A l’heure où chacun s’apprête à s’attabler pour goûter des mets précieux en famille ou entre amis, la GéoGraphie consacre le premier numéro de l’année 2010 à la question de la table. « Bonne bouffe » mais aussi nourriture mondialisée trouvent leur place dans ce volume. Sylvie Sanchez, dans son ouvrage Pizza connexion, 2007 avait déjà montré que la diffusion d’un plat aussi anodin que la pizza a une riche histoire qui s’est jouée sur plusieurs continents. La confrontation des deux concepts (gastronomie et mondialisation) est la clé de lecture du sujet. On ne peut comprendre la géographie d’un aliment ou d’une boisson sans faire le lien avec l’accroissement des échanges à l’échelle de la planète. Ce numéro de la GéoGraphie rend bien compte de cette problématique.

La mondialisation ne nie pas les territoires pour autant. C’est ce que visent à montrer Bernard Bezès (responsable de la cartothèque IGN) et Brice Gruet (Paris XII – Val de Marne) en juxtaposant des cartes au 1/25 000° et des photographies aériennes de lieux gastronomiques emblématiques : Rochefort sur Soulzon, les Prés salés du Mont Saint-Michel, Cavaillon, Hunawirhr (Alsace) ou bien encore Guérande. Car manger, c’est consommer un paysage. La géographie française peut s’enorgueillir d’avoir déjà considérablement déblayé le terrain dans ce domaine. Ce numéro offre un condensé de la recherche dans ce domaine. Jean-Robert Pitte ouvre le dossier et pose la question de savoir si le repas gastronomique, qu’il tente de faire inscrire sur la liste représentative du patrimoine culturel, tient une place essentielle dans notre identité. Il milite pour la promotion d’un patrimoine vivant et dénonce les musées où sont exposés de manière ennuyeuse des objets hors de leur contexte. C’est au titre du patrimoine vécu que la « bonne bouffe » doit être reconnue par l’UNESCO. C’est un héritage en perpétuelle évolution, au gré des influences et c’est ce qui fait toute sa valeur. Car au-delà de ce qu’il y a dans notre assiette, la gastronomie inclut « toutes les filières de production tournées vers la qualité et relevant de l’agriculture, de l’élevage, de la chasse et de la pêche. S’y ajoutent les techniques de transformations, de conservation, de mise en œuvre culinaire, les métiers d’art liés à la table, les manières de consommer, d’en parler, d’écrire à leur sujet, les pratiques sociales, les rituels et les fêtes qui mettent en scène. » Ce classement vise à tirer la sonnette d’alarme face à l’uniformisation de la nourriture dont la France est victime dans le cadre de la mondialisation.

Il faut pour éviter cela défendre les terroirs, au nom de la géographie. Ce combat se fait d’autant plus urgent, avec la mondialisation du vin en cours par le biais de la diffusion des cépages, comme en rendait compte Jean-Robert Pitte dans un article publié dans Le Monde le 28 septembre 2009 (Le vin du géographe). Cette analyse est reprise par Raphaël Schirmer (Bordeaux III). La mondialisation fait du vin « un produit naturel alors même que toute l’Histoire de l’Europe fut d’en faire un produit culturel ». C’est la conséquence de la démocratisation de ce produit auprès des classes moyennes internationales.

La démocratisation alimentaire est toutefois peu représentée dans ce dossier. Une grande part est faite aux produits de luxe : Champagne, caviar même si Françoise Ardillier – Carras écrit qu’après la Révolution bolchévique « On mange du caviar à pleine cuiller dans les familles soviétiques » ! La consommation de produits plus simples est traitée par le biais de l’article consacré à Yannick Alléno (le chef triplement étoilé) qui a entrepris de présenter de nouvelles recettes sous le titre choc de « terroir parisien » à partir de l’utilisation de produits franciliens tel que l’asperge d’Argenteuil. A contre-rebours de la mondialisation alimentaire, le pari fou de Stéphane Linou, qui a décidé de ne consommer que des aliments produits localement, est l’objet d’une interview qui aborde la question de la fourniture alimentaire dans le cadre des AMAP, encore très minoritaires. La parution, au sein d’un même numéro, de cet article et d’un autre présent dans la seconde partie intitulée « Regards de géographes » (Emmanuel Jaurand A la plage, à contre-saison) est peut être fortuite ou pas ! Que penser des Sun Hunters (habitants des pays riches passant les fêtes de fin d’année sous d’autres latitudes) qui, peut être, le reste de l’année, s’approvisionnent dans des AMAP ? Le tout sans se poser la question du coût environnemental de leurs mobilités hivernales !

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