage structuré en trois parties de 4 à 5 chapitres chacune rassemblant les contributions de nombreux spécialistes1.

Souvent critiquées pour leur caractère trop théorique et peu efficient, mises en doute récemment par les neurosciences, les sciences de l’éducation offrent pourtant, depuis maintenant 50 ans, de nombreux champs d’action et terrains d’application pour qui s’intéresse aux faits éducatifs.

C’est sur ce point que l’ouvrage présente sa première richesse : cerner les contours de cette discipline protéiforme qui est à la fois champ scientifique, champ de recherche, champ académique, champ de pratiques aux intersections fluctuantes ; qui est ouverte à une grande variété d’objets d’étude comme l’enseignement et l’acquisition des savoirs, les systèmes éducatifs, la socialisation et les savoirs ; qui est structurée en section CNU mais qui bénéficie de l’apport d’autres structures comme l’IFE, la DEPP ; qui n’est pas limitée, comme on le pense souvent, au monde scolaire mais axée également sur la formation professionnelle adulte.

La part de la didactique dans les sciences de l’éducation ainsi que son rapport avec la pédagogie sont analysés. Si le didacticien est redevable à l’épistémologue, il ne l’est pas exclusivement et doit concéder un peu de terrain à la pédagogie. Ce n’est pas simple dans les faits au sujet des questions d’appartenance : les didacticiens chercheraient à « s’extraire de la grande maison des sciences de l’éducation » pour reprendre la formule d’Alain Jaillet. Mais le fait est aussi que l’appartenance aux sciences de l’éducation peut laisser une certaine marge de manœuvre (théorique, méthodologique…) par rapport à d’autres disciplines de référence. La pédagogie apporte également une réponse aux problématiques actuelles de gestion de classe et d’évitement de la violence alors qu’il y a une vingtaine d’année, les questionnements des enseignants débutants étaient encore centrés sur les contenus et les apprentissages disciplinaires.

L’ouvrage insiste aussi sur la responsabilité des chercheurs en sciences de l’éducation à « jouer le jeu » de cette appartenance institutionnelle en citant, dans leurs travaux, les travaux d’auteurs précisément issus de la section 70 pour lui donner encore davantage de légitimité mais également à investir le terrain de l’articulation des recherches en éducation (des neurosciences à la sociologie) pour justement mettre en lumière la part des sciences de l’éducation dans cet ensemble.

Tout cela dans un contexte où les commanditaires des recherches veulent des résultats concrets et immédiats : plusieurs des chapitres évoquent la pression instrumentalisée, l’utilitarisme, les « bonnes pratiques », « l’évaluationnite » chiffrée…autant de dérives pouvant nuire à l’image des sciences de l’éducation, à la façon dont les recherches sont menées et à des décisions politiques hasardeuses. Mais au-delà de ces tendances récentes, il apparaît urgent de (re)connecter le champ d’étude avec la « mission professionnelle » de former des enseignants. C’est ce qu’évoque en conclusion, avec un regard distancié outre Atlantique, Claude Lessard, en se demandant « s’il est possible de tenir un projet de connaissance pluridisciplinaire sans le principe intégrateur de la profession (comme c’est le cas en médecine, en génie ou en gestion) ? ».

Quand à la géographie, elle n’est pas spécialement prise en exemple dans le cadre des didactiques disciplinaires : on lira que, dans le cadre des thématiques de recherche en émergence dans les sciences de l’éducation, les « territoires en éducation » forment « un champ de recherche à part entière avec communauté associée » (p 180). Si l’ouvrage offre trois encarts sur des disciplines contributives (histoire, philosophie, économie de l’éducation), peut-on alors imaginer, lors d’une réédition ultérieure, l’arrivée d’une « approche géographique de l’éducation » dans un ouvrage de référence comme celui-ci ?