« Qu’est-ce que l’épistémologie ? L’épistémologie s’aborde en son sens étymologique comme théorie de la science, comme dynamique d’une pensée et d’un discours scientifiques.

L’épistémologie vise ainsi trois objectifs :

  • Un objectif de connaissance de la pensée dominante, c’est-à-dire la recherche de la problématique ou des problématiques majeures ;
  • Un objectif méthodologique pour faire saisir les modalités d’acquisition et d’organisation des connaissances qui seront utilisées ;
  • Un objectif de mise en lumière des démarches privilégiées pour l’organisation de la pensée scientifique, allant de la collecte des données aux procédures de contrôle des résultats. »

Présentation de l’ouvrage « Eléments d’épistémologie de la géographie » par l’éditeur

Présentation de l’éditeur

Comment définir la géographie ? Quels en sont les concepts opératoires ? Quelles interactions entretient-elle avec les disciplines voisines ? Quelle est la place de la géographie au sein du monde scientifique ? Et surtout quel est son rôle dans la compréhension du monde contemporain ?

En présentant les grands textes fondateurs, les principales démarches et écoles de la discipline, ainsi que ses notions fondamentales, cette approche épistémologique de la géographie dresse un panorama de l’histoire de la géographie et de ses relations avec l’ensemble des sciences sociales.

Véritable outil à l’attention des étudiants de premier cycle et des candidats aux concours de l’enseignement, la nouvelle édition de ce manuel de référence vient également éclairer les débats anciens et nouveaux, décrypter les positions idéologiques, analyser les héritages et les ruptures.

L’ouvrage réédité ici est un classique du genre, rédigé par Antoine Bailly[1], Robert Ferras[2] avec la collaboration pour la présente édition de Renato Scariati[3]. Les auteurs offrent une analyse épistémologique de la géographie à travers trois grandes parties.

L’épistémologie « ne signifie pas histoire, pas seulement histoire. En revanche, il n’y a pas d’épistémologie sans histoire. Telle est la précaution initiale à prendre, pour saisir les pensées dominantes et les démarches scientifiques » (p. 15).

La géographie est-elle une science ?

La géographie est-elle une science ? (chapitre 1). Elle s’est structurée progressivement comme les autres sciences sociales et a fait progresser ses méthodes et techniques, désirant prouver sa « plausibilité scientifique et ses bases épistémologiques » après s’être longtemps voulue empiriste.

La discipline dispose de « constructions intellectuelles méthodiques et organisées, de caractères hypothético-déductifs et synthétiques et destinées à être testées par l’expérience ou par l’observation » (théories), d’un certain nombre de « concepts et de construits capables de l’aider à trouver un ordre géographique » (p. 23).

Cette volonté de scientifisation de la discipline s’est affirmée et affinée parallèlement à la construction de celle-ci comme science sociale s’intéressant à l’organisation de l’espace et des sociétés. S’affranchissant d’une présentation historique remontant aux origines de la discipline, les auteurs préfèrent expliciter la voie vers la « cohérence doctrinale » en mettant en évidence des coupures chronologiques dont celles des années 1950 (chapitre 2) et 1975 (chapitre 3) qui sont essentielles.

La première rupture correspond à la période d’Emmanuel de Martonne et à la fin de la génération de l’École française vidalienne, essentiellement celle de la géographie régionale. Si elle reste descriptive et très attachée à l’analyse de l’influence physique sur la répartition des hommes, elle se modernise.

La période des « Trente Glorieuses » ouvre la « Nouvelle géographie » à l’international puis en France (W. Bunge, 1962, P. Haggett, D. Harvey, Peter Gould « The New geography, where the movement is », 1968, P. Claval, 1977). Elle propose des explications générales sur les processus et les mécanismes spatiaux. À partir des années 1970, la géographie se fonde donc peu à peu comme science.

Quelle géographie depuis les années 2000 ? (chapitre 4). Depuis 1975, la Nouvelle géographie s’approfondit en de multiples courants qui se renforcent : géographie critique, géographie des représentations, géographie politique, géographie théorique, géographie culturelle, géographie humaniste. C’est l’apparition d’une géographie post-moderne qui ne fait pas craindre l’éclatement de la discipline, au contraire ! (p. 55).

La géographie contemporaine, 1950 – 2000

La première partie traite de « la géographie contemporaine, 1950 – 2000 » en insistant sur la « cohérence doctrinale » de la discipline. Les auteurs posent d’abord la grande question qui a animé l’histoire de la géographie depuis des décennies : la géographie est-elle une science ? (chapitre 1). Elle s’est structurée progressivement comme les autres sciences sociales et a fait progresser ses méthodes et techniques, désirant prouver sa « plausibilité scientifique et ses bases épistémologiques » après s’être longtemps voulue empiriste.

La discipline dispose de « constructions intellectuelles méthodiques et organisées, de caractères hypothético-déductifs et synthétiques et destinées à être testées par l’expérience ou par l’observation » (théories), d’un certain nombre de « concepts et de construits capables de l’aider à trouver un ordre géographique » (p. 23).

Cette volonté de scientifisation de la discipline s’est affirmée et affinée parallèlement à la construction de celle-ci comme science sociale s’intéressant à l’organisation de l’espace et des sociétés. S’affranchissant d’une présentation historique remontant aux origines de la discipline, les auteurs préfèrent expliciter la voie vers la « cohérence doctrinale » en mettant en évidence des coupures chronologiques dont celles des années 1950 (chapitre 2) et 1975 (chapitre 3) qui sont essentielles. La première rupture correspond à la période d’Emmanuel de Martonne et à la fin de la génération de l’École française vidalienne, essentiellement celle de la géographie régionale.

Si elle reste descriptive et très attachée à l’analyse de l’influence physique sur la répartition des hommes, elle se modernise. La période des « Trente Glorieuses » ouvre la « Nouvelle géographie » à l’international puis en France (W. Bunge, 1962, P. Haggett, D. Harvey, Peter Gould « The New geography, where the movement is », 1968, P. Claval, 1977). Elle propose des explications générales sur les processus et les mécanismes spatiaux. À partir des années 1970, la géographie se fonde donc peu à peu comme science.

Quelle géographie depuis les années 2000 ?

Quelle géographie depuis les années 2000 ? (chapitre 4). Depuis 1975, la Nouvelle géographie s’approfondit en de multiples courants qui se renforcent : géographie critique, géographie des représentations, géographie politique, géographie théorique, géographie culturelle, géographie humaniste. C’est l’apparition d’une géographie post-moderne qui ne fait pas craindre l’éclatement de la discipline, au contraire ! (p. 55).

« Comprendre l’évolution de la discipline, de ses démarches et de ces concepts, constitue une étape fondamentale dans l’analyse de la pertinence de la géographie. La connaissance en géographie est le reflet de l’état de la société à une période de son histoire » (p. 113).

Épistémologie et histoire de la géographie

La seconde partie « Épistémologie et histoire de la géographie » décrit l’histoire de la géographie et en présente les textes fondateurs, les démarches et les écoles (chapitre 9). Il ne faut ainsi pas assimiler abusivement « épistémologie » et « histoire » d’où la nécessité d’un tableau chronologique soulignant les étapes essentielles de l’histoire de la géographie.

C’est tout d’abord l’histoire d’une science ancienne qui depuis l’Antiquité, participe du savoir des hommes par de simples réponses à la question  ? (chapitre 5). Elle s’est ensuite modernisée à la Renaissance (chapitre 6) avec le retour à la formule de Ptolémée : « La géographie est une représentation en image de l’ensemble du monde connu, ainsi que des phénomènes qui s’y déroulent » puis progresse avec les Lumières et le début de l’époque contemporaine.

Elle se dote d’outils tels que les grandes collections et revue aux XIXe et XXe siècles (chapitre 7). Cette époque s’ouvre au début du XIXe siècle avec la Géographie universelle de Malte-Brun et les Bulletins des sociétés de géographie. Le chapitre suivant s’intéresse justement aux Géographies universelles parallèlement à l’institutionnalisation de la discipline et sa généralisation.

Elles ouvrent donc un regard intéressant sur les évolutions de la Géographie à cette époque. Les deux derniers chapitres développent les démarches, écoles, définitions et concepts de la géographie à la fin du XXe siècle : espace, environnement, milieu, paysage, région, territoire (chapitre 10) …

« Faire de la géographie comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, c’est emprunter tous ses chemins » (p. 140).

Variations géographiques

La troisième partie (« Variations géographiques »), en évoquant la complémentarité et la compétition de la géographie avec les disciplines voisines, replace celle-ci dans le champ des sciences (chapitre 11). Le géographe, se trouve « confronté à un monde complexe, véritable chaos de pratiques spatiales ; s’il veut en comprendre la création, l’évolution, s’il veut chercher de l’ordre dans ce chaos, il doit s’intéresser non seulement aux processus visibles mais aussi à la symbolique des lieux, leurs aspects mythiques, leurs connotations subjectives » (p. 153).

Le géographe puise ainsi sa richesse dans un mélange permanent de réels et d’imaginaire (chapitre 12). Le chapitre 13 est consacré à l’analyse du discours géographique. Celui-ci, se voulant universel, donne du sens au monde. N’étant « pas seulement scientifique, le discours géographique n’est donc pas nécessairement normé ni fondé comme tel, car une science repose sur une série d’axiomes, sur un corpus fondateur qui manque à la géographie, malgré quelques tentatives » (p. 161). La géographie est-elle une grande famille ? (Chapitre 14).

La géographie regroupée par grand public se ramène à quatre familles qui empiètent parfois les unes sur les autres (p. 173) : géographie enseignée (universitaire et scolaire), géographie dite « grand public », géographie comme vecteur de culture et d’écrits et enfin une géographie de professionnels, de cabinets (appliquée). Le dernier chapitre pose la question : « où est la géographie et où en est la géographie ? » Elle est naturellement partout mais paradoxalement se fond donc dans le « nulle part ».

L’ensemble de la réflexion du livre est articulé autour de nombreux extraits de textes et complété par une bibliographie importante.

En définitive, cet ouvrage est un incontournable ! Il fournit à la fois des éléments d’histoire et d’épistémologie de la géographie et contribue à ce besoin constant d’une réflexion sur la discipline et sur ses enjeux qui se sont profondément renouvelés depuis 50 ans.

C’est donc une sorte de bible à avoir, sinon sur sa table de chevet a minima dans sa bibliothèque pour les étudiants et étudiantes de premier cycle universitaire à qui il s’adresse en premier lieu. Il est sinon à acquérir, au moins à connaître attentivement par les candidats se destinant aux concours de l’enseignement (capes et agrégations) qui ne peuvent ignorer les éléments qu’il contient et qui y trouveront un modèle en la matière d’écriture claire et d’un propos très didactique et pédagogique.


[1] Antoine Bailly est professeur émérite à l’université de Genève. Lauréat de la « Founder’s Medal » de Science Régionale 2008 (« la plus haute distinction en science régionale ») et lauréat du Prix Vautrin Lud en 2011 (le « Nobel » de géographie), il a publié de nombreux ouvrages en géographie économique et urbaine, ainsi qu’en didactique et en épistémologie de la géographie. Spécialiste de science régionale et de médicométrie, il a été président des géographes suisses et président des sciences régionales internationales.

[2] Robert Ferras, était agrégé de Géographie, docteur d’État, ancien enseignant à l’Université Paul-Valéry de Montpellier et directeur de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (I.U.F.M.) de Montpellier. Spécialisé en géographie urbaine (nombreux ouvrages sur Montpellier et la région Languedoc-Roussillon), Robert Ferras a fondé (avec Roger Brunet) la Maison de la Géographie et le G.I.P. Reclus à Montpellier. Cofondateur de la revue Mappemonde parue en 1986, il a participé à la rédaction de la Géographie universelle en 10 volumes, sous la direction de Roger Brunet. Il est décédé en 2013.

[3] Renato Scariati, géographe, documentaliste et bibliothécaire, est en charge des collections des sciences sociales à la Bibliothèque de l’Université de Genève. Il a été membre du jury du Prix Ptolémée au Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges. Il poursuit des activités de recherche et est auteur de nombreuses publications, en particulier sur des thèmes de géographie humaniste.

 

©Rémi Burlot, pour Les Clionautes