Pour les habitants de la Côte-du-Sud « l’année des anglois » n’évoquait pas seulement l’année de la chute de Québec. 1759 fut pour eux l’année de la plus grande catastrophe de leur histoire. L’étude s’appuie sur les correspondances, les journaux, mémoires et « relations » du siège de Québec.

Le texte de Gaston Deschênes est accompagné de nombreuses reproductions iconographiques de grand intérêt.

La Côte-du-Sud en 1759

Sous ce terme de Côte-du-Sud il faut comprendre la rive sud du Saint-Laurent et plus précisément la première rangée de lots, y compris les habitations, en bordure du fleuve. La Côte-du-Sud s’étend de Beaumont à Kamouraska, à l’est de l’immense seigneurie de Lauzon. C’est une zone assez peuplée mais plus à l’est, il n’y a pas de paroisses établies en 1759 et Rivière-du-Loup n’a qu’une cinquantaine d’habitants. L’auteur décrit en détail l’histoire depuis les premières installations et la situation des seigneuries et des paroisses au milieu du XVIIIe siècle comme Kamouraska ou Rivière-Ouelle. Outre une petite agriculture qui nourrit la ville de Québec, on pratiquait la pêche au hareng, au loup-marin, au marsouin. En 1755 un navire de Bayonne repartait de Kamouraska avec 500 barriques d’huile. On exploitait aussi le sel.

À la fin du régime français, ce sont donc une quinzaine de paroisses, environ dix mille habitants, soit 20 % de la population de la Nouvelle France.

Le récit suit les saisons de l’année 1759.

Le printemps sur la Côte-du-Sud

La guerre entre France et Angleterre a commencé en 1754 en Amérique même si la « guerre de Sept Ans » ne commence, pour des motifs non coloniaux qu’en 1756. La situation économique en Nouvelle France n’est pas bonne, la récolte de 1757 fut mauvaise et l’arrivée des Acadiens après la chute de Louisbourg aggrave la situation. En février 1759 la menace anglaise se précise.

portrait de Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry
portrait de Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry

Le 4 mai 1759, le gouverneur Vaudreuil envoie en mission Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry, qui se rend à L’Îlet-du-Portage (aujourd’hui Saint-André-de-Kamouraska) pour surveiller le fleuve et signaler toute présence de la flotte anglaise. Il doit aussi réunir les habitants en état de porter les armes et au besoin s’opposer à toute tentative de débarquement anglais.

« Le gouverneur ordonne : à tous les habitants de la coste du sud de pratiquer dans les bois des lieux pour y cacher leurs meubles, de se préparer à évacuer en entier leurs maisons, qu’aussi tost que la flotte sera en rivière, les femmes, enfants et bestiaux se rendront à la pointe de Lévis où ils trouveront de nouveaux ordres »1 .

Les ordres d’évacuation de la population vers les bois sont mal suivis. Le 27 mai les premiers navires anglais arrivent à l’île aux Coudres. La situation semble confuse en juin par exemple on ne sait où se sont réfugiés les habitants de Rivière-Ouelle ou de Kamouraska. A Québec Vaudreuil est plus préoccupé de situer les miliciens de la Côte-du-Sud, les hommes en état de porter les armes, c’est-à-dire âgés de plus de 15 ans. Le 27 mai, Chaussegros de Léry en a environ deux cents sous ses ordres, soit la moitié de ce qui était attendu, mais il faut aussi les nourrir et les équiper. Pendant ce temps la flotte anglaise remonte le fleuve, le 22 juin « 147 voilles ennemis étois depuis lisle aux Basques jusqu’au haut de lisle aux Lievres 2» (carte p. 44).

A la fin juin les curés sont invités à se retirer dans les bois avec leurs paroissiens : « La flotte anglaise remonte le fleuve. En conformité aux dispositions dont vous avez déjà été prévenus par l’ordre de M. le Gouverneur Général, vous vous retirerez dans les bois avec vos paroissiens, ayant le soin d’emporter ce que vous pourrez des effets de votre église. Vous engagerez vos paroissiens à continuer dans leur retraite, tant que la flotte anglaise demeurera dans les environs de Québec. Puisse Dieu nous délivrer bientôt d’un voisinage aussi incommode ! »3.

L’été

Dans la nuit du 26 au 27 juin, les rangers débarquent à l’île d’Orléans, l’occupation de l’île commence. James Wolfe qui commande l’escadre britannique est persuadé que les Français ont fortifié une batterie à Pointe-Lévy en face de Québec, il décide de débarquer des troupes à Beaumont, sur la rive sud. Malgré les ordres de Wolfe : « Aucune église, aucune maison, ni aucun bâtiment de quelque sorte ne doit être brûlé ou détruit sans ordre ; les hommes qui demeureront chez eux ainsi que leurs femmes et leurs enfants doivent être traités humainement : toute violence à une femme sera punie de mort »4, les exactions sont nombreuses notamment commises par les rangers ces miliciens recrutés dans les colonies anglaises. Les témoignages, y compris anglais, sont nombreux concernant les rangers commandés par Joseph Goreham.

« Je suis ici depuis dix jours […] avec mon bataillon pour couvrir des unités de Highlanders, une infanterie légère et des rangers qui s’acharnent à détruire le plus beau, le plus fertile et le meilleur de tous les pays habités que j’ai vus en Amérique et que bien peu d’endroits surpassent même en Angleterre. » Lieutenant-colonel Alexander Murray, 29 août 17595.

Le 1er septembre, un détachement (1600 hommes des troupes régulières et rangers) sous le commandement du major George Scott, doit dévaster toutes les paroisses où il rencontrera encore de l’opposition. C’est l’incendie de toute la Côte-du-Sud, pillage et destruction du grenier de la ville de Québec dont Wolfe fait le siège. L’auteur retrace cette équipée meurtrière qui dure jusqu’au 17 septembre.

L’automne

Québec est tombé le 13 septembre (bataille des Plaines d’Abraham)6, la capitulation a eu lieu le 18. La première préoccupation des miliciens venus de la Côte-du-Sud pour défendre la ville est le recherche de leur leur famille ? Où ont été enterrés les morts ? Où sont les prisonniers ? Certains ont été conduits en Angleterre.

La vie reprend lentement comme le montre la réinscription des actes (BMS) : à Rivière-Ouelle, en octobre sont baptisés des enfants nés entre le 29 mai et le 3 juillet. On inhume en terre chrétienne des morts de l’été.

Il faut trouver un abri et se préparer pour l’hiver. La pêche à l’anguille arrive à point si on ne croit une lettre de Vaudreuil au curé de Saint-Thomas. L’auteur évoque la présence de réfugiés acadiens, une centaine de familles d’après le recensement de 1762.

Les Anglais, désormais installés à Québec, doivent vivre sur le pays. Les habitants sont contraints à prêter serment : « Je promets et je jure devant Dieu solennellement que je serai fidèle à sa Majesté britannique le roi Georges second, que je ne porterai point les armes contre lui et que je ne donnerai aucun avertissement à ses ennemis qui lui puisse en aucune manière nuire. »7. Mais ces Canadiens sont-ils soumis ?

L’hiver et après

Les troupes françaises de Lévis, venues de Montréal, cesse toute activité avec l’hiver. Un corps de quatre cents hommes est stationné dans la paroisse de Pointe-aux-Trembles. Des détachements tentent de s’approvisionner sur la Côte-du-sud, la guerre reprend avec les Anglais. Une première victoire française a lieu à Sainte-Foy, le 28 avril mais les secours attendus de France, partis de Bordeaux en avril n’ont pu pénétrer dans le Saint-Laurent. La capitulation de Montréal survient le 8 septembre 1760. Le Traité de Paris en 1763 consacre la chute de la Nouvelle France.

Pour habitants de la Côte-du-Sud, c’est la présence de soldats à loger. Les relations avec les troupes écossaises sont meilleures qu’avec les Anglais. Les seigneurs français ne sont pas partis, ils sont présents dans le recensement de 1762. La population de la Côte-du-Sud augmente fortement dans la période qui suit la conquête, «la revanche des berceaux ». Mais des faits de résistance existent comme en octobre 1775, à Saint-Michel-de-Bellechasse où des habitants soutiennent l’attaque américaine sur Québec.

Épiloguemunuùment commémaratif année des anglais

Comme l’écrivait James Wolfe, le 2 septembre 1759, le pays a été réduit en cendres. L’équipée du major George Scott serait aujourd’hui condamné comme crime de guerre. La mémoire en est inscrite dans plusieurs monuments commémoratifs

En annexe, quelques documents :

Le rapport de G. Scott : Report of the tour to the south shore of the river ST. Lawrence et sa traduction

Un extrait des registres de Saint-Thomas, Montmagny : Actes de sépulture du seigneur Jean-Baptiste Couillard, de Joseph Couillard, de René D’Amours de Courberon et de Paul Côté, tous tués par les Anglais le 14 septembre 1759

Un extrait des mémoires du ranger David Perry

La population de la Côte-du-Sud d’après le recensement de 1762

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1 Extrait de « Lettres du marquis de Vaudreuil […] », Collection Northcliffe, Ottawa, 1927, p. 195-196. Cité p. 33

2 Cité P. 44 – L’île aux Basques est située en face de la ville de Trois-Pistoles.

3 « Lettre du vicaire général du diocèse (juillet 1759) », Mandements des évêques de Québec, II, p. 140-141. Citée p. 47

4 Extrait d’une citation de John Knox, An Historical Journal of the campaigns in North America for the years 1757, 1758, 1759 and 1760, vol. I, Toronto, 1914-1916, p. 400. Cité p. 54

5 Cité p. 49

6 Reproduction d’une vue fantaisiste du débarquement des troupes britanniques et de la bataille

des plaines d’Abraham publiée en 1797 (BAC, C-139911). p. 82

7 Cité p. 95