Rencontré lors de la présentation de l’Atlas des migrants en Europe au salon du livre et des sciences humaines de Paris, Natacha Bracq, élève avocate, se questionnait avec nous sur les conséquences du changement climatique sur les migrations. C’est en approfondissant la discussion que nous avons découvert qu’elle avait rédigé un ouvrage sur ce sujet au travers de l’exemple de Tuvalu.
Réalisé à partir de son travail de mémoire de Master 2, l’ouvrage de Natacha Bracq est paru aux récentes éditions des « Savoirs Inédits » présentées lors du retour du salon (chapeau bas déjà pour publier un livre dans la foulée du master).
Que nous apprend cet ouvrage ? Principalement qu’en tant qu’Etat insulaire de petite taille, Tuvalu pourrait se voir submergé d’ici 2050 et que ses habitants deviendraient de ce fait des migrants devant retrouver un territoire de vie. Pris sous l’angle juridique, le problème montre que le droit international ne prévoit, à ce jour, pas de solution claire pour ces cas de figure d’où des aménagements suggérés par l’auteure.
Si la notion d’Etat est habituellement définie par trois éléments (une population permanente, un territoire et un gouvernement), l’absence d’un des trois suffit à ne plus reconnaître le pays concerné comme un Etat. Les cas de fusion, d’annexion, de démembrement…existants mais pas ceux de disparition, Tuvalu se trouve actuellement face à un vide juridique. Il faudrait, dans l’idéal, reconsidérer la notion même d’Etat, la question étant pour le moins urgente et commencera au-delà des côtes par la réduction de la ZEE.
Et comme la disparition ne serait pas immédiate, il convient de prendre en compte différents cas de figures liés à la progressivité de cette situation : la migration massive de la population de Tuvalu entrainerait la perte de son statut d’Etat, la réduction de son espace jusqu’à un certain point également.
Dès lors, que faire ?
S’acheter un nouveau territoire ? Quel Etat accepterait de céder une partie de son territoire ? Et surtout le géographe ajoutera : où ? Sous une autre latitude ? Dans une région à la langue et à la culture différente ?
Opter pour une « fusion conventionnelle » ? Tuvalu serait là en situation de faiblesse pour garder son nom alors que le pays hôte se verrait avantagé par une extension de la ZEE.
Partir sur une « cession temporaire » ? Tuvalu bénéficierait d’une souveraineté mineure avec juste certaines compétences. Cette solution ne peut effectivement être que transitoire et là encore, quel accueil du pays hôte ?
D’où la tentation de la dénégation ? Abandonner l’île ne semble pas stratégique, le refus constituant justement une tactique politique pour ne pas faire fuir les investisseurs, les agences humanitaires…et surtout ne pas résigner les habitants. Evidemment, le maintien sur place et les mesures de protection ont un coût…
C’est face à ces absences de réponses claires que des propositions alternatives sont évoquées.
Certains juristes s’ouvrent à l’idée que le principe de territorialité pourrait évoluer, se trouver aménagé au bénéfice d’un droit qui « suivrait » en quelque sorte les activités humaines (ou virtuelles d’ailleurs). Des exemples existent au travers des religions (dispersion de la communauté), des communautés multiculturelles (Etats historiquement marqués par les migrations) sans compter ce qui se passe sur Internet.
Mais là encore, l’on se heurte de manière plus pratique à des scénarii où la migration pourrait se faire vers une Australie et une Nouvelle-Zélande peu enclines à accueillir des Tuvaluens avec leur lot de personnes âgées, malades, sans emploi… la peur de la sécession ultérieure est latente, des précédents existant avec les Aborigènes et les Maoris.
La solution réside peut-être dans l’idée d’un « Etat déterritorialisé » dont l’auteure liste quelques compétences essentielles, les premières étapes urgentes résidant dans les négociations avec les Etats d’accueil potentiels.
Au final, l’occasion de se questionner de manière très large sur l’idée que les droits devraient bénéficier davantage à la personne où qu’elle se trouve, davantage qu’en fonction de la traditionnelle attache au sol et, pour les Tuvaluens, hélas, un coup de projecteur qu’il serait urgent de solutionner.
A l’image de l’atlas des migrants en Europe, encore un bel exemple des liens entre droit et géographie dans un livre méticuleusement documenté (plus de 250 références !) et tout à fait limpide pour les non juristes que nous sommes.