Partant de trois chiffres pour le moins édifiants, David Lindsay, biologiste australien à la retraite, apporte une pierre importante à l’édifice de la rédaction scientifique.

PERSONNE N’EST FORMÉ A LA RÉDACTION SCIENTIFIQUE

Partant de trois chiffres pour le moins édifiants, David Lindsay, biologiste australien à la retraite, apporte une pierre importante à l’édifice de la rédaction scientifique. Pour lui :

  • 99 % des scientifiques conviennent que la rédaction fait partie intégrante de leur travail de recherche,
  • mais à peine 5 % ont eu un enseignement en rédaction scientifique dans leur formation,
  • et 90 % des chercheurs vivent la rédaction comme un mal nécessaire et non un plaisir.

Enfonçant le couteau dans la plaie avec trois citations imbriquées, il énonce au sujet d’un travail scientifique que :

  • « si vous ne l’avez pas rédigé, c’est comme si vous n’aviez rien fait »,
  • « si vous l’avez publié mais que personne ne le lit, c’est encore comme si vous n’aviez rien fait »,
  • « si vous l’avez écrit et que votre article est lu mais que les lecteurs ne le comprennent pas, vous n’avez toujours rien fait ».

Comment ne pas être d’accord… alors d’où viennent les problèmes et comment les régler ?

EXCUSES, HYPOTHÈSES INVALIDÉES ET DÉFAUTS D’HYPOTHÈSES

Si la plupart des chercheurs ont bien conscience qu’il faut être précis, clair et concis (sans que ces deux premiers éléments ne soient sacrifiés au profit du troisième), il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de mythes planent au dessus de leurs esprits :

  • il y a un langage spécifique à la recherche,
  • il faut choisir sa revue avant de commencer à écrire,
  • le fait de ne pas maîtriser l’anglais comme langue maternelle est un handicap,
  • il faut attaquer la rédaction dans l’ordre chronologique,
  • les revues ne publient pas de résultats négatifs.

Rien de tout cela selon l’auteur. Il faut travailler dans la simplicité, selon ses méthodes et sans penser trop vite à la destination potentielle de ses conclusions. Et sur le dernier point, il n’y a aucune raison pour qu’une hypothèse ne puisse pas s’ensuivre d’une invalidation et ne fasse pas l’objet d’un bon article par la suite. La revue Journal Of Negative Results s’est même spécialisée dans ce domaine pour aider les chercheurs à ne pas répéter les expérimentations ayant abouties à des résultats négatifs.

Et que faire lorsque « l’on n’a pas vraiment d’hypothèse » ? Là aussi, les chercheurs convoquent des arguments qui, selon Lindsay, n’apparaissent pas recevables :

  • je collecte des données pour élaborer une hypothèse plus tard,
  • je teste une nouvelle machine,
  • j’enquête par questionnaire, donc comment prédire ?
  • je teste une nouvelle méthodologie,
  • j’hérite de l’hypothèse d’un prédécesseur qui n’est par définition pas la mienne,
  • j’ai l’objectif de mon expérience, ce qui me dispense d’hypothèse.

A nouveau, ces différentes démarches ne sauraient faire l’impasse sur une hypothèse certainement sous-jacente et qui ne demande qu’à être bien formulée.

PAS D’EXCES DE PRUDENCE ET UN CONSEIL RÉDACTIONNEL ULTIME : FAIRE COURT

Il n’est pas besoin de noyer l’introduction dans un contexte général trop long et un surplus de précaution visant à n’oublier personne sous peine de frustration dans les références bibliographiques. Exprimer sa conviction, notamment dans les conclusions, permet de rendre son travail vivant et motivant pour le lecteur.

Dans le détail des écueils évoqués, on bannira les tournures passives et l’excès de subordonnées en début de phrase et on privilégiera la transmission du message par un verbe plutôt que par un nom. Mots flous, sigles et acronymes apparaissent eux aussi indésirables s’ils sont multipliés à outrance. Précis et accrocheur, le titre doit, lui aussi, se démarquer de la masse d’articles publiés dans chaque domaine.

L’ENVOI

S’il a ses défauts, notamment de par les délais importants et les allers-retours qu’il occasionne, le système d’évaluation du travail scientifique par pairs reste le plus efficace, garantissant la neutralité. Mais la course à la rentabilité dans la production scientifique et un certain culte du « facteur d’impact » ne sont pas sans conséquences sur la stratégie d’envoi d’un travail à une revue. Une sorte de cercle vicieux voit émerger des comportements consistant en l’envoi successif de travaux à des revues au facteur d’impact descendant au fur et à mesure des rejets. Les jeunes chercheurs sont fortement exposés à ces problèmes.

Une demande de corrections mineures est de bonne augure mais un rejet ne signifie pas forcément que l’article soit mauvais, le système restant humain, subjectif et donc faillible. Ainsi, proposer son travail ailleurs (toujours avec un petit mot introductif et personnalisé) peut laisser envisager d’autres issues même si la réaction à chaud envers les rapporteurs ayant émis un avis négatif n’est pas conseillée.

COMMUNICATIONS ORALES ET VULGARISATION

Aller présenter son travail en colloque, séminaires et autres journées d’étude est un complément indispensable à la rédaction d’articles. Là aussi, beaucoup d’appelés et peu d’élus, aussi, sortir l’auditoire de sa somnolence digestive est une nécessité. Un humour savamment dosé, l’usage du « je » ou du « vous » implicatif doit accompagner une présentation synthétique aux figures limpides et à l’élocution maitrisée. Le cas du poster, vital dans les très grandes manifestations, est évoqué avec une comparaison détaillée de deux versions.

S’ils ne sont pas la priorité des chercheurs, les articles de vulgarisaeurostion se doivent également d’être soignés. La science a pénétré dans le quotidien des citoyens qui cherchent des réponses aux évolutions du monde qui les entoure. Et si les journalistes commettent des erreurs de par leur absence de formation scientifique, les chercheurs, eux, doivent se détacher des détails marginaux qui ne toucheront pas le grand public. Le grand décalage tient à l’ordre d’exposition de la démarche : pour plaire et convaincre, il vaut mieux susciter l’intérêt du lecteur lui-même pour montrer en quoi cette recherche le concerne, puis de la société en général avant de s’intéresser aux résultats proprement dits puis à la méthodologie employée.

Quant à la thèse, il semble bien que les thèses « traditionnelles », pourtant très formatrices car obligeant à une vision d’ensemble, soient en train de céder leur place à des « thèse sur articles », plus rentables en termes d’opportunités de publications et donc de CV et de débouchés potentiels.

Un ouvrage qui vient combler un manque évident, rédigé à l’image de ce qu’il préconise, avec clarté et précision. Même s’il est orienté sciences « dures » dans ses exemples et dans l’évocation de sections qu’on ne rencontre pas partout (« matériel »), chacun devrait pouvoir y trouver, jeunes chercheurs en particulier, des appuis solides pas tant pour améliorer son expression que pour la rendre plus intelligible et plus en adéquation avec les codes attendus du genre.

CR de Catherine Didier-Fèvre

Quand vous voulez expérimenter de nouvelles choses en cuisine, vous allez chercher un livre de recettes ou vous faites une recherche sur les sites culinaires dont internet regorge. Quand vous êtes apprentie chercheuse et que vous avez un article scientifique à écrire, vous avez le même réflexe. Mais vous vous rendez assez vite compte que ces genres de manuel ne sont pas très nombreux ou alors sont vieillissants (cf. L’art de la thèse, 1985, malgré de nombreuses mises à jour : 1994, 2001, 2003, 2006.). Aussi, quel bonheur de lire un guide de recettes pour la recherche, comme celui de Lindsay – Poindron !

La méthode mise au point ici a été élaborée au fil du temps et des séances de cours et de travaux dirigés. Rédigée par deux enseignants en biologie animale, aujourd’hui à la retraite, elle ne vise pas à l’universalité mais ouvre des pistes appréciables pour qui a besoin de rédiger un article scientifique. Ce n’est pas un problème à prendre à la légère car, dans le cadre des évaluations de type AERES, si on veut publier, il faut absolument réussir à passer le cap de l’évaluation anonyme de votre travail. Pour cela, il faut connaître les codes à suivre et un ouvrage comme celui-là vous accompagne.

Ce guide part du principe que « La rédaction scientifique est bien plus qu’un exercice littéraire et même qu’elle n’est pas du tout, ou presque pas, un exercice littéraire. » et surtout que « la qualité et la facilité de rédaction des résultats d’une expérimentation dépendent étroitement de la qualité de la recherche qui a produit ces résultats. » Ainsi, le ton est donné très vite (p. 7) ! Si vous n’arrivez pas à rédiger, ce n’est pas pour des problèmes de rédaction mais parce que votre recherche ne tient pas debout ! Mieux ne pas pour vous en rendre compte au stade final de la rédaction mais bien en amont, en parlant de votre recherche à d’autres, y compris à ceux qui ne sont pas spécialistes. Pour être réussie la recherche doit être pensée, y compris dans l’optique d’être vulgarisée.

Comme pour une dissertation, un bon texte est celui qui réussit à intéeurosresser son lecteur ! Tout réside dans la capacité de l’auteur de ce texte à capter l’attention du lecteur et à maintenir celle-ci jusqu’à la dernière ligne. Pour cela, le style d’écriture doit être précis, clair et concis. Il s’agit d’écrire « pour informer et pas pour impressionner. (…) Si vous êtes chercheur et que votre ambition est de recevoir un jour le Prix Nobel, essayez de l’obtenir en sciences pour votre recherche plutôt qu’en littérature pour votre style de prose. »

Pour être convaincant, encore faut-il s’être posé les bonnes questions au moment de débuter sa recherche. Pour les auteurs, cela tient en quatre étapes :
– prévoir les résultats de la recherche que l’on envisage d’entreprendre
– identifier les raisons pour lesquelles nous pensons obtenir ces résultats
– imaginer la présentation de ces résultats
– imaginer l’explication de ces résultats
Cela évite de découvrir à postériori des failles sur le plan expérimental. Cela revient à penser avant d’agir. Une évidence, certes mais dont la mise en œuvre ne va pas toujours de soi. Ce travail revient à formuler une hypothèse qui doit être en accord avec l’information connue et qui doit être vérifiable. La formulation de l’hypothèse doit précéder la mise en œuvre de tout travail… Si l’hypothèse s’avère fausse, il est nécessaire de comprendre et d’expliquer pourquoi. C’est pourquoi il est important, dès le début du travail, de noter la genèse de sa recherche, mais aussi les hypothèses de départ afin de pouvoir s’en rappeler lors de la rédaction future. Bref, la clé de la rédaction scientifique réside la formulation de l’hypothèse et il ne faut pas perdre cela à l’esprit.

Ensuite, l’ouvrage rassemble une multitude de conseils, assez proches de ceux que l’on peut donner aux élèves et étudiants qui ont des dissertations à rédiger. La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux autres types de communication que le chercheur peut être amené à faire : présentation orale, conception et présentation de posters scientifiques, article de synthèse, rédaction d’article pour un public non scientifique et bien sûr la thèse !!! La clé de tout article ou texte peut se résumer ainsi « Pour que le lecteur saisisse ce que l’auteur veut dire, l’auteur doit comprendre ce que le lecteur a besoin » Facile à dire !

Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes