Cet album, paru chez Akinomé est votre deuxième album pour enfant. Pourquoi écrire pour les enfants ?
C’est un concours de circonstances. Comme j’aime dessiner et créer, j’ai conçu totalement le premier ouvrage, illustrations et textes pour les enfants.
Ce deuxième volume est le fruit d’une rencontre avec Carole Fritsch dont j’ai repéré les aquarelles sur internet. Passionnée des jardins japonais, Carole est ingénieur paysagiste. Elle a passé plusieurs mois à Kyoto dans le cadre d’un séminaire de formation. Ses illustrations m’ont séduite et elle a répondu positivement à ma proposition de travailler sur un ouvrage commun. Un nouvel album jeunesse s’est donc imposé.
Pourquoi avez-vous choisi le Japon ?
Carole m’a proposé de faire connaître la culture nippone aux plus jeunes. Personnellement, j’adore l’univers de Hayao Miyazaki. Nous avons donc choisi cette destination avec un jeune garçon comme héros.
Vous êtes-vous documentée pour faire cet ouvrage ?
Le shintoïsme m’a demandé des recherches. Familiarisée à cette religion par les films et les mangas, il a fallu que je précise la différence entre les esprits (les yokaï) et les dieux (les Kami), des personnifications des forces de la nature, tous issus des croyances ancestrales, qu’il convient d’honorer et de remercier.
Comment avez-vous travaillé avec l’illustratrice, vous qui dessinez également ? Quels liens entre l’écriture et la mise en dessin ? On sent une symbiose parfaite entre les deux, ce qui fait que je me suis demandée qui avait commencé ?
Nous avons vraiment travaillé ensemble. J’ai commencé par écrire le texte. Carole fait des croquis au crayon gris, auxquels elle ajoute le texte. Elle réalise ses storyboards en A3. Puis elle passe à l’aquarelle. Une fois numérisée, la page est corrigée avec Photoshop, pour la lumière, la vivacité des couleurs… Ce qui a été vraiment difficile pour elle, est le rendu de la grotte, la transparence de la glace.
Peut-on parler de co-construction ?
C’est tout à fait cela. Après s’être mises d’accord sur le schéma narratif, Carole m’a proposé ses dessins au fur et à mesure. A chaque étape, on en a discuté pour aboutir aux pages finales. On s’est influencée mutuellement.
Personnellement, j’ai adoré les doubles pages dans la grotte. Ce dégradé de bleu et la suggestion de la nature emprisonnée dans la glace sont superbes. Quelle page préférez-vous ?
Oh c’est difficile car je les ai vues toutes évoluer. J’ai un faible pour la vue d’ensemble de la nature endormie quand l’enfant perdu est assis sur une pierre. Les sous-bois sont magnifiques : le dessin délicat, les couleurs douces rehaussées de petites touches rouges. La neige recouvre tout : des résineux et des feuillus, des baies, quelques plantes persistantes.
Pourquoi avoir choisi l’éditeur Akinomé ?
Il n’est pas facile pour les jeunes auteurs de se faire une place aujourd’hui. Nous avons envoyé notre projet à une quarantaine d’éditeurs et Akinomé a fait partie de ceux qui nous ont répondu favorablement.
L’enjeu environnemental qui émane de cet album vous tenait-il à cœur ?
Touchée par la nature et la beauté des saisons au Japon, les problèmes écologiques sont dans mes préoccupations. Pour cet ouvrage, l’éditeur nous a demandé d’ajouter cet enjeu prospectif.
Un autre message est-il induit ?
L’histoire de Gyô inclut un chemin initiatique puisque l’enfant grandit en réparant sa bêtise. On voit d’ailleurs l’escalier qui le conduit vers une vieille dame, puis la route vers l’avenir qui s’ouvre devant lui au-delà du torii à la fin de l’histoire. Il réalise l’importance des éléments de la nature. Enfant du prêtre Ren, il apprend à ses dépens la fragilité de toute chose, ici le vase. Après son aventure, il retrouve son père qui lui aussi a rencontré Baba-san ? Il lui transmet son savoir.
On peut ajouter une dimension civique puisque par la réparation de sa bêtise, Gyô agit en faveur du retour du printemps et du bien de la planète. Gyô prend part à l’effort que doit faire l’humanité pour réparer le dérèglement qu’elle a causé.
Qui a eu l’idée du bricolage à la fin du volume ?
Le printemps de Gyô est sorti dans la collection des albums créatifs. Il fallait donc inventer des bricolages pour les enfants. Carole a conçu les deux feuillets pour l’éventail de Baba-san. J’ai dessiné les masques de Setsubun, la fête du 3 février qui célèbre le passage de l’hiver au printemps. Pour la grue en origami, l’éditeur a fourni les deux motifs.
L’origami de la grue n’est-il pas un peu difficile ?
Non. Il est nécessaire de bien se concentrer avec l’enfant. Réaliser un origami est très apaisant, comme une sorte de méditation. Le QR code sur le livre donne accès à une vidéo qui montre les pliages successifs.
Parlons des animaux. Pourquoi ces choix ?
Pour les animaux non magiques, la grue s’est imposée. Ces animaux qui migrent vers le nord sont si beaux ! De plus, ils sont symboles de longévité et de bonne fortune (dans l’histoire, la grue attrape l’éventail et sauve le printemps). On a choisi le lièvre car il nous fallait un être doux, petit et sympathique.
Pour les animaux magiques, la culture japonaise nous a guidés. Le renard à 9 queues est un kitsune qui a le pouvoir de se métamorphoser : on le retrouve Pompoko, film d’animation d’Isao Takahata. Dans les croyances, ce yokaï s’avère effrayant et peu sympathique. Quant au cerf sur l’illustration où Gyô est perdu, il est inspiré de Princesse Mononoke.
Et les fleurs ?
L’illustratrice invite la fleur de cerisier si symbolique du printemps pour les Japonais, sur la plupart des pages, en introduction, sur les murs du temple, dans les cheveux de Baba-san et quand la nature se réveille. Sur la lanterne rouge, le mot O-Hanami est peint. O-Hanami est un picnic souvent familial pris sous les cerisiers en fleurs, un moment convivial qui célèbre le printemps.
Qu’est-ce qui vous a semblé le plus difficile dans votre processus créatif ?
Il a fallu allier le conte traditionnel et un message sur le réchauffement climatique sans parler des responsabilités de la modernité et de sa technologie comme la déforestation et la pollution atmosphérique. Nous avons placé un camion rouge et une pelleteuse qui participe à l’abattage des arbres, des petits signes qui montrent les problèmes d’aujourd’hui.
Gyô porte un vêtement assez neutre, proche du costume traditionnel mais actualisé.
Trouver la représentation de Baba-san n’a pas été simple. Comment représenter un esprit ? Son allure finale est inspirée de la forme du manteau d’Ashitaka, le héros dans Princesse Mononoké.
Pensez-vous que les Japonais sont plus sensibles aux défis écologiques d’aujourd’hui ?
Il existe deux réponses à cette question. Par leur religion et la localisation de leur archipel en zone sismique, les Japonais respectent et se soumettent à une nature puissante. Pourtant, ils sont de grands utilisateurs de plastique et d’emballages de tout genre. Ils émettent une grande quantité de déchets. Ce sont de grands pollueurs.
Quels sont vos prochains projets ?
Je viens de terminer un livre d’anticipation pour les adolescents et les adultes. Métacités paraitra en octobre 2021 chez IGB éditions.
Vous êtes professeur d’histoire-géographie. Y a-t-il une relation entre vos deux activités ?
Je suis chargée de mission pour la DAAC de l’académie de Nice, afin de piloter des projets, notamment par des ateliers d’écriture. J’anime aussi des ateliers créatifs d’origamis pour les primaires mais aussi dans le secondaire.
Propos recueillis le 20 avril 2021 par Christine Valdois, rédactrice pour la Cliothèque et l’association des Clionautes.