Compte-rendu par Philippe Retailleau (La Réunion)
L’ouvrage que publie Jean-Marc Zaninetti, professeur de géographie à l’université d’Orléans et spécialiste de « démogéographie », s’inscrit dans la jeune collection « Licence » des éditions P.U.F.. Il s’agit du troisième titre de géographie de la collection, après les excellentes synthèses de Nancy Meschinet de Richemond et Freddy Vinet (« Aléas naturels et gestion des risques ») et de Mongi Bourgou et Jean-Marie Miossec (« Les littoraux : enjeux et dynamiques »). Les collègues soucieux de mettre à jour leurs connaissances et de nourrir certaines problématiques autour de la croissance démographique, du développement et du développement durable sauront tirer profit de ces synthèses très pertinentes.
Sur une question complexe, qui a déjà fait l’objet de vulgarisations intéressantes de la part de spécialistes tels que Daniel Noin ou Gérard-François Dumont sur la géographie de la population ou Guy Baudelle sur la géographie du peuplement, le livre de Jean-Marc Zaninetti pose un regard à la fois général et personnel : il entend présenter une synthèse classique sur deux spécialités de la géographie inégalement explorées par ses devanciers et proposer un essai permettant de revisiter la relation que l’homme entretient avec son environnement à la lumière des théories néo-malthusiennes.
Si l’auteur entend montrer la diversité des phénomènes traités, il n’a pas pour ambition affichée de faire oeuvre théorique : il s’agit donc ici, comme le soulignent le titre et l’introduction générale, d’une géographie des populations et des peuplements. Mais Jean-Marc Zaninetti ne traite pas les deux domaines d’étude à parts égales, justifiant dès lors la critique de Guy Baudelle dans son excellente « Géographie du peuplement » (Armand Colin, coll. Cursus, 2000 pour la 1ère édition) qui reprochait aux « démogéographes » de verser davantage du côté de l’analyse démographique plutôt que de celui du travail proprement géographique de la question.
La « géographie des peuplements » est réduite aux chapitres I et II portant respectivement sur le « concept d’oekoumène » (p. 25) et sur l’explication des formations de densité : ce sont certes de bonnes mises au point mais elles sembleront bien courtes, voire superficielles, à ceux qui s’attendaient à trouver en la matière des développements plus substantiels. Sur ce point, nous les engageons donc fortement à lire et à s’imprégner de la riche synthèse de Guy Baudelle déjà évoquée.
Si l’on peut éventuellement trouver regrettable que la « géographie des populations » et les questions démographiques se taillent la part du lion (huit chapitres sur dix et 200 des 268 pages du livre!), concédons toutefois que l’auteur a le souci constant de placer ses analyses démographiques dans la perspective d’une réflexion géographique globale qui fait tout l’intérêt de l’ouvrage. D’ailleurs, le nombre significatif de cartes renforce ce constat.
Pointant la nécessité de « mettre l’accent sur les dynamiques temporelles du peuplement humain » sur la terre et « d’observer les inégalités de développement dont témoignent les indicateurs démographiques», Jean-Marc Zaninetti organise sa synthèse autour de « l’étude exclusive des processus transitionnels qui expliquent la croissance démographique et ses effets sur les territoires » (p. 10). Les chapitres III à IX constituent ainsi de très précieuses synthèses sur la transition démographique et sa diffusion géographique, le vieillissement de la population, les perspectives démographiques, les transitions urbaine et migratoire, « modèles de transition corollaires du modèle démographique » (p. 17).
Les collègues enseignant en classe de cinquième notamment tireront profit du chapitre V relatif aux disparités géographiques de la croissance démographique, l’auteur s’attachant à illustrer le propos suivant : « Les statistiques démographiques sont des témoins précieux des disparités de développement et des défis auxquels sont confrontés les différents pays du monde. » (p. 83) L’auteur souligne notamment, exemples à l’appui, l’intérêt de l’indicateur de l’espérance de vie à la naissance : « La carte de l’espérance de vie est le meilleur indicateur des inégalités de développement dans le monde. » (p. 92)
Dans l’excellent chapitre VII consacré aux perspectives démographiques, Jean-Marc Zaninetti montre en quoi les projections de population de l’ONU, dont il montre certaines limites, sont des outils de gouvernance qui nous aident à saisir les enjeux géopolitiques, économiques, sociaux, environnementaux des évolutions démographiques attendues, notamment pour l’Afrique, l’Europe, la Chine, l’Inde ou le Brésil.
Au fil des chapitres, l’auteur souligne les précautions à prendre avec la chose statistique, et remet en cause certaines idées reçues, notamment concernant la Chine : « Nous ne sommes pas à l’abri de grosses surprises démographiques dans les prochaines années. C’est en particulier le cas du recensement décennal en cours en Chine populaire. Après avoir abandonné la politique de l’enfant unique, le régime préoccupé par le vieillissement démographique veut enfin connaître la population réelle du pays, y compris les enfants qui ont été cachés à une époque où les familles nombreuses étaient pénalisées. La population chinoise est sans doute plus nombreuse que l’estimation officielle de 1, 35 milliard d’habitants. Selon l’ampleur de l’écart mesuré, les données démographiques mondiales devront être révisées de manière plus ou moins radicale dans les toutes prochaines années. » (pp. 83-84) L’auteur rappelle également combien le taux d’urbanisation de la Chine a été grossièrement sous-estimé, du fait de la non prise en compte des « Mingong » que le gouvernement a depuis peu décidé de recenser dans les villes où ils se trouvent et non plus dans les campagnes auxquelles les rattache administrativement leur permis de résidence.
Jean-Marc Zaninetti, remarquablement au fait des différents indicateurs statistiques en matière de démographie ou de développement durable, nous en livre en général une très bonne analyse critique même s’il a parfois tendance à en valoriser certains qui continuent de faire l’objet de controverses comme celui de l’« empreinte écologique » …
L’auteur se livre parallèlement à un essai réflexif sur les relations que l’homme entretient avec son environnement. Tout en pointant l’intérêt du fameux rapport Meadows (1972) qui esquissait « le cadre conceptuel d’une écologie de l’homme en tant qu’animal social hautement organisé » (p. 19) et refondait la pensée malthusienne, Jean-Marc Zaninetti entend illustrer le constat suivant : « La société exerce une double pression sur son environnement : pression sur les ressources que les hommes prélèvent dans leur environnement d’une part, et pression par les déchets qu’ils émettent et que l’environnement doit stocker et recycler si possible d’autre part. » (p. 19) L’auteur analyse alors le concept de crise environnementale, sous la double forme d’une crise des ressources et d’une crise de pollution probables, dans le chapitre X qui sera sans doute le plus discuté tant il se place dans le droit fil des analyses néo-malthusiennes tout en utilisant un vocabulaire à tonalités volontiers catastrophiste et polémique : si la question qui sert de titre au dernier chapitre est très loin d’être dénuée d’intérêt (« La Terre est-elle vraiment surpeuplée? » au sens d’une surpopulation relative confrontée aux défis d’une crise environnementale), à quoi bon parler par exemple du « mantra de la croissance » (p. 214) ou de « climatosceptiques stipendiés par les intérêts pétroliers » (p. 239)?
Dans sa conclusion finale, l’auteur résume bien la veine dans laquelle s’inscrit l’essai qu’il assume ici : « Avec le changement climatique, l’homme atteint bel et bien une limite globale à la croissance. […] Malthus avait donc fondamentalement raison, même si la limite à la croissance n’est pas de nature démographique mais économique, et si le facteur limitatif n’est pas principalement l’insuffisance de production agricole, au moins à moyen terme, mais l’incapacité de l’environnement à recycler nos déchets. » (p. 251) Pour l’auteur, il convient dès lors de s’orienter, entre autres, vers la décroissance chère à Serge Latouche.
On l’aura compris, si cette synthèse mérite d’être lue tant pour le nombre que pour la qualité des données qu’elle livre, elle comprend toutefois bien des éléments de nature à susciter un vif débat…
Philippe Retailleau Les Clionautes