L’auteur 

Jean-Louis Halperin est docteur en droit et agrégé des facultés de droit. Membre et directeur depuis le 1er juillet 2015 de l’Unité Mixte de Recherche « Centre de Théorie et Analyse du Droit ». Il a enseigné à l’Université de Lyon, à l’Université de Bourgogne et à l’Ecole Normale Supérieure. En 2004, il était le Président du Comité d’exposition pour le bicentenaire du Code civil. Entre 1994 et 1998, il est Membre junior de l’Institut Universitaire de France et Doyen de la faculté de droit et sciences politiques à l’Université de Bourgogne.

Entre 2006 et 2010, Jean Louis Halperin est le directeur du département de Sciences sociales de l’ENS et membre du Comité National du CNRS entre 2008 et 2012. Depuis 2013, il est également élu Membre senior de L’Institut Universitaire de France. Spécialiste de l’Histoire du droit, du droit comparé ainsi que de la théorie du droit, il a publié de nombreux ouvrages dans ce domaine de recherche.

Il a en effet publié des ouvrages comme L’Histoire du droit privé français depuis 1804, La culture juridique française en collaboration avec Frédéric Aurden, ou encore Dictionnaire historique des juristes français XII XXe s, en collaboration avec Patrick Arabeyre et Jacques Krynen.

Le bouleversement juridique de la période révolutionnaire

L’ouvrage se décompose en quatre grandes parties chronologiques. La première, intitulée le renouvellement du cadre normatif analyse les modifications du droit français et en Europe à la lueur des évènements révolutionnaires afin de mieux mettre en valeur l’essor de codification et des parlements en France. La partie est elle-même divisée en quatre chapitres respectivement intitulés : les ressorts de l’ancien droit (chapitre 1), l’impact révolutionnaire (chapitre 2), le mouvement de codification (chapitre 3) et l’essor des parlements (chapitre 4). 

Dans cette partie, les traditions juridiques, le droit commun ainsi que les droits territoriaux sont mis en perspective dans une temporalité longue qui remonte à la fin du XIe siècle.

L’auteur met en avant la spécificité du droit anglais qui trouve sa source dans le common law (droit royal à la fois public et privé). Le droit anglais s’avance davantage dans la voie d’un éclatement du modèle commun fondé sur l’héritage romano-canonique avec l’affirmation de spécificités sociales et politiques en Angleterre. Cette influence anglaise se retrouve sur le continent européen car des analogies entre droit anglais et droits continentaux européens sont notables au XVIIIe siècle. Le XVIIIe siècle correspond à un mouvement d’affirmation des particularismes juridiques en œuvre dans toute l’Europe.

Jean-Louis Halperin met en exergue les formes et fonctions juridiques d’Ancien Régime en analysant le pouvoir souverain ainsi que ses limites en Europe. 

L’auteur met en avant l’impact de la Révolution française sur les avancées juridiques au travers de la nouveauté des principes de droit public établis pendant cette période. De la même manière, le texte de la déclaration des droits de l’Homme a un impact considérable sur l’appréhension de la question des libertés individuelles et collectives dans le droit français. Pour autant, le droit de la famille reste incomplet malgré la laïcisation du mariage et de l’Etat Civil (loi du 30 septembre 1792).

L’originalité de la période révolutionnaire en matière du droit de la famille tient, selon Jean-Louis Halperin à l’existence de projets de réformes qui ne sont pas restés sans conséquences : l’adoption de mineurs ou majeurs par des célibataires ou personnes mariées avec ou sans enfants ou encore l’incapacité de la femme mariée sous le régime de la communauté. Si aucun de ces projets n’a finalement été voté en 1792, ils influencent considérablement le Code Civil napoléonien. 

A partir du cas français, l’auteur étend la réflexion aux autres territoires européens et analyse les modifications juridiques influencées par la Révolution française ainsi que leurs limites. 

La fin du XVIIIe siècle correspond en Europe à une vague de codification qui se caractérise non seulement par une extension des codes significative mais également par un renouvellement profond des codifications existantes notamment en Allemagne (BG ) ou en Suisse (ZGB). Les modifications de codification sont analysées à la lueur des réussites et des limites de la « mythologie codificatrice ». 

Le premier XIXe siècle est une période d’essor des parlements en Europe qui est marquée par une floraison de Constitutions et les relations entre les gouvernements et les parlements s’établissent. La croissance de la production législative est importante dans les pays européens notamment en Angleterre, en France et en Allemagne. Ce mouvement s’accompagne d’une diversification des textes normatifs et d’une évolution qualitative dans leur rédaction. Le XIXe siècle est marqué par la lutte pour l’Etat de droit en Europe avec l’affirmation progressive des libertés publiques et l’élargissement des recours contre l’administration. 

Les évolutions du XIXème siècle, au regard de la libéralisation du commerce

La deuxième partie de l’ouvrage est intitulée « Attentes sociales et orientations du droit ». Elles se subdivise en quatre chapitres respectivement intitulés des outils pour le commerce et l’industrie (chapitre 1), le traitement juridique de la question sociale (chapitre 2), protection des familles et émancipation des personnes (chapitre 3) et influence individuelle et action collective des juristes (chapitre 4). Cette partie traite des besoins exprimés par le bas et leur influence sur la législation.

Les Révolutions industrielles bouleversent considérablement les approches du droit commercial. En effet, les progrès de la liberté du commerce commencent par la liberté des commerçants. L’inspiration des ces réglementations est mercantiliste. La doctrine du laissez faire, laissez passer conduit à une profonde remise en cause des barrières protectionnistes étatistes afin de promouvoir des secteurs de l’économie nationale. Les progrès du commerce et de l’industrie commencent de façon significative à partir du milieu du XVIIIe siècle.

Il s’agissait d’abord selon Jean-Louis Halperin de perfectionner les techniques de contrats existantes. Quant à l’émergence d’un droit industriel, il passe par la réglementation des Brevets et concessions. La lutte contre les nuisances et les accidents du travail dans le cadre de l’industrie est précoce en France et cette dernière fait figure de pionnière sur cette question. Elle se diffuse ensuite progressivement dans les autres pays européens. Le XIXe siècle correspond aussi à un mouvement de régulation des marchés qui passe par la protection de l’entrepreneur et l’adaptation du droit à la faillite. La concurrence est également encadrée.

La question sociale est juridiquement appréhendée différemment avec la progressive mise en place de mesures de contrôle du prolétariat avec la discipline dans les ateliers et usines. Le paupérisme est encadré par des lois comme les pôles laws en Angleterre. Parallèlement, la reconnaissance des syndicats et de leurs actions collectives en faveur des travailleurs, la mise en place de la réglementation du travail industriel contribuent à la mise en place d’un droit ouvrier qui pose la question d’un État social. En effet, dans le dernier tiers du XIXe s dans les pays d’Europe occidentale des lois d’assistance et de protection sociale des travailleurs précaires et des plus fragiles sont votées.

Pour autant cette protection est timide et partielle ce qui conduit à nuancer la vision d’un État social au XIXe s. L’Europe du XIXe s perfectionne le droit civil et successoral en orientant les lois en direction d’une émancipation très progressive des personnes et d’une timide reconnaissance d’un droit des femmes. Ces lois prennent en compte la diversité des modèles familiaux qui évolue au XIXe s. L’Allemagne est le premier pays où la théorie juridique prend forme ainsi que l’idée d’une science du droit.

Après les Révolutions de 1848, l’augmentation du nombre d’étudiants en droit est sensible surtout en Allemagne, France, Italie et Autriche. Jean-Louis Halperin étudie l’influence des juristes au XIXe s en prenant en compte plusieurs dimensions comme l’organisation professionnelle et le poids collectif, le rôle des hommes de lois dans l’interprétation du droit ainsi que la portée de leurs discours. On note l’essor de la jurisprudence dans les territoires européens au XIXe siècle. Les discours juridiques de cette période mettent en avant la légitimation du droit positif et ouvrent la voie à une contestation du système juridique parfois violente comme celle de Bentham en Angleterre. 

Les ruptures : montée du fascisme, naissance du droit soviétique et évolutions des Etats libéraux

La troisième partie de l’ouvrage est intitulée « Ruptures et divergences ». Elle se divise en quatre chapitres : l’ébranlement des ordres juridiques (chapitre 1), la naissance du droit soviétique (chapitre 2), les mutations juridiques des États libéraux (chapitre 3) et les lois des États fascistes et fascisants (chapitre 4). 

La notion d’ordre juridique très répandue dans la doctrine particulièrement en Allemagne est profondément ébranlée par là choc de la Grande guerre. Quant aux ordres juridiques étatistes, ils sont profondément affectés par l’ampleur et la durée des conflits. La législation de guerre perturbe en effet le fonctionnement juridique normal dans l’ensemble des pays belligérants et jusqu’aux pays neutres. Les réformes se poursuivent néanmoins.

La guerre est, selon l’auteur une période favorable au développement du droit du travail ainsi qu’aux institutions sociales. Les événements révolutionnaires qui touchent particulièrement l’Est et le Nord de l’Europe à partir de 1917, provoque l’indépendance de la Finlande et des Pays baltes et la carte de l’Europe est redessinee avec les traités de paix. Il devient alors impossible de restaurer l’ancien ordre juridique d’avant 1914. De la même manière, les bolcheviks russes ont eu une volonté de rompre avec l’ordre juridique ancien.

L’étude historique du droit soviétique montre un système juridique nouveau et relativement isolé jusqu’en 1945. Fondé sur une myriade de textes à valeur normative et de décisions de justice, la législation soviétique se sert des techniques utilisées dans le reste de l’Europe. L’idéologie soviétique imprègne tout le système juridique. Le droit change d’orientation et d’expression au rythme de la Révolution jusqu’au droit socialiste du stalinisme.  Dans les États libéraux également les mutations juridiques sont importantes. En effet la situation de crise et d’urgence appelle à un renforcement du pouvoir gouvernemental.

L’interventionnisme croissant conduit à une remise en question des libertés publiques. A l’inverse, la résistance de l’Etat de droit comme en Grande Bretagne peut être considérée comme signe de la vitalité des traditions libérales. Dans l’entre deux guerre il est possible de distinguer les réformes de structures qui affectent les sociétés des États libéraux, et les mesures conjoncturelles qui obéissent moins à une logique d’évolution vers le concept d’Etat providence.

Jean-Louis Halperin définit comme fascisant les États qui « ont tendu à transformer leur droit selon un ou plusieurs principes suivants du fascisme : société transformée en opposition au communisme et au libéralisme, subordination de l’Etat à un parti politique unique, le culte de la personnalité du chef et/ou idéologie nationaliste et raciale qui conduit à l’élimination de ceux qui se trouvent ainsi exclus de la communauté nationale ». Les États fascistes ont produit des lois et se serve d’outils juridiques pour la mise en place de leur politique.

L’Italie fait figure de modèle dans la transformation du droit. Les droits pénal et privé sont impactes par la fascisation. L’organisation juridique de la terreur dans l’Allemagne nazie notamment avec les lois de Nuremberg de 1935 répond à une obsession de la race et à l’objectif de faire coïncider la réalité du peuple allemand avec l’idée du peuple allemand fantasmée par Hitler. 

Confluences et pluralismes

La quatrième et dernière partie du livre de Jean-Louis Halperin est intitulée confluences et pluralismes. Elle est divisée en quatre chapitres : les avancées démocratiques (chapitre 1), les variations de l’Etat providence (chapitre 2), les métamorphoses du droit des personnes (chapitre 3) et un ou des droits européens ? (Chapitre 4). 

L’après Seconde Guerre mondiale est marqué par l’abrogation successive des lois mises en place dans les régimes totalitaires et collaborationnistes. Pour autant cette évolution est indissociable de la guerre froide et de l’opposition constitutionnelle entre les deux blocs de part et d’autre du « rideau de fer ». La rénovation des démocraties pluralistes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale conduit à une nouvelle constitution en France, en Italie et en Allemagne de l’Ouest. A l’inverse, l’établissement des démocraties populaires et la pression de l’URSS conduit à l’abandon des institutions parlementaires en Hongrie, en Pologne et en Tchécoslovaquie. Ainsi pendant quatre décennies, les mutations constitutionnelles résultent essentiellement de choix de « voies nationales ».

La chute du mur de Berlin dans la nuit du 09 novembre 1989 bouleverse le paysage politique et constitutionnel et ouvre la voie à une démocratisation des pays d’Europe centrale et orientale. Les nouvelles constitutions ont des points communs explicables par la volonté de rompre avec le totalitarisme des anciennes démocraties populaires comme l’abandon du parti unique ou encore l’affirmation des droits fondamentaux. Pour autant le ralliement massif aux principes de la démocratie pluraliste n’empêche pas les spécificités.

Malgré le triomphe apparent de l’économie de marché les États sont amenés à intervenir par le droit dans de nouveaux secteurs de l’économie. L’extension, puis l’abandon du modèle soviétique contribue à repositionner le rôle de l’Etat dans l’économie globale. En effet, le droit économique des pays européens reste alors dans une formule qui combine l’action de l’Etat providence et le rôle central des entreprises privées.

Le droit des sociétés s’affirme au XXe siècle et montre le caractère central du droit des entreprises. Le droit du travail se modifie de façon significative dans la plupart des pays européens sur la même période. L’Etat régulateur persiste notamment dans son rôle protecteur vis-à-vis des consommateurs avec l’établissement de nouvelles réglementations. A des rythmes différents, tous les pays d’Europe transforment considérablement les règles du droit civil et pénal dans la deuxième moitié du XXe siècle.

La Révolution juridique des femmes ouvre la voie à la résolution partielle des défis du pluralisme familial avec la redéfinition des filiations entre autre. La redéfinition du champ pénal s’effectue au travers diverses tensions entre deux mouvements : dépénalisation et extension des incriminations. Ces évolutions traduisent à la fois un renforcement des droits de La Défense et une rigueur sécuritaire. Enfin la XXe siècle traduit une européanisation du droit dans les pays européens au rythme de la construction européenne. La pénétration du droit européen est important mais il ne faut pas minimiser la persistance des traditions nationales juridiques. 

L’avis du lecteur. 

Cet ouvrage de Jean-Louis Halperin est une très bonne synthèse qui offre un point de vue comparatif des évolutions du droit en Europe remises en perspective dans une temporalité longue. Les différentes branches du droit sont observées et analysées de façon à ce que l’on puisse bien comprendre toutes les articulations. Facile à la lecture, ce livre permet une plongée dans l’Histoire du droit en général. Pour autant les subtilités ne sont absolument pas gommées.

Le lecteur pourra trouver des informations sur l’évolution du droit constitutionnel, pénal, civil et social utiles pour la culture générale. Ce livre se révèle également tout à fait utile dans la préparation de la question d’Histoire contemporaine au programme des concours externes de recrutement des professeurs d’Histoire géographie et plus particulièrement les deux parties centrales de l’ouvrage centrées sur le XIXe et la première moitié du XXe siècle.