La géographie des populations, une discipline sans avenir ? Après une transition démographique qui toucherait tous les pays sur tous les continents, nous irions en effet vers une homogénéisation géodémographique du monde. De même, dans le contexte de la mondialisation et la multiplication de migrations de tous types, tous les pays connaîtraient une nature migratoire identique, à la fois d’émigration, d’immigration et de transit. Dernier phénomène qui aurait un caractère automatique : l’urbanisation. Le concept de « transition urbaine » s’appliquerait de façon analogue aux différents territoires de la planète. Une « mondialisation géodémographique », c’est-à-dire une convergence des populations du monde vers des caractéristiques communes, semblerait inévitable. Pourtant, Gérard-François DUMONT (économiste, démographe et géographe, il est professeur à l’université de Paris 4 Sorbonne) tente de lutter contre une conceptualisation trop importante des données démographiques en prenant davantage en compte les contextes géopolitiques, politiques, économiques, sociaux et culturels qui expliquent la variété des populations du monde. Chacun des 5 chapitres est ainsi organisé selon la même trame : définition et critique des concepts, repérage des dynamiques, analyse des prospectives.

 

Chapitre 1 : Les dynamiques démographiques fragmentées des Pays du Sud

Adolphe LANDRY est à l’origine de la théorie de la transition démographique, conceptualisée dans son ouvrage La révolution démographique (1934). Elle se divise en 3 étapes. Le régime primitif se caractérise par un fort taux de mortalité, notamment infantile et un haut niveau de natalité. Le taux d’accroissement naturel est alors très variable selon les années, selon le niveau de natalité et les évolutions de conditions de vie. Dans la 2ème étape, la population progresse fortement grâce à une baisse de la mortalité (meilleure alimentation, meilleure hygiène, progrès de la médecine et progrès techniques) et un taux de natalité qui reste encore élevé. Dans la 3ème étape de décélération, la natalité baisse par suite de la baisse de la fécondité. Le taux de croissance démographique baisse donc progressivement. Le processus est quasi-universel mais il existe toutefois une diversité de calendrier et d’intensité.

L’Afrique est le continent le moins avancé dans la transition démographique. La forte augmentation, actuelle et future, de sa population devrait en faire rapidement le deuxième continent le plus peuplé du monde. Pourtant, il existe de forts écarts de taux de natalité et de mortalité entraînant d’importantes différences de dynamiques des populations selon les pays. La situation de l’Inde est différente. Elle est d’abord un géant démographique pluriséculaire. Elle a entamé la 2ème étape de sa transition démographique plus tôt, dans les années 1980. Mais les disparités dans l’évolution démographique y sont également considérables entre les territoires. L’Inde est surtout un cas intéressant car elle contredit les « lois permanentes de notre nature » de MALTHUS (1798) : « je dis que le pouvoir multiplicateur de la population est infiniment plus grand que le pouvoir de la Terre de produire la subsistance de l’homme ». Dans la période allant de l’indépendance en 1947 à aujourd’hui, l’Inde dément MALTHUS avec une augmentation de la production alimentaire et de richesses plus élevée que celle de la population. L’augmentation de la population due à la transition démographique n’est pas donc un obstacle en soi au développement. La transition démographique s’est par contre achevée en Chine. Elle entre même en phase de dépopulation, conséquence de la politique de l’enfant unique, aujourd’hui remise en cause. La Chine pourrait ainsi se voir dépasser dès 2020 à la première place au classement des pays les plus peuplés du monde. Les populations des pays arabes, qui connaissent une baisse générale de leur fécondité, sont également étudiées.

Le futur démographique des pays du Sud n’est pourtant pas gravé dans le marbre. Il s’agit d’un ensemble fragmenté qui va le rester. Mais il existe des incertitudes sur les évolutions des taux de natalité et de mortalité. Par exemple, l’Afrique devrait passer de 1,2 milliard d’habitants en 2015 à 2,5 milliards en 2050 à 4,5 milliards en 2100. Elle passerait de 16 à 40% de la population mondiale. Mais de mauvaises conditions sanitaires (augmentation de la prévalence du VIH en Afrique Australe), les guerres ou la mauvaise gouvernance pourraient avoir des conséquences sur cette « trop » prévisible évolution.

 

Chapitre 2 : Les dynamiques naturelles variées des Pays du Nord

De nombreux pays du Nord ont terminé leur transition démographique, certains depuis plusieurs décennies. Ils entrent alors dans un nouveau processus post-transitionnelle, avec de nouvelles dynamiques. L’Europe est entrée dans un hiver démographique. La fécondité est nettement et durablement en-dessous de seuil de remplacement de la population. Plusieurs théories essayent d’expliquer cette faible densité : du choix rationnel, de l’aversion du risque, de l’équité entre les sexes. Elles doivent être combinées avec des explications culturelles et sociologiques. La révolution contraceptive est aussi à prendre en compte. Comment alors expliquer la diversité de la géographie de la fécondité en Europe ? Gérard-François DUMONT remarque qu’il existe une corrélation entre le niveau des prestations familiales et la fécondité (également dans le n°736 de Population & Avenir). Les facteurs politiques ont donc également leur place.

La comparaison entre l’Allemagne et la France est à ce sujet éclairante. La plus forte fécondité en France peut s’expliquer par un meilleur accueil de la petite enfance dans les crèches ou par des assistantes maternelles puis à l’école maternelle gratuite pour tous à partir de 3 ans qui est le résultat des efforts combinés de l’Etat, des départements et des communes. La Russie est un cas extrême. Son poids démographique dans le monde ne cesse de décroître. Elle a atteint son maximum de population en 1993 avec 148,4 millions d’habitants. Le population y baisse presque tous les ans à cause d’un excédent de décès sur les naissances. De plus, l’espérance de vie n’était que de 59 ans pour les hommes en 2006. L’État essaye depuis d’enrayer cette évolution négative par un programme qui fournit une aide financière au deuxième enfant, utilisable pour l’achat d’un logement ou les études.

A l’échelle des pays du Nord, on devrait assister à une fragmentation des dynamiques démographiques. Elle peut être illustrer par la comparaison entre les Etats-Unis et le Japon. Cette fragmentation dans les pays du Nord combinée à celle dans les pays du Sud nous obligent à nuancer les projections envisagées à l’échelle mondiale de 9 à 10 milliards d’habitants.

 

Chapitre 3 : Les migrations internationales : processus renouvelé et espaces migratoires disparates

On peut également se demander si la fragmentation des espaces migratoires va s’accentuer ou se réduire dans le futur. On distingue quatre facteurs migratoires « classiques » : politico-religieux (fuite d’une guerre), économique (recherche de meilleures conditions de vie), démographique (exemple de l’Irlande au XIXème siècle) et composés. Ils aboutissent à des flux radiaux comme par exemple l’émigration d’un million de cubains depuis 1959 surtout vers les États-Unis. 3 nouvelles logiques ont un impact sur les migrations internationales : la globalisation (libre circulation facilitée par la dévaluation des frontières), l’internationalisation (réduction de l’espace-temps par la révolution des transports) et la mondialisation. Les migrations sont ici davantage réticulaires.

Les États-Unis combine désormais tous ces facteurs. Les flux auparavant surtout Nord-Nord et intra-américains (du Mexique notamment) s’additionnent aujourd’hui à des flux transatlantiques (de l’Afrique) et transpacifiques. On parle d' »Etat-monde » composé d’un ensemble de minorités originaires de tous les continents et sous-continents. L’Inde est davantage un pays d’émigration. La première vague d’émigration date du XIXème siècle vers l’Afrique et l’Asie du sud-est (en tant que main d’œuvre bon marché). Comme la deuxième vague après l’indépendance, elle relève de logiques migratoires classiques. La 3ème vague vers les pays producteurs de pétrole dans les années 1970 et la 4ème vague dans les années 1990 d' »émigrants entrepreneuriaux » correspondent plus aux nouvelles logiques. Les migrations entre pays, voire continents fonctionnent souvent selon le diptyque répulsion/attraction. Ainsi l’Afrique apparaît comme un continent répulsif. Le taux d’accroissement migratoire y est négatif depuis 1950 (- 2 à 3 millions par an) à cause d’insatisfactions politique et économique. L’effet d’âge joue aussi un rôle dans l’émigration vers des territoires attractifs comme l’Europe, proche géographiquement et historiquement. Depuis le milieu des années 2010, l’Europe est devenue le premier espace d’immigration par cumul des entrées régulières et irrégulières. Mais elle concerne surtout l’Europe de l’Ouest que les facteurs soient classiques (émigration syrienne à cause de la guerre) ou nouveaux (besoin de main d’œuvre non qualifiée, qualifiée ou étudiants).

L’ONU semble tabler sur un ralentissement graduel des migrations internationales dès la fin des années 2010. Pourtant, au-delà du maintien des facteurs migratoires classiques, les nouvelles logiques migratoires pourraient encore se déployer et d’autres apparaitre (dues au changement climatique par exemple). Il faut noter qu’encore 96% des habitants de la Terre habitent leur pays de naissance.

 

Chapitre 4 : L’urbanisation : une évolution homogène ou diversifiée ?

L’urbanisation est un processus géodémographique inédit par son intensité et sa diffusion à toutes les régions du monde. Elle bouleverse la géographie des populations. François MORICONI-EBRARD propose le concept de transition urbaine. Dans une phase A l’urbanisation est faible, puis elle augmente de manière exponentielle dans une phase B avant de se stabiliser dans une phase C. Mais pour Gérard-François DUMONT le concept de « transition démographique urbaine » est davantage opératoire. Il marie l’apport de la transition démographique et de la transition urbaine. Elle résulte à  la fois de l’évolution de la mortalité, de la natalité et des migrations. En moyennes mondiales, la transition démographique urbaine se serait terminée en 2008. Pourtant John GRAUNT dans son ouvrage sur Londres en 1662 met en évidence la surmortalité systématique en ville par rapport aux territoires environnants et en conclue que l’urbanisation se trouvera forcément limitée car les conditions de vie en ville s’aggravent parallèlement à l’augmentation de la population urbaine, notamment en lien avec la consommation d’énergie croissante et la pollution. Londres atteint 2 millions d’habitants en 1840. New York est la première ville atteignant 10 millions d’habitants en 1929. En 2008, 50% de la population mondiale vit en ville ! Dans la 1ère étape de la transition démographique urbaine, contrairement aux effets prétendus mortifères de la ville de GRAUNT, le taux d’accroissement naturel progresse davantage en ville grâce à une meilleure diffusion des progrès médicaux et d’hygiène permettant une baisse de la mortalité. La population urbaine augmente également grâce à l’émigration rurale. Dans la 2ème étape, l’accroissement naturel et l’émigration rurale décroissent.

Cette progression de l’urbanisation aboutit pourtant à des formes d’armatures urbaines variées. Elles peuvent être macrocéphales (France), bicéphales ou polycéphales. La même progression de l’urbanisation en Amérique du Nord n’a pas entraîné les mêmes effets sur les armatures urbaines nationales, devenant davantage polycéphales aux Etats-Unis et moins au Canada. L’Afrique connaît l’urbanisation la plus tardive mais son rythme y est particulièrement soutenu. On y compte aujourd’hui 3 Mégapoles : Le Caire, Lagos et Kinshasa. 41% de la population africaine vit en ville en 2017. On distingue toutefois 3 Afrique urbaines : le Nord aux structures urbaines diversifiées, l’Afrique du Sud dont l’armature urbaine est liée à l’industrialisation et le reste de l’Afrique où l’urbanisation est d’intensité variable selon les contextes régionaux.

Depuis le début des années 1990, l’urbanisation est stimulée par la métropolisation qui renforce la concentration des fonctions et des hommes dans les espaces urbanisés les plus peuplés. Mais l’urbanisation rencontre aussi des limites. On constate ainsi une très légère régression du taux d’urbanisation en France. L’agglomération parisienne est répulsive depuis 1975. La dynamique des métropoles dans le monde est très variée. L’avenir de l’urbanisation n’est pas donc écrit.

 

Chapitre 5 : Le vieillissement fort différencié des populations

Le vieillissement de la population est un phénomène sans précédent par son intensité et surtout son caractère universel. Il est appelé à se prolonger dans les Pays du Nord et à s’intensifier ou commencer dans les pays du Sud. Il faut toutefois distinguer vieillissement stricto sensu qui correspond à l’augmentation de la proportion de personnes âgées et la gérontocroissance qui voit l’augmentation du nombre de personnes âgées dans la population. Le vieillissement s’enclenche inévitablement lorsque se termine la 2ème étape de la transition démographique entraînant une baisse de la fécondité (vieillissement « par le bas »). Dans la période post-transitionnelle, l’intensité du vieillissement dépend de l’histoire démographique ( vieillissement « par le haut »). La composition par âge des flux migratoires joue aussi un rôle.

Le laboratoire du double vieillissement est le Japon. Il connaît à la fois un fort vieillissement par le bas (faible fécondité) et par le haut (forte espérance de vie). Il est renforcé par l’absence de flux de jeunes immigrants. La Chine connait le même processus avec une intensité moindre et avec une différenciation régionale plus accrue. Les provinces littorales profitent de l’arrivée de migrants jeunes alors que les régions centrales qui subissent l’exode connaissent pour certaines le dépeuplement.

Selon les projections moyennes de l’ONU, tous les pays connaitront d’ici 2050 une augmentation de leur nombre de personnes âgées. Mais elles écartent les ruptures possibles comme les risques de baisse de l’espérance de vie à cause de guerres meurtrières ou d’épidémies. L’ONU a également mis en place le concept de « migrations de remplacement » c’est-à-dire les migrations internationales dont un pays a besoin pour enrayer son dépeuplement, maintenir sa population active et/ou empêcher le vieillissement de la population. Plus de 89 millions de migrants nets seraient nécessaires en France jusqu’en 250, 181 millions en Allemagne, 524 millions au Japon !

 

Cet ouvrage met à jour les grandes tendances démographiques au XXIème siècle : croissance démographique ralentie, augmentation du poids démographique de l’Afrique et de l’Inde dans la population mondiale, migrations internationales de plus en plus mondialisées, urbanisation accrue, vieillissement généralisé. Mais Gérard-François DUMONT insiste sur l’importance de la fragmentation du monde à toutes les échelles qui font varier ces tendances générales dans le temps, dans l’espace, en intensité et même parfois s’y oppose. On ne peut donc pas parler de « mondialisation démographique » tant les divergences sont profondes. Les éléments de prospectives proposés dans les différents chapitres prouvent que les tendances démographiques lourdes fournissent des indications sans que l’avenir soit certain. La prise en compte des contextes régionaux et nationaux est indispensable. Il faut garder à l’esprit que de nouveaux risques, à l’origine de nouvelles logiques peuvent perturber les modèles.

Cet ouvrage s’avère donc complet sur le sujet. Il est surtout intéressant car il ne se contente pas d’une simple description des phénomènes démographiques mais il les problématise et en révèle la complexité. Au-delà de la définition des principaux concepts et leurs critiques, l’enseignant d’histoire-géographie y trouvera de nombreuses études de cas, utiles par exemple pour le 1er thème de géographie en 5ème, des données actualisées et un cahier cartographique mis à jour particulièrement utile.