Guillaume Marcotte relate le déplacement d’une famille franco-écossaise, aventure qui rappelle que, dès le XVIIe siècle, certains Français cherchaient à échapper à leur univers culturel et social, en s’assimilant partiellement ou totalement aux sociétés autochtones. Cette réalité s’inscrit dans la longue tradition, jusqu’à la fin du XIXe siècle, des coureurs de bois. Ce sont ces trappeurs des XIXe siècle et leurs descendants contemporains qui intéressent Guillaume Marcotte

Cet ouvrage est issu du mémoire de maîtrise de Guillaume Marcotte, réalisé pour l’Université de Saint-Boniface et l’Université du Manitoba.

Dans son introduction, Guillaume Marcotte définit son objet de recherche les « gens libres » dans le corridor Moose Factory–Montréal, un espace compris entre la Baie-James et Montréalcartes p. 15-16 et le contexte historiographique et méthodologique de l’ethnohistoire.

Les gens libres en Amérique du Nord

L’auteur dresse un tableau des gens libres : Qui sont-ils ? Dans quels territoires les trouve-t-on ? Ce premier chapitre est une présentation historiographique, depuis les écrits contemporains du XIXe siècle (John Lee Lewis) jusqu’aux recherches plus récentes (Marcel Giraud, John Foster. Heather Devine, Carolyn Podruchny). Il fait aussi référence à la littérature qui apporte des éléments sur leur mode de vie.

De ses lectures il conclut sur la difficulté d’une définition simple et suit les propos de Gilles Havard pour qui il est préférable de ne pas uniformiser le mode de vie des gens libres, variable selon les familles et les régions. Il montre le rôle important des familles de gens libres dans l’émergence de l’identité métisse, dans le contexte de la traite des fourrures.

À la recherche des gens libres entre la Baie-James et Montréal …

C’est d’abord une description des pratiques de la trappe dans le corridor Moose Factory–Montréal. On y voit la frontière se déplacer vers le nord. Quatre activités économiques sont pratiquées du sud vers le nord : agriculture, foresterie, fourrure et missions. D’abord presque exclusivement peuplée d’Autochtones, la région voit arriver de nouveaux habitants quand se dessine le déclin de l’économie de la fourrure. Economiquement elle est dominée par la Compagnie du Nord-Ouest qui dispose d’un monopole de traite, non respecté par les traiteurs libres. L’auteur décrit comment le front pionnier (exploitation forestière, mission, agriculture) progresse vers le nord, au XIXe siècle, puis en Abitibi au XXe siècle grâce au chemin de fer qui a permis le développement de l’activité minière.

L’auteur présente les sources qui vont lui permettre dans les chapitres suivant d’analyser le sort des « gens libres » ou « freemen » : sources des compagnies de commerce, mais aussi tradition orale.

Les foyers de gens libres entre la Baie-James et Montréal

Il s’agit de situer les « gens libres » dans ces vastes espaces.

Au Nord la Baie de James voit ses premiers postes de traite dès 1670, lieu de lutte entre Français et Anglais. Au XVIIIe siècle la trappe est l’activité des seuls Amérindiens.

entre la Baie-James et Montréal

Reprenant d’autres travaux, l’auteur mentionne les premières familles de « gens libres » présents en Abitibi, Témiscamingue : les Beads, Elson, Robertson et Atkinson. Un village d’habitations métisses à Moose Factory existe dans les années 1820 qui abritent des familles d’employés anglais de la compagnie et leurs épouses cries. Il montre aussi leur présence dans le district de Rivière-Rupert, ce sont des Abénaquis. Autour du lac Abitibi, riche en gibier, les trappeurs sont nombreux jusqu’à l’arrivée des colons agricoles au début du XXe siècle. Le poste de Témiscamingue qui date de la période française est aussi un important lieu de commerce des fourrures. Autre espace où s » rencontrent les « freemen » : les bords de la rivière Mattawa et le fort Coulonge en Outaouais.

Devenir libre

C’est un processus difficile à cerner puisqu’aucun d’eux n’a laissé d’écrits. Il semble qu’un trappeur devient libre soit par la désertion décrite avec les histoires de quelles désertions comme celles de Sévère St-Denis et de Charles Liard, soit lors de la fin de son contrat avec une compagnie de traite, ce qui conduit à se rapprocher des communautés amérindiennes Voir l’exemple de la famille de Joseph Lavallée, sa femme Marie Angélique Masanakomikokwe et leurs enfants. p. 127.

La photographie (p. 116) de la famille McPherson est parlante.

 photographie (p. 116) de la famille McPherson

Des individus pouvaient passer directement à l’état d’hommes libres, dont l’auteur cite quelques exemples.

La traite libre comme mode de vie

La description de ce mode de vie met en évidence les modalités de la traite et de la vente des fourrures. L’exemple de Joseph Lavallée qui quitte le Grand Lac à l’été 1843 montre qu’il cherche à développer une activité de traite plus au sud, car il en connaît tous les mécanismes. Les « gens libres » ont souvent des liens avec leurs anciens collègues des compagnies.

Les autres modes de subsistance

Dans ce sixième chapitre, l’auteur aborde d’autres modes de subsistance : le piégeage, la chasse qui les mettent en concurrence avec les Autochtones. La pêche est aussi une ressource du mode de vie des fronts pionniers.

Liés par leurs épouses ou leurs mères aux peuples amérindiens certains se livrent à des activités artisanales : le tannage des peaux de cervidés, la fabrication de mocassins et de ou la fabrication de canots d’écorce.

L’auteur que la frontière qui les séparent des colons agricoles n’est pas étanche comme le montre l’exemple du métis William Polson du lac Abitibi.

Certains « freemen » alternent activité libre et contrat d’engagé salarié avec une compagnie, notamment pour le portage saisonnier des fourrures vers le Saint-Laurent.

Les archives des missions évoquent le recours à la charité en particulier en fin de carrière.

Mobilité et comportements économiques

Ce chapitre montre les habitudes de déplacement à la fois pour des raisons saisonnières et économiques (endettement).

L’auteur décrit les modes d’habitation : cabane de bois ou pour la région nord la tente. Une description détaillée de la construction d’une cabane de bois, à l’ouest du lac Supérieur, en 1850, donne une idée de cette réalité.

Les déplacements saisonniers sont possibles grâce à la connaissance intime du territoire. La famille jouait un grand rôle dans les cycles de déplacements, elle pouvait aussi suivre le traiteur dans ses déplacements.

C’est un monde de vie souvent violent puisque proche du banditisme et de la contrebande. L’ordre colonial y était d’autant moins appliqué qu’on était loin de Montréal ou des villes.

Des identités en évolution

Comprendre l’héritage des « gens libres » dans la société contemporaine ne peut pas être envisagé sans poser la question de l’identité métisse.

La première remarque porte sur la grande diversité d’origine ethnique des « gens libres » : Canadiens d’origine française, souvent mariés à une Autochtone ou à la fille d’un homme libre, Abénaquis, Iroquois soit des Indiens laurentiens venus trapper plus au Nord désignés comme métis dans les sources, parfois qualifiés de « Bois-Brûlés ». Cette étude est cependant rendue difficile, car les sources sont inconstantes dans la manière de désigner ces hommes.

L’auteur s’interroge sur l’assimilation, l’intégration de ces hommes à l’intérieur des sociétés indiennesL’exemple des Métis du lac Abitibi montre qu’ils semblent avoir été intégrés à la bande algonquine locale (p. 254) ou canadienne.

Utilisant les données généalogiques l’auteur montre la vigueur, aujourd’hui, des associations métisses, des personnes qui sont les descendants des couples de « gens libres ».

L’héritage des gens libres

L’auteur présente les discours d’une douzaine de Métis contemporains. Ses témoignages exprime un lien de mémoire avec les populations historiques de « gens libres ». Ils montrent les discriminations dont ils sont victimes comme descendants des « Indiens ». Pour eux la figure de l’ancêtre

indien ou métis est un point d’ancrage identitaire, avant le déclin de la trappe et donc de la communauté métisse. Même s’ils ne chassent plus ou ne pêchent plus aujourd’hui, ces activités demeurent au centre de leur identité autochtone. Ils disent combien le mode de vie autarcique est pour eux associé à l’autochtonie.

Conclusion

Les « gens libres » du corridor Moose Factory–Montréal pouvait être d’origine autochtone (soit indienne ou métisse), ou encore d’origine canadienne ou européenne, voire africaine. Ils étaient, le plus souvent mariés à une femme d’origine autochtone. Leur mode de vie n’était pas celui des populations indiennes, fondé sur la traite indépendante ou l’agriculture de subsistance.

Les communautés métisses historiques de l’Abitibi Inland et de la Mattawa/Ottawa River ont été formellement reconnues en 2017 par les autorités de l’Ontario. Dans la partie québécoise cette reconnaissance est encore à venir.