L’historien guadeloupéen Oruno D. Lara, chercheur au Centre de recherches Caraïbes-Amériques (CERCAM), est relativement bien connu des lecteurs intéressés par l’histoire des Caraïbes, et de l’esclavagisme en particulier. Il a publié de nombreuses études, parmi lesquelles on peut citer un dérivé de sa thèse, « Caraïbes en construction : espace, colonisation, résistance », ou, chez L’Harmattan, très récemment, « Le dossier Sénécal » évoquant cet esclave affranchi de Guadeloupe condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1851 en raison de sa participation aux troubles qui secouèrent la colonie dans la foulée de l’abolition.
L’ouvrage dont il est question ici est d’un format très modeste. Il ambitionne de livrer, à des lecteurs qu’on supposera d’abord non spécialistes, la trame essentielle du processus d’émancipation qui rythma l’année 1848 et le récit des lendemains passablement troublés que connurent les colonies dès lors privées de leurs esclaves.
Une fois le livre refermé, on est, hélas, bien obligé de considérer que l’auteur a, globalement, raté son objectif. En effet, il y a tout lieu de penser que ce livre ne satisfera sans doute ni les néophytes ni les spécialistes. Pour qui ne connaît rien à la question, on ne peut pas dire que le récit, très événementiel et, par moments, inutilement détaillé, soit d’une grande clarté. Quant aux spécialistes, ils trouveront par exemple les analyses trop superficielles ou trop marquées idéologiquement. La référence à Marx sur le « second esclavage » aurait sans doute mérité plus de recul critique.
L’auteur indique dès le début, et bien maladroitement, son engagement ou « parti pris » ainsi qu’une prétention assez étonnants : « J’utilise ici les termes d’abolition ou celui d’émancipation que retient la Vulgate [c’est-à-dire] l’ensemble de croyances et de mythes hérité du système colonial et des planteurs békés qui ne repose sur aucune base scientifique. Historiquement parlant, je préfère me référer au processus de destruction du système esclavagiste, un concept plus scientifique que j’ai forgé depuis des décennies. » (p. 9) Las, ce concept est seulement cité. On n’en entend plus parler par la suite.
D’aucuns pourront également, à certains moments, lui reprocher de manquer de rigueur dans l’écriture, comme en témoigne par exemple ce passage : « La production en série de colonisés répondant aux critères de choix du larbinisme intégral permet à la France de disposer de colonies fidèles et soumises dans la longue durée. » (p. 97)
Le plus grave que nous puissions cependant reprocher à l’auteur est sa trop fâcheuse propension à laisser entendre qu’il est le seul historien respectable de la question. Comment peut-on, en effet, écrire aujourd’hui, quand on connaît l’ampleur, la diversité et la qualité des recherches qui ont été réalisées par d’autres historiens : « Trop de liens d’assujettissement empêchent aujourd’hui la recherche historique de prendre un essor universitaire et de se développer sur des bases scientifiques. C’est le seul moyen de briser la chape de mythes et de légendes qui constitue le fonds du magasin de la Vulgate imposée par le système colonial pour masquer le fond du débat historiographique. » (p. 62) L’appareil critique et bibliographique est d’ailleurs singulièrement allégé et ne comporte quasiment que des références aux ouvrages de Lara… Et, enfin, quel est-il, ce « fond du débat historiographique » qu’évoque, sans le préciser, Oruno D. Lara ?
Attendons de lire la prochaine somme d’Olivier Grenouilleau sur les abolitions de l’esclavage. Nous serons sûrement bien mieux servis !