Cet ouvrage collectif, en collaboration avec l’Université de Genève, cherche à répondre à la question : Quels apprentissages des élèves face aux enjeux contemporains ?

Cet ouvrage de didactique s’interroge sur les savoirs utiles au futur citoyen pour agir dans un monde en mutation, mais aussi sur l’articulation des savoirs formels et leur mobilisation dans l’action. L’école actuelle est-elle émancipatrice ou reproductive de pratiques sociales normatives ? Comment concilier l’esprit critique et les « bons gestes » citoyens ?

Collectif, l’ouvrage est par nature hétérogène, des approches disciplinaires dans un contexte francophone qui mettent en avant l’ancrage didactique. Il est organisé en grandes parties. La première analyse la mission émancipatrice de l’école quand la seconde propose des exemples pratiques. La troisième partie est plus épistémologique et la quatrième s’intéresse à l’articulation entre l’école, les savoirs et la société.

L’émancipation face à des prescriptions scolaires parfois paradoxales

La géographie scolaire française

Dans cet article à plusieurs mains, les auteurs analysent à quelles conditions les pratiques de l’enseignement de la géographie en France peuvent être émancipatrices malgré un cadre scolaire contraint.

La réflexion sur les programmes du lycée, de 2019, montre un éclatement notionnel et des finalités mal définies. Le mot-clé de ces programmes est développement durable même si les termes d’environnement et de mobilité apparaissent dans le préambule. Les espaces d’initiative de l’enseignant sont étroits.

Les programmes de cycle 3 sont construits autour du concept d’habiter, qui s’il est en relation avec l’état de la science n’est pas nécessairement maîtrisé par les professeurs des écoles non-spécialistes. Plus ouvert que les programmes de lycée, ils offrent plus d’autonomie à l’enseignant et semblent plus favorables à la formation du citoyen, car ils ouvrent sur la perception de points de vue différents selon les milieux, les continents. Toutefois, enseigner par des non-spécialistes, la géographie perd un peu de son pouvoir formateur.

La réflexion sur les enjeux de la géographie s’appuie sur la prise en compte de l’expérience des élèves, le questionnement de leurs pratiques spatiales comme le montre la démarche des 4 I (immersion, interaction, institutionnalisation, implémentation)Voir tableau p. 45. Dans la pratique décrite, il s’agit d’articuler des savoirs pour construire son point de vue appliqué à un exemple de lecture compréhensive d’un paysage des Pyrénées.

Les auteurs concluent sur l’intérêt de travailler avec les élèves sur des problématiques extrascolaires.

L’éducation financière comme science sociale

Ce second chapitre transporte le lecteur au Québec où a été introduit, dans les programmes de l’enseignement secondaire, une éducation financière.

Après une description de ce cours et ses évolutions, les auteurs abordent la recherche qui a porté sur la façon dont les élèves utilisent le manuel et quels types de citoyenneté sont visés. Le choix prioritaire est celui d’une citoyenneté responsable : un consommateur, travailleur, respectueux de la loi.

Engagement de la jeunesse et EMC en France

Jean-Charles Buttier analyse les programmes d’EMC de 2018. Il cherche à déterminer si ces programmes sont plutôt émancipateurs ou conduisent à un retour moral, un « catéchisme républicain ». Il développe un détour lexical à propos des termes engagement et émancipation.

L’auteur constate que si l’item « engagement » est présent dans les programmes (primaire et collège), l’éducation à la citoyenneté renvoie à la neutralité de l’école. A la suite des travaux de Géraldine Bozec, il évoque le fait que les instances participatives (CVC, CVL) et le parcours citoyen au collège, s’ils prônent, théoriquement, l’engagement des élèves, sont plutôt des instruments « d’amélioration du climat scolaire » (p. 75).

Pour analyser la portée de l’EMC, l’auteur s’appuie sur le rapport du CNESCO de 2018 et compare avec la Suisse romande. Il conclut sur la faible capacité de l’école à intégrer les nouvelles formes d’engagement comme les Marches pour le climat.

Vers des pratiques didactiques émancipatrices sans les disciplines de sciences sociales ?

Enseignement de l’histoire et fact-checking

Lucie Gomes questionne la pratique du fact-checking face à l’enseignement de l’histoire. Son hypothèse : « apprendre à mener des enquêtes historiennes problématisées peut permettre de construire ces savoirs émancipateurs pour sortir du fact-checking et pour poser des questionnements plus pertinents. (p. 86)

Elle rappelle la méthode critique et son fondement dans l’épistémologie de l’histoire.
À partir d’exemples d’activités en cours d’histoire, sur des textes ou des documents iconographiques, l’autrice montre que souvent les élèves se contentent de décrire sans faire preuve de recul, surtout pour des documents qui leur semblent objectifs, réalistes. Elle propose une approche problématisée des documents.

Créativité et innovation en didactique des SHS

Amalia Terzidis part d’une étude sur la formation en didactique de l’histoire en Suisse romande. Elle présente des pistes de réflexion pour l’adaptation des enseignements de SHS dans le contexte d’un monde en évolution. Elle montre l’importance de la créativité des enseignants pour permettre aux élèves de co-construire leurs savoirs.

Après une réflexion purement théorique, l’autrice donne quelques exemples : histoire orale, didactique au musée.

Le jeu de rôle, pour une approche complexe des migrations

Hyade Janzi présente les fondements théoriques de l’approche du jeu de rôle/débat.

Elle analyse une séquence pédagogique sur les politiques migratoiresSchéma p. 125. Elle conclut sur l’efficacité de l’utilisation du jeu de rôle en situation d’apprentissage. Il permet le développement de capacités de critique sociale. Sa référence renvoie à la pédagogie de l’autonomie.

Cette pédagogie a été testée dès les années 1970-1980 dans les recherches de l’INRP. On ne peut que regretter qu’il faille encore en faire la publicité en 2023. Voir en autre : Apprendre ensemble pour une pédagogie de l’autonomie, Laurence Grosjean, Roger Brunot, Canopé – CRPD Grenoble – Les classes COOPératives, vers une pédagogie de collaboration et d’autonomie – Comment ?

Mettre en œuvre une pédagogie de l’égalité

Isabelle Collet et Valérie Opériol posent la question du genre dans l’enseignement suisse de l’histoire, dans le secondaire. Il s’agit d’identifier les représentations sociales sur la division sociale et genrée du travail, les stéréotypes bien ancrés chez les élèves. Les autrices ouvrent des pistes à partir des travaux des préhistoriennes comme Marylène Patou-Mathis. Une partie de l’article est consacrée à l’apport de la « pédagogie féministe critique » à vocation émancipatrice qui peut s’appuyer sur la conscience émergente chez les élèves.

Construire et transmettre des savoirs émancipateurs

Des témoignages et de leurs usages

Charles Heimberg interroge la construction des savoirs historiens, notamment confrontés au négationnisme.

Cette réflexion épistémologique peut être utile, en particulier aux candidats aux concours, car elle questionne le rapport aux sources, à leur interprétation, la place de l’histoire orale du témoin d’événements du XXe siècle et la « critique » du témoignage, comme n’importe quel document d’archives. L’auteur fait référence à Marc Bloch, un témoin pas tout à fait comme les autres.

Cette analyse du témoignage s’appuie aussi sur l’expérience d’un cours universitaire sur les recueils de témoignages.
Épistémologie et projets émancipateurs en classe d’histoire

Sabrina Moisan et Marie-Hélène Brunet posent la question : L’enseignement de l’histoire peut-il aider les élèves à comprendre le monde complexe dans lequel ils et elles vivent ?

Elles analysent quatre démarches : l’éducation aux droits humains, l’éducation à la citoyenneté, l’éducation multiculturelle antiraciste et l’éducation anti-oppressiveTableau comparatif p. 171, appliquées à l’enseignement de l’histoire. Elles insistent sur la nécessité d’une analyse critique des valeurs sous-tendues par les programmes, par les connaissances.

Penser l’histoire comme possibilité

Christian Mathis présente la conception germanophone de l’enseignement de l’histoire orientée vers les compétences. L’article est un exposé, un peu hermétique, sur le principe didactique de la multi-perspective dans un horizon théorico-pédagogique.

L’articulation école, société et savoirs

Des savoirs émancipateurs dans une école émancipatrice

Philippe Charpentier aborde la question de la finalité de l’école. Il décrit les contradictions entre reproduction et dépassement de la société, entre transmission des savoirs et socialisation, entre transmission de l’information et formation des apprenants, entre transmission des savoirs du passé, d’aujourd’hui et préparation du futur.

L’auteur présente les conditions qui lui semblent nécessaires à l’émancipation des élèves et les savoirs, les attitudes qui peuvent favoriser cette émancipation : critiquer, inventer, juger.

Mondes profanes

Alexandre Lanoix traite de la pluralité des discours sur l’histoire, une question d’actualité quand on voit comment certains gouvernements réécrivent l’histoire (Russie, Inde) et quand certains élèves contestent l’enseignement à partir des réseaux sociauxPar exemple : Maître Gims assure que les pyramides étaient des centrales électriques, article du Huffpost..

L’auteur reprend ici l’ouvrage Mondes profanes, enseignement, fictions et histoireSous la direction de Marc-André Éthier David Lefrançois, Presses de l’Université Laval, 2021.

L’analyse porte sur les productions commerciales : les jeux vidéo, la télévision, la chanson, le cinéma et leur part de fiction historique, de simulation. Une place est faite à la patrimonialisation de l’histoire. L’auteur aborde les rapports entre le discours savant et le discours profane en classe sous l’angle de la problématisation proposée aux élèves pour questionner les représentations de l’histoire.

 

L’ouvrage est complété d’un texte d’Étienne Anheim, préfacé par Charles Heimberg, sur les rapports entre la recherche et l’enseignement face à la société, et d’une abondante bibliographie.

 

On peut regretter que la géographie soit peu représentée comme discipline pour comprendre le monde. Les exemples de pratiques scolaires sont, de mon point de vue, à peine survolés.