Spécialisée en histoire militaire, la collection Illustoria accueille pour la quatrième fois un opuscule du professeur Yann Le Bohec, universitaire reconnu dont l’expertise de l’armée romaine fait autorité. Après avoir traité des batailles de Teutoburg (9 ap. J-C.) et de Lyon (197 ap. J-C.), il évoque ici celle du Harzhorn. Les deux premières sont connues de longue date grâce aux écrits antiques. Or tel n’est pas le cas de la troisième, exemple rare d’une bataille inconnue, révélée par l’archéologie sans être mentionnée par les sources anciennes.

Une découverte inattendue

Le Harzhorn est une petite hauteur du land de Basse-Saxe. Des objets métalliques trouvés fortuitement lors d’une prospection au détecteur (pratique légale en Allemagne) sont remis aux autorités archéologiques régionales en 2008. Leur identification révèle qu’il s’agit d’équipement militaire romain. Des fouilles institutionnelles sont alors menées aux abords du lieu de la découverte. Elles permettent une abondante collecte d’artefacts. Les déductions et interprétations issues de cette étude archéologique révèlent un champ de bataille où se sont affrontés Romains et Germains.

Or la « bataille oubliée » du Harzhorn cumule les surprises. La première est sa datation chronologique contre-intuitive. La seconde est sa localisation géographique. L’épisode se place en effet vers le milieu du IIIe siècle, à une époque tardive où les Romains sont sur la défensive dans leur propre territoire régulièrement envahi par les barbares. Aucune incursion militaire romaine aussi loin en Germanie n’est donc censée être possible ! Un troisième motif d’étonnement s’y ajoute. Dans cette situation chaotique où des invasions barbares récurrentes ouvrent la voie à un processus de dislocation de l’empire, la capacité combative des troupes romaines est réputée érodée par l’affaiblissement de leurs vertus militaires. Mais au Harzhorn, l’affrontement est gagné par les troupes impériales.

Yann Le Bohec brosse d’abord minutieusement un tableau d’ensemble qui permet d’établir le contexte général. L’historique des guerre germano-romaines depuis l’invasion des Cimbres et des Teutons est récapitulé. Les peuples et confédérations germaniques, leur culture guerrière et leurs modes de combat sont présentés. L’état des armées romaines, leur organisation, la valse des empereurs dans le tumulte de la crise du IIIe siècle, les invasions barbares qui ballotent alors l’empire sont également rappelés. C’est dans ce cadre que se place le combat du Harzhorn dont vient ensuite l’évocation.

La reconstitution archéologique de la bataille

Les résultats déduits de l’archéologie du champ de bataille sont passionnants. 3000 objets ont été retrouvés. Leur dispersion spatiale, ainsi que l’orientation des pointes de flèches et de javelots, permettent de reconstituer la dynamique du combat et ses différentes phases. Les vestiges d’armement collectés établissent la présence de fantassins, de cavaliers, et d’au moins une baliste. Il est également possible d’évaluer l’effectif engagé par les deux parties en présence. Une des unité romaines impliquées est même identifiée : il s’agit d’un détachement de la IVe Légion Flavia, habituellement stationnée à Belgrade. Il n’est pas possible de préciser l’année de l’accrochage au-delà d’une fourchette chronologique comprise entre 230 et 251 après J-C. En revanche, on peut établir que l’action a eu lieu en automne.

Ainsi peut renaître, grâce à l’archéologie, l’aventure d’une expédition militaire romaine tardive, inattendue au milieu du IIIe siècle. Elle est attaquée sur le chemin du retour vers le camp légionnaire de Mayence, à l’issue d’un raid en profondeur en Germanie. Prise dans une embuscade germanique audacieuse, elle bénéficie d’un terrain moins défavorable qu’à Teutoburg, de sa force supérieure en nombre, peut-être aussi d’un commandement plus performant. La confrontation s’achève par une victoire romaine. De quoi méditer sur la valeur militaire des troupes impériales, tenues un peu vite pour surpassées par les barbares.

Le format des volumes de la collection Illustoria est court. Mais il est ici l’écrin d’une vulgarisation exigeante, assurée par une plume de qualité. Le propos est limpide, et structuré par un raisonnement clair et rigoureux. Un petit cahier d’illustrations apporte un complément visuel et géographique utile. Yann Le Bohec démontre sa maîtrise parfaite du sujet. Il porte à la connaissance du public français un épisode encore inédit de ce côté-ci du Rhin. C’est de belle manière que la bataille du Harzhorn sort ainsi de l’oubli.

 

© Guillaume Lévêque