Un autre ouvrage sur la Mondialisation direz-vous? Pas seulement ! Voilà un dictionnaire qui apporte une véritable réflexion sur des thématiques plus souvent effleurées que réellement abordées.

Recension de

L’édition 2012 réunit 72 auteurs, volontairement pas tous spécialistes du sujet : beaucoup de géographes et d’économistes, mais aussi des historiens, des politologues, des juristes, des sociologues, un médecin, un anthropologue, un philosophe, etc. Elle se propose (d’où un nouveau titre), après « la « première » crise du capitalisme globalisé et financiarisé » (p. 5) de 2008 (à laquelle les auteurs préfèrent d’ailleurs le principe de « transformations silencieuses »), d’offrir « une vision transdisciplinaire de la triple transition (économique, écologique et sociétale) dans laquelle est engagée l’humanité » (p. 6), vision qui s’appuie sur la thèse critique suivante : « parce que la mondialisation construit et reconstruit le monde au quotidien, elle explique son instabilité et son caractère inédit » (p. 6). L’ouvrage n’a pas privilégié les points de vue institutionnels, statistiques ou hagiographiques de la mondialisation, mais « la quête d’une conceptualisation des changements induits par la mondialisation (…) avec l’identification des principaux enjeux liés à cette mondialisation » (p. 6).

Le choix des entrées s’est fait selon trois perspectives : la globalisation (métamorphose d’un capitalisme dénationalisé, globalisé et financiarisé grâce aux TIC et à la déréglementation financière), la mondialisation (émergence d’une échelle mondiale s’appuyant sur et participant à « la compression de l’espace-temps et à la possible interconnexion des lieux, à toutes échelles » (p. 7)) et la planétarisation (« prise de conscience de la finitude des écosystèmes naturels anthropisés et mise en évidence de crises à l’échelle de la planète Terre » (p. 8)). Il « reflète en définitive le contrats entre un ordre mondial pensé autour de la figure centrale de l’État et le global, où le système-monde ne s’organise plus uniquement dans le cadre interétatique mais aussi dans celui de réseaux transnationaux, qui met en exergue le renouveau de l’échelle locale et l’émergence de l’échelle planétaire » (p. 7).

Ce dictionnaire propose 235 entrées. La plupart sont des entrées « traditionnelles » (dans leur forme de moins d’une à trois-quatre pages, à partir de la définition d’un terme ou d’un concept) dans ce type d’ouvrage, mais on ne trouvera pas de grandes entrées présentant des pays (une entrée France quand même, ainsi que des entrées Chinamérique et Europe) ou qui auraient fait référence à un découpage par pays ou civilisations. Certaines entrées abordent des questions très récentes (actifs toxiques, indignés, printemps arabe par exemple), d’autres des concepts familiers aux professeurs d’histoire-géographie (choc des civilisations, cluster, conflit asymétrique, firme multinationale, flux, Nord/Sud, etc.). On trouvera, parmi ces 235 entrées, 62 essais qui sont des entrées plus longues et problématisées : par exemple « Cinéma. Hollywood et Bollywood : de la rivalité entre deux capitales mondiales de l’industrie cinématographique », « Communautés en ligne. Les communautés en ligne relèvent-elles vraiment du virtuel ? », « Développement durable. Une voie d’avenir mais à quelles conditions ? », « Médicament. Médicament et mondialisation : un zeste d’imposture ? » ou encore « Métropolisation. Une restructuration spatiale du marché du travail à l’échelle mondiale et locale ». On ne trouvera pas d’entrées très traditionnelles comme agriculture (à la place « Sécurité alimentaire. Entre question technique et question politique ») ou industrie (à la place « Désindustrialisation. Délocalisations et désindustrialisation : doit-on forcément opposer les anciens aux nouveaux ? ») par exemple. Mais certaines entrées sont originales par leur sujet, leur questionnement ou leur présence dans un dictionnaire a priori de géographie, comme « Murs. Murs et barrières de sécurité : pourquoi démarquer les frontières dans un monde dématérialisé », « Esclavage. Racialisation et formes de domination », « Numérique (écriture). Les écritures numériques, supports de la mondialisation » et « Numérique (livre). Livres et/ou bibliothèques numériques », « Patrimoine. Du couple patrie-patrimoine au patrimoine mondial » ou « Restitution des objets d’art. Vers une reterritorialisation du patrimoine ? ». Enfin certaines entrées combinent à la fois la dimension définition et la dimension essai : ainsi l’article Ville globale est-il par exemple complété par l’essai « Une ville mondiale est-elle forcément une ville globale ? ».

Impossible d’épuiser ici toute la richesse d’un dictionnaire dont on pourra, bien sûr, toujours critiquer les choix et qui ne prétend pas à l’exhaustivité. Notices et essais, toujours d’une grande clarté et accessibles au spécialiste comme au non-spécialiste, peuvent se lire indépendamment, mais tout un jeu de renvois les relie : on peut ainsi flâner au gré des recherches ou du hasard, et l’on apprendra beaucoup, en cherchant à se remettre à jour ou en suivant des chemins de traverse. Ce Dictionnaire critique de la mondialisation s’impose comme un bel et indispensable outil de travail et de découverte du monde dans lequel nous vivons.

Laurent Gayme
Copyright Clionautes/Cliothèque

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Recension de la première édition par Jean-Philippe Raud Dugal

Un autre ouvrage sur la Mondialisation direz-vous? Pas seulement ! Voilà un dictionnaire qui apporte une véritable réflexion sur des thématiques plus souvent effleurées que réellement abordées.
Pourquoi alors un Dictionnaire des mondialisations ? L’approche est ici transdisciplinaire réunissant des auteurs d’horizons et de formations différents sous la direction de C. Ghorra-Gobin, chercheur au CNRS, spécialiste de géographie urbaine en particulier aux Etats-Unis. Ses écrits sur Los Angeles, sur les villes américaines sont nombreuses. Son ouvrage précédant , en co-direction avec A. Berque et P. Bonin, La Ville insoutenable, a fait l’objet d’un compte-rendu sur le site des Clionautes.C. Ghorra-Gobin souligne la complexité et le caractère multidimensionnel des processus à l’œuvre, justifiant cette approche et le pluriel à mondialisation. Les auteurs opposent donc des visions différentes en fonction de leurs préoccupations et de leurs formations. Plus encore, « le dictionnaire utilise le terme ‘mondialisation’ au pluriel parce qu’il signale l’ambiguïté entre international et global, parce qu’il intègre une perspective historique à l’analyse tout en mettant en évidence la spécificité de notre deuxième mondialisation[…] ». (p.XIII)
Pourquoi « deuxième mondialisation » ? La première, celle de la Révolution industrielle, est une économie-monde qui préfigure celle de l’économie globale. Cette approche se distingue de celle développée par Laurent Carroué.Le but de ce dictionnaire est de clarifier, expliciter et préciser les termes et leurs interconnexions tout en insistant sur l’idée de gouvernance. Cette approche est véritablement utile en effet pour appréhender des politiques par essence globales qui mettent en interférence les espaces territoriaux et globaux. .(approche au cœur de l’ouvrage La nouvelle gouvernance mondiale a commencé de Claude Revel .
L’exemple de l’Europe (p.154) illustre fort à propos cette approche liée à la gouvernance : « L’Union Européenne : un labo régional pour une mondialisation maîtrisée ? », essai qui montre qu’un des axes de l’approche européenne est le développement de la gouvernance mondiale. Cette étude offre des prospectives intéressantes en ce qu’elle indique que cette idée ne peut se réaliser sans le renforcement de l’Union Européenne. Prenant, en compte les vœux des populations, elle pourrait ainsi s’imposer comme un modèle.Les entrées traditionnelles autour de notions qui méritaient une mise au point sont nombreuses. Ce sont surtout les approches thématiques, sous forme d’essais autour des grands débats, qu’ils soient de nature économique, politique, philosophique et historique qui sont passionnantes.
Les professeurs trouveront du grain à moudre autour des notions centrales du programme de seconde : la faim, la frontière, l’eau… Les entrées politiques sont nombreuses s’agissant de la gouvernance mais aussi du terrorisme, du clash des civilisations entre autre. L’économie n’est pas en reste avec des mises au point intéressantes sur les FMN, le libre échange ou la spéculation.
Bien sûr, un exercice de cette qualité peut être sujet à critiques aussi minimes soient-elles. Par exemple, l’entrée sur les « gangs » (p.181) comme phénomène global, illustrant des zones de non-droit où la souveraineté de l’Etat est en question, aurait pu faire l’objet d’une mention au cas européen avec la particularité de l’Espagne qui connaît une croissance insolite du phénomène en périphérie de Madrid où des gangs équatoriens ont exporté cette violence issue de l’Amérique latine.

Plus généralement, quelques entrées dans ce dictionnaire sont d’une très grande qualité. Ainsi, la définition de métropolisation amène à une réflexion très intéressante en replaçant d’une manière synthétique cette notion dans le contexte des mondialisations, avec une mise au point sur l’AMM qui remet en cause bien des définitions que l’on trouve usuellement dans les manuels scolaires. Cynthia Ghorra-Gobin définit ainsi cette « métropolisation de l’économie qui se traduit par l’avènement d’aires métropolitaines globales ou « global city-regions » représentant les points d’ancrage de l’économie globale contraste en fait avec la perspective ouverte par l’avènement des technologies de communication et d’information qui préconisait une décentralisation économique dans la lignée du ‘village global ‘» (p.245).
De même, les mises au point de Christian Grataloup, professeur à l’Université de Paris-Diderot, géohistorien et cartographe, sont d’une rare qualité, mêlant les approches historiques, philosophiques et géographiques.
On notera la participation remarquée d’Augustin Berque (p.128) pour la définition d’Ecoumène q’il replace dans le contexte de la mondialisation. Les problématiques qu’il développe : « Peut-on dépasser le projet moderne qui a consisté à affranchir l’être humain de la Nature ? » par exemple permet de nous faire réfléchir sur les relations complexes de l’écoumène.
Enfin, on remarquera aussi la contribution d’Hervé Théry sur la notion de Territoire et l’essai attenant « Mondialiser, est-ce déterritorialiser ou reterritorialiser ? » (p.366). La compétition entre les territoires est une réalité que l’accessibilité aux réseaux réels ou virtuels démontre jour après jour.

Ce dictionnaire n’est pas un énième ouvrage du genre. De lecture très aisée, il ouvre des portes à de nombreuses réflexions qui traversent tous les champs de la géographie. Toutes les entrées comprennent une bibliographie et des sites internet le plus souvent pertinents qui permettra de nombreuses ouvertures sur le sujet. Chaque essai, après son développement, bénéficie d’une petite synthèse toujours utile. Comment ne pas conseiller un ouvrage qui réussi haut la main ses postulats de départ ? Ainsi, tous les enseignants du secondaire auront intérêt à se le procurer pour ses nombreuses mises au point. Les élèves trouveront des définitions pertinentes pour approfondir leurs cours ou avoir un point de départ intéressant en ECJS. Elles sont pour la plupart d’un accès facile pour celui qui s’intéresse à notre enseignement. Mais, avant tout, les candidats aux concours de l’enseignement ne peuvent faire l’économie de cet achat, tant les problématiques sont nombreuses et pertinentes.

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