« Depuis quelques années, [l’histoire culturelle] renouvelle considérablement le champ de la recherche historique et pour le monde du très contemporain qu’elle a touché plus tardivement, elle se pose encore concrètement des problèmes d’ordre épistémologique […]. On s’achemine de plus en plus vers une conception et une pratique de l’histoire culturelle comme histoire globale, embrassant dans une démarche qui lui est propre, le politique et le juridique, l’économique et surtout le social. Il s’agit en effet de restituer à l’histoire culturelle toute sa densité sociale. »
Pascale Goetschel, Emmanuelle Loyer,
Histoire culturelle de la France de la Belle Époque à nos jours,
Éditions Armand Colin, 2018, p. 7.
« Le lecteur d’une « Histoire culturelle de la France de la Belle Époque à nos jours » y découvrira les grands traits de l’évolution des idées, de la littérature et des arts. Il y trouvera aussi une mise en perspective des pratiques culturelles contemporaines : lecture, cinéma ou chanson dits populaires ; moments ludiques et spectacles sportifs ; productions audiovisuelles ; mode et loisirs. Il verra s’y décliner des appropriations multiples.
Parallèlement, le livre propose un tour d’horizon des grands champs disciplinaires, à la hiérarchie mouvante, évoque les réseaux qui unissent les représentants du monde intellectuel, met l’accent sur les circulations des idées. Enfin, le XXe voit se mettre en place une politique de la culture, précoce et cohérente, qui apparaît spécifique à la France.
Ainsi, cet ouvrage apparaît comme un précieux outil pour le lecteur en quête de repères touchant à la culture contemporaine. »
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Sous la plume de Pascale Goetschel[1] et d’Emmanuelle Loyer[2], deux spécialistes notamment de l’histoire culturelle contemporaine française, cette 5e édition d’un livre de près de 270 pages (dont 14 de bibliographie) constitue « un essai de synthèse [sur le sujet], avec tous les raccourcis, omissions et frustrantes simplifications que le genre suppose » (p. 7). Les auteurs entendent ainsi axer sur les phénomènes de diffusion, de médiations diverses et de réception, sur les processus de création avec aussi une attention particulière sur les mécanismes de consécration (plus parlant du point de vue de l’histoire des représentations de la société française) de l’histoire culturelle contemporaine en France. De plus, cette histoire culturelle est aussi une histoire intellectuelle qui diffère d’une histoire des intellectuels étudiés depuis fort longtemps (nombreuses passerelles entre l’histoire culturelle et l’histoire intellectuelle qui sont inévitablement liées). Cet ouvrage veut ainsi modestement se faire l’écho des avancées de l’historiographie les plus récentes. La démarche adoptée est celle de dérouler le propos de façon chronologique dans un souci de clarté pédagogique notamment. La définition du champ d’études des auteurs est « large » (par exemple, on trouvera dans l’ouvrage des réflexions sur les sports et les loisirs ou sur les politiques culturelles). Les limites spatiales choisies posaient aussi le problème des relations de la culture française avec « l’étranger ». Certaines modalités d’approche sont ainsi privilégiées comme la problématique d’acculturation et la place centrale des États-Unis.
La Belle Époque
La période dite de la « Belle Époque » constitue le quasi-achèvement d’un mouvement séculaire de diffusion de l’écrit (livre, école, journal) qui permet une propagation de plus en plus large de la culture nationale française. Cette époque est également marquée par la naissance des « intellectuels » : « hommes de lettres, de science, artistes, qui, au nom de la vérité et de la justice, ont défendu le capitaine Dreyfus et ont tracé la voie à d’autres engagements dans la vie de la cité » (p. 20-21). Il est enfin très difficile de caractériser cette période de foisonnement culturel et artistiques : multiplication des œuvres et des artistes d’avant-guerre, (mouvement « avant-gardiste »), développement d’une culture urbaine et multiplication des lieux de spectacle en lien avec la diffusion de l’électricité et la multiplication des images.
La Grande Guerre et les années vingt
La Première guerre mondiale « ouvre une curieuse période tant dans le domaine de la création artistique que dans celui de la production et du comportement des intellectuels » (p. 44). C’est une période de renouvellement des idées, d’engagement des clercs et de retour à l’ordre dans les arts. Surnommées les « années folles », cette période s’ouvre dans une atmosphère de paix où « les créateurs font preuve d’une violente envie d’innover et de reconstruire un monde sur des fondements nouveaux » (p. 44) avec, après 1924-1925, le retour de la prospérité et une meilleure entente avec l’Allemagne favorisant cette « fougue inventive qui est essentiellement le fait d’une élite » (p. 44). Cette période est ainsi caractérisée par une dualité entre « rappel à l’ordre » (volonté de retour à une « Belle Époque ») d’un côté et « années folles » de l’autre. Si le concept de « culture de guerre », défini par Stéphane Audoin-Rouzeau comme « l’ensemble de représentations, d’attitudes, de pratiques, de productions littéraires et artistiques qui ont servi de cadre à l’investissement des populations européennes dans le conflit » peut permettre de comprendre la brutalisation des esprits et la mobilisation de la culture au cours de la période 1914-1918, l’immédiat après-guerre n’est pas une période de « démobilisation culturelle » (Bruno Cabanes) bien au contraire. Si les intellectuels et les artistes ont été directement touchés, les années 1920 constitue un moment particulier, marqué par plusieurs traits communs aux hommes de plume : le renouvellement de la pensée avec en toile de fond l’idéal du pacifisme, mais aussi celle de l’idée de décadence (de la France, de l’Occident, de l’Humanité), la nécessaire réorganisation de l’État mais aussi le temps d’un « rappel à l’ordre » (Cocteau). C’est également une période « folle » d’entrée dans la modernité. Paris, lieu par excellence de celle-ci, constitue un « point crucial de rencontres » (p. 58) par son cosmopolitisme, l’accueil d’artistes expatriés ou non et son dynamique marché de l’art qui y apportent les nouveautés comme le jazz. De nouveaux courants ou expressions artistiques comme le dadaïsme ou le surréalisme se développent ainsi que l’affirmation du règne « de la littérature au sein de la vie culturelle et intellectuelle française » (p. 66). Enfin, se développent aussi à cette période les loisirs et la culture populaire.
Années trente, années troubles
Les années trente, années où s’installent une crise économique mondiale majeure et un durcissement inquiétant des relations internationale jusqu’à la guerre, « marquent un infléchissement net dans la production intellectuelle » (p. 75). La période est marquée également par le phénomène non conformiste qui peut se lire « comme la rencontre d’une crise globale des valeurs et d’une génération » (p. 77) et l’affrontement des intellectuels de droite et de gauche. D’un point de vue culturel, l’entrée dans « l’ère de la reproductibilité technique » (Walter Benjamin) « enregistre le passage vers un monde nouveau marqué par l’élargissement notable du public désormais atteint par les grands moyens de diffusion culturelle » (p. 75). Les années trente avec la diffusion généralisée des moyens de reproduction et de communication (presse, radio, cinéma et disque) constituent « l’avènement encore incertain et inachevé d’une véritable culture de masse » (p. 87). Enfin, l’arrivée au pouvoir du Front populaire se traduit notamment par l’essor des sports et des loisirs pour tous sous l’impulsion de Léo Lagrange.
La vie culturelle et intellectuelle sous Vichy
Les auteures se posent dans ce chapitre la question de savoir si la césure politique des années 1940-1944 avec l’instauration du régime de Vichy et l’occupation de la France, constitue une véritable rupture culturelle ou un « simple artifice de présentation, signe d’un regard trop résolument déterminé par le politique » (p. 107). Malgré une continuité avec la période du Front Populaire (le renforcement du sport par exemple), la volonté de « renaissance » au cœur de la Révolution nationale est « indéniable » (p. 107). Durant cette période trouble, les intellectuels sont divisés, entre collaborations, compromissions et/ou résistances.
La Quatrième République : vers une démocratisation culturelle
Après la Libération, une nouvelle période s’ouvre avec l’entrée dans la guerre froide à partir de 1947 et les mouvements de décolonisation. Le contexte favorise une dimension fortement idéologique des intellectuels et la production artistique est prolifique. « Avec l’avènement dans les années cinquante d’une France reconstruite économiquement, modernisée socialement, culturellement en voie de transition, la culture devient un enjeu essentiel. Elle est l’objet de discussions multiples sur ses modalités de transmission, ses conditions de démocratisation. Le discours culturel prend donc une ampleur inédite, à la fois militante et institutionnelle, qui donne sa coloration à cette décennie par ailleurs bouleversée par l’intrusion d’une culture de masse, qui enterre définitivement la configuration culturelle de la première moitié du siècle. » (p. 133). L’immédiat après-guerre ouvre ainsi le temps des « abstractions » (absurde théâtral, abstrait pictural ou musical). Le credo du « tout est politique » est distillé tout au long de cette période : « l’art, la littérature, dire, se taire sont autant d’actes politiques, de marque de son engagement intellectuel » (p. 141). On a ainsi une image de « saturation du politique dans le discours intellectuel » (p. 141) avec le développement de l’existentialisme et l’engagement très fort des intellectuels « armés » et militants. La culture de masse, née aux États-Unis est exportée dans le monde entier et s’installe durablement en France à cette période (temps de la « tierce-culture » définie par Edgar Morin en 1962 dans L’Esprit du temps) parallèlement la médiatisation de la culture de plus en plus forte. Enfin, la volonté de démocratiser la culture est inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946 (« La nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ») et se traduit par une intervention forte des pouvoirs publics et de l’État qui se dote d’outils et de structures efficaces afin d’installer une démocratie culturelle « qui ne soit pas seulement l’égalité de tous devant son poste de télévision, mais qui se veuille aussi participative » (p. 167).
« Les Sixties » : la culture entre contestation et consommation
Les années qui correspondent à l’avènement de la cinquième République et qui vont jusqu’à la crise économique du milieu de la décennie soixante-dix ouvrent une époque de préoccupations nouvelles en matière de culture. La critique de l’Union soviétique ou de l’idéalisme petit-bourgeois devient dominante et induit de nouveaux positionnements. Les mouvements contestataires se multiplient jusqu’aux évènements de 1968. On entre également dans l’ère du « nouveau » avec la lecture des œuvres et des évènements avec d’autres outils (apothéose des avant-gardes, situationnisme, nouveau réalisme, structuralisme…). Enfin, l’« accès à la culture est au centre des préoccupations. Celle-ci, de plus en plus médiatisée et consommée, offre une panoplie de pratiques inédites. Mais elle devient également l’objet d’une prise en compte globale par les agents de l’État : Malraux [avec notamment la création du ministère pour la culture] inaugure une politique originale par rapport à laquelle ses successeurs auront à se définir » (p. 169).
Quelle culture en France depuis le milieu des années soixante-dix ?
La période qui succède à Mai 68 inaugure la « fin d’une ancienne configuration culturelle » (p. 205). Avec la longue crise économique qui s’ouvre à partir de 1974, correspond également la fin des illusions révolutionnaires, marxistes, avant-gardistes, de l’idéal de la démocratisation culturelle. Promue par la politique culturelle de Jacques Lang (qui ne fait qu’entériner des pratiques culturelles entraînées par des forces autonomes comme la médiatisation, le culte de l’image et le développement des industries culturelles), la culture a « considérablement évolué : le sens traditionnel du mot tend à se dissoudre dans un vaste ensemble médiatico-culturel où les frontières établies (entre arts mineurs/arts majeurs ou entre culturel/industries culturelles) sont fortement atténuées au profit d’une plus grande fluidité du champ culturel » (p. 205). Enfin, nous sommes pleinement dans l’ère du numérique qu’il faut désormais penser « comme une culture et même une civilisation […] nouvelle bouleversant l’ordre ancien et installant ses propres mythes fondateurs […], ses propres valeurs » (p. 205). Cette culture numérique modifie ainsi « profondément notre regard sur les objets, sur les relations, sur l’ordre des savoirs. Par sa manie d’universalité que lui permet maintenant l’évolution technique, la culture numérique comporte une indéniable dimension religieuse, voire messianique » (p. 206). Un nouvel âge de la culture semble désormais bien installé (post-modernisme) avec une médiatisation à outrance et un élargissement du champ culturel, de la culture au « tout culturel »…
Bien écrit, cet ouvrage conviendra à un public de licence auquel il s’adresse en premier lieu mais il sera également une base de travail intéressante à consulter pour les étudiants et étudiantes se destinant aux concours de l’enseignement (Capes et Agrégations externes d’Histoire et de Géographie) qui ont à plancher sur la question : « Culture, médias, pouvoirs aux États-Unis et en Europe occidentale, 1945-1991 ». Il intéressera également, les enseignants qui y trouveront une synthèse utile pour mettre à jour leurs connaissances sur des questions qui traversent en filigrane les programmes scolaires, notamment ceux de 3e et de 1ère mais aussi les étudiants et étudiantes qui préparent des concours essentiellement centrés sur la France contemporaine comme celui des instituts d’études politiques (IEP).
[1] Pascale Goetschel, agrégée d’histoire, est maître de conférences en Histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, directrice du Centre d’histoire sociale du XXe siècle (Paris I/CNRS). Elle a notamment écrit un numéro de la Documentation Photographique intitulé une « Histoire culturelle de la France au XXe siècle » (Numéro 8077, Septembre-Octobre 2010).
[2] Emmanuelle Loyer, agrégée d’histoire et ancienne élève de l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud, est professeur des universités en Histoire contemporaine à Sciences-Po Paris et membre du Centre d’histoire de SciencesPo. Elle rédigé dernièrement : Une brève histoire culturelle de l’Europe, Paris, Éditions Flammarion, coll. « Champs histoire », 2017, 514 p. Le compte-rendu de l’ouvrage, sous la plume de Marie Reynaud, est à lire ici : https://clio-cr.clionautes.org/une-breve-histoire-culturelle-de-leurope.html.
©Rémi Burlot, pour Les Clionautes