L’évolution de la reconnaissance historique des droits des Autochtones et de leur territoire au Québec depuis les premiers contacts jusqu’à nos jours est le sujet de cette étude de l’Université du Québec à Chicoutimi.
Les auteurs, Camil Girard, historien et Carl Brisson, géographe, fournissent ici une expertise scientifique pour la défense des intérêts des peuples autochtones du Québec dans le cadre d’une procédure judiciaire contre le gouvernement du Québec, le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada. Ils situent leur étude dans le temps long.
« La France et l’Angleterre ont toujours eu un discours ambigu sur les rapports entretenus avec les « peuples » ou « nations » rencontrés en Nouvelle-France ou au Canada. Le statut des Sauvages est tantôt associé à celui d’un Allié sous le régime français ou à celui de Nations ou de Tribus indiennes avec la Proclamation de 1763. » (Introduction p. 1)
Au XXe siècle les peuples amérindiens s’organisent au sein de l’Alliance autochtone du Québec (AAQ) qui depuis les années 1970 affirme l’ascendance, l’appartenance à l’une ou l’autre nation autochtone du Québec ou d’ailleurs qui vivent en dehors des réserves. La législation récente permet aux Amérindiens de se défendre face aux discriminations.
Les auteurs cherchent à montrer comment se construisent les identités dans un contexte de métissage culturel entre diverses nations autochtones et avec les autres Canadiens ou Québécois. Selon leur hypothèse la loi a imposé un modèle de « civilisation » puisque tout indien qui ne désirait pas ou ne pouvait pas vivre dans une réserve, perdait son identité autochtone et ce jusqu’en 1985 et que les femmes autochtones qui ne se mariaient pas avec un Indien perdaient leur statut.
Depuis 1982 le Canada reconnaît les droits « existants, ancestraux ou issus de traités » des peuples autochtones du Canada, d’où l’intérêt de faire débuter cette recherche avec les premiers contacts. Cette recherche pose un défi : « Repenser nos histoires coloniales et nationales pour y revoir la place que les peuples autochtones ont occupée dans la sphère des échanges interculturels » (p. 9)
La politique de la France : des alliances avec les peuples qui habitent le territoire
Les auteurs retracent les premiers contacts qui débouchent sur l’Alliance de 1603 près de Tadoussac et les replacent dans l’histoire des Grandes Découvertes et des échanges interculturels qui naissent au XVIe siècle.
La recherche porte sur la politique d’alliance et de création des seigneuries qui se mettent en place sous le Régime français. Le récit part de la rencontre le 27 mai 1603 de Champlain avec un groupe de Montagnais à la pointe aux Alouettes, au confluent du fleuve Saint-Laurent et de la rivière Saguenay, une première alliance selon la coutume amérindienne. Lors du voyage de retour Champlain ramène six Autochtones, tradition tracée par Jacques Cartier. Dès cette première entente les Français cherchent à la fois à l’instauration de seigneuries à vocation agricole et à établir des concessions pour les ressources naturelles sur des territoires réservés au « sauvages ». Les auteurs décrivent la politique coloniale d’alliance, dans le respect des premiers occupants telle qu’elle apparaît dans la Commission d’Henri IV du 8 novembre 1603 mais aussi ce que cette alliance signifiait pour les Montagnais (Innus)le terme de Montagnais vient des écrits de Champlain, le peuple est aujourd’hui appelé Innu., les Algonquins et les Etchemins rencontrés à la même date. Cette alliance de 1603 est aujourd’hui revendiquée comme la première reconnaissance officielle des droits des peuples autochtones car alliance ne signifie pas cession du territoire. Le texte de Champlain dans l’ouvrage Des Sauvages, rapporte comment le chef innu, Anadabijou explique les relations entre Dieu, les hommes et le territoire.
Le recours à la tradition orale de ces premiers contacts permet une approche de la perception amérindienne à confronter au récit de Champlain. La conception autochtone de la terre est fondée sur une notion de propriété collective d’une terre qui est utilisée par les humains, les animaux et les arbres et la tradition d’accueil des autres êtres humains. Aujourd’hui les Autochtones souhaitent retrouver dans leur relation avec les autorités administratives et politiques du Québec et du Canada des relations de nation à nation, de peuple à peuple, de gouvernement à gouvernement.
Les auteurs montrent que la politique initiale des alliances est restée le mode de relation entre la Nouvelle-France et les peuples autochtones lors de la Grande paix de Montréal, signée en 1701 qui mettait un terme à la guerre entre les Alliés (Abenaquis, Hurons…) et les Iroquois.
Ils détaillent l’équilibre qui s’est instauré sur le plan des échanges économiques, en prenant l’exemple du Saguenay, un espace réservé à l’exploitation des fourrures. D’autre part l’installation d’activités agricoles se fait sur le modèle de la seigneurie ; en 1627, un acte établit la Compagnie des Cent-Associés pour le commerce du Canada comme seigneur d’un vaste territoire. Toutefois même si l’entreprise de colonisation est longtemps très limitée le roi se comporte comme propriétaire du sol contrairement aux traités d’alliance. De 1627 à 1663, le roi a concédé 68 seigneuries sur une superficie d’environ 13 millions d’arpents soit de plus de 43 000 km² (carte p. 51). Ce petit territoire de la vallée du Saint-Laurent accueillent des immigrants et des « indiens domiciliés » sédentarisés et convertis au catholicisme. La première concession de terres pour les Amérindiens domiciliés est située à Sillery, c’est le modèle de l’intégration des sauvages en Nouvelle-France.
La colonisation se poursuit de 1663 et 1760 avec l’arrivée de nouveaux colons, de militaires et de nouvelles seigneuries (carte p. 55). Les colons ne furent jamais très nombreux et l’immense territoire autour des Grands Lacs et tout le long de la rivière Mississippi jusqu’à son embouchure dans le golfe du Mexique n’est occupé que par quelques forts et missions. Les auteurs reprennent une citation de Gilles Havard « la souveraineté française ne s’étend pas à plus d’une portée de mousquet des forts »Gilles Havard, Gilles, Empire et métissage, Indiens et Français dans le Pays d’en Haut. 1660-1715, Québec-Paris, Septentrion, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2003.
En conclusion durant le régime français les Autochtones sont des Alliés. Ils circulent librement et sont autonomes.
Le Régime anglais jusqu’à la Loi des Indiens : des alliances de nation à nation à la mise sous tutelle (1760-1876)
Le Régime britannique (1760-1876), montre comment évoluent le statut et le territoire indien, alors que se mettent en place de nouveaux territoires : la Province de Québec créée avec la Proclamation royale de 1763, à l’extérieur de la province, à l’ouest et au nord, le territoire est considéré comme un territoire indien (carte p. 70). Dans un premier temps le système seigneurial continue jusqu’en 1854 et la Couronne anglaise continue de gérer le territoire indien réservé pour le commerce des fourrures. Les Autochtones sont reconnus comme alliés sous la protection britannique. Ils reconnaissent la nouvelle Couronne, mais s’opposent à la cession ou la vente de leurs terres sans leur accord.
Les territoires Indiens… entre reconnaissance et usurpation
L’Acte de Québec de 1774 annexe une partie des territoires indiens à la Province de Québec, petit-à-petit le statut de « territoire indien » disparaît des textes officiels. Cela va permettre l’installation de nouveaux migrants au début du XIXe siècle venus d’Europe ou loyalistes après l’indépendance des 13 colonies américaines. L’Acte constitutionnel de 1791 crée deux gouvernements (Haut-Canada et Bas-Canada), aucun article ne concerne les autochtones, ainsi le législateur suggère que l’élimination du territoire indien et des droits des peuples autochtones est un fait.
Le système de municipalités et la propriété régie par le système britannique des cantons remplacent peu à peu les seigneuries. Face à l’afflux de migrants l’Autochtone apparaît comme un obstacle au progrès.
La création du Canada (1840) conduit à une nouvelle attitude d’exclusion, à l’instauration du système des réserves et du statut indien qui en fait des mineurs sous la tutelle de l’État avant les lois discriminatoires de 1876 (Loi des Indiens de 1876) sorte de Code rouge qui vise à l’assimilation et donc la disparition des Indiens du Canada. Le régime juridique favorise la spoliation du territoire indien et à la perte d’identité des nations autochtones. Le territoire indien est ramené au territoire des réserves. Les auteurs développent le projet de tutelle et d’assimilation, faire de l’Amérindien un être adapté aux conditions de vie occidentales. Ils analysent le rapport Bagot 1844-1847 qui montre à quel point deux cultures sont face à face. Il justifie l’élimination des Indiens de la fondation de la Nation canadienne, le cadre législatif à partir des années 1850 vise à réunir les Indiens dans les réserves-municipalités ou à s’assurer qu’ils restent dans des territoires éloignés.
De nombreuses protestations sont déposées par les Autochtones des différents peuples, les Innus, les Algonquins et les Attikameks s’insurgent contre les incursions de la municipalisation sur leur territoire traditionnelPar exemple, les pétitions des Innus du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Haute-Côte-Nord entre 1844 et 1853 (p. 111-112).
Histoire et colonisation du XVIe au XIXe siècle : un discours qui cherche à exclure l’Autre
Après une première période ou les Amérindiens sont présentés comme des « sauvages », des étrangers non chrétiens à convertir, à civiliser, au XIXe siècle se diffuse l’image d’un être primitif, violent ce qui justifie son isolement pour le civiliser et l’assimiler. Avant 1851 cinq « réserves » étaient déjà présentes sous le Régime français (Wendake (Huron-Wendat), Wôlinak(Abénakis), Odanak (Abénakis), Kahnawake (Mohawk) et Kanesatake (Mohawk) et une « réserve » en Gaspésie (Listiguj, MicMac crée en 1824). La loi de 1851 crée neuf nouvelles réserves, une première définition d’un statut indien apparaît dans un texte législatif faisant une distinction entre les « sujets » canadiens et les « Sauvages » qui perdent ainsi leur droit comme citoyen, ils sont mineurs sous tutelle de l’État « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » tombent sous la juridiction du gouvernement fédéral Sur les orphelinats autochtones : Tuer l’Indien dans le cœur de l’enfant, ARTE» (p. 127).
Durant cette période, beaucoup d’Amérindiens vivent sur leurs territoires ancestraux, poursuivant leur mode de vie traditionnel mais quand les terres sont allouées à des entrepreneurs en vue d’exploiter les ressources naturelles ils deviennent des personnes sans terre, sans droits particuliers. L’acte de cession de la la Terre de Rupert (territoire des Cris et des Inuits) renseigne sur ces évolutions. La Loi de 1876 ou Loi des Indiens réaffirme ces principes.
Comment retisser les Alliances : de l’exclusion systémique à la difficile reconnaissance des droits fondamentaux des peuples autochtones (1876- 2000)
Ce troisième chapitre traite, dans un premier temps des modifications du territoire au Québec sous le régime confédératif jusqu’à la Convention de la Baie James et du Nord québécois de 1975 (carte de la province de Québec en 1912, p. 145).
Dans les faits, les terres publiques, qui constituent plus de 90 % des territoires au nord du Canada et du Québec, restent les terres traditionnelles des peuples autochtones dispersés sur de vastes espaces difficiles d’accès. Aujourd’hui, les terres réservées aux Indiens par le gouvernement du Québec relèvent de la Loi sur les terres du domaine de l’état de 1987 sous le titre « Terres réservées aux indiens ». Durant tous le XXe siècle la municipalisation des terres a progressé vers le nord notamment en Abitibi-Témiscamingue pour permettre l’exploitation forestière et minière.
Les auteurs analysent les modifications à la Loi des Indiens de 1951. Beaucoup d’Autochtones vivent librement sur leurs territoires ancestraux, cependant douze nouvelles réserves sont crééesUne en Mauricie, 6 sur la Côte-Nord, une en Outaouais et 4 en Abitibi-Témiscamingue.
Face aux empiétements croissants de leurs terres, en relation avec la mise en valeur de l’hydroélectricité, des organismes de revendication des peuples autochtones se créent et en 1969 est publié un Livre blanc. A partir de 1970 et plus spécialement au moment du rapatriement de la Constitution de 1982 les Autochtones cherchent à défendre leurs droits, y compris devant la justice« le 15 novembre 1973, la Cour supérieure du Québec, par l’entremise du jugement Malouf, reconnaît des droits aux Cris et aux Inuits et ordonne la suspension des travaux sur les chantiers hydroélectriques » p. 154.
La Convention de la Baie James et du Nord québécois (1975) est le premier texte qui reconnaît à la nation Crie ses droits aux terres et aux ressources, permet la création de gouvernement autochtone dans un rapport de respect mutuel.
Au-delà de ces évolutions qui concernent les Indiens hors statut, les autochtones vivant dans les réserves s’organisent : La Fraternité nationale des Indiens et l’Assemblée des Premières Nations, l’Alliance autochtone du Québec…
Les interventions de l’Alliance sont analysées à partir des débats de l’Assemblée nationale et à partir d’archives privées qui éclairent la vision gouvernementale québécoise (Principes de reconnaissance des nations autochtones de 1983 Motion de 1985 et Loi 99 de 2000).
L’AAQ revendique un soutien financier du gouvernement du Québec pour un plan global de développement socio-économique et la création d’un comité autochtone permanent sur l’environnement.
L’Alliance autochtone du Québec, une présence et une influence importantes dans la destinée de la culture autochtone au Québec
Les auteurs proposent un portrait de l’Alliance autochtone du Québec et de la corporation Waskahegen et de l’étendue note carte p. 200, 202 et 209 de leur action au Québec qui permet de définir l’occupation oubliée du territoire indien en dehors des réserves. Les auteurs présentent des données statistiques sur la population, la répartition par peuple, un premier survol démographique et géographique de la présence de l’Alliance autochtone du Québec. La participation active de l’Alliance confirme la nécessité d’une reconnaissance des droits fondamentaux aux nations autochtones qui habitent le territoire.
Outre une abondante bibliographie, on trouve en annexe la liste des cartes.