1774-1796, ces deux dates encadrent une querelle coloniale, une chicane de famille pour reprendre les mots de l’auteur :
« On ne peut faire l’histoire du Canada et des États-Unis au XVIIIe siècle sans considérer le rôle des Amérindiens du Québec. Ils n’en ont peut-être pas changé le cours, mais ils étaient là, incontournables. » comme il le mentionne dès l’introduction (p. 1).
Dans la querelle entre la couronne britannique et les colons américains, si les Amérindiens du Québec ont défendu les Anglais, la Confédération des Sept-Nations du Canada a respecté le vieux pacte anglo-iroquois du XVIIe siècle, une nouvelle exploitation des sources américaines comme britanniques permet aujourd’hui de mieux comprendre l’histoire des Premières Nations entre 1774 et 1796 (carte p. 8).
La crise coloniale en contexte, 1774
En 1774, l’Amérique du Nord est dans le trouble : les sujets du roi d’Angleterre contestent sa mainmise sur les affaires coloniales, le Grand Conseil des Sept-Nations du Canada réunit le 10 septembre à Kahnawake, les représentants des Sept-Nations : des Algonquiens et des Iroquoiens (des Abénaquis, des Algonquins, des Hurons, des Iroquois d’Akwesasneet, des Iroquois d’Oswegatchie et des Nipissingues) qui souhaitent s’assurer que les Anglais respectent le traité de Kahnawake, signé le 16 septembre 1760, qui fixe les droits et les devoirs des signataires dans l’alliance anglo-amérindienne. L’auteur décrit le Grand conseil où siègent cinq chefs civils, deux militaires, trois Anglais de souche et quatre Métis anglo-iroquois dont il relate l’histoire personnelle. Informés des revendications américaines les Sept-Nations se préoccupent des effets de la rébellion sur la sécurité intérieure de la colonie de Québec, le commerce et leurs territoires ancestraux. L’Acte de Québec du 22 juin 1774 en restituant à la colonie de Québec le haut Saint-Laurent, les Grands Lacs et le Labrador de l’ancien empire français perdu en 1763, est plutôt favorable aux intérêts des Amérindiens « domiciliés » convertis au catholicisme de la vallée du Saint-Laurent. Uni à la Couronne le Grand Conseil propose une contribution militaire des Sept-Nations, dans le nord du Massachusetts et du New Hampshire, contre les Yankees à qui ils reprochent de chasser sur leurs terres.
Les Amérindiens sont aussi très attentifs, après la mort de William Johnson, au choix de son successeur à la direction du département des Affaires indiennes.
Les Américains et la colonie de Québec, 1775-1776
Le Congrès provincial du Massachusetts, pour se protéger d’une reprise des raids amérindiens dans le contexte de la rébellion, doit engager une discussion diplomatique avec les Sept-Nations du Canada. L’auteur analyse le choix de privilégier les Iroquois de Kahnawake qui apparaissent comme un « allié naturel » du Massachusetts (importante communauté métisse anglo-iroquoise, souvenir de l’alliance durant les guerres franco-amérindiennes).
Le 19 avril 1775 marque, par un incident à Lexington le début de la révolte. Les Américains déclarent la guerre à l’Angle-
terre, puis 15 000 « patriotes » originaires du Massachusetts, du Connecticut, du New Hampshire et de New York s’engagent dans le siège de Boston. Mais fragiles en cas d’attaques amérindiennes le Dartmouth College du révérend presbytérien dans le New Hampshire est chargé d’une mission diplomatique auprès du Grand Conseil des Sept-Nations puisque certaines familles de chefs ont des enfants dans ce collège, de « précieux otages »Louis Vincent (un Huron de Lorette), François Gill, Benedict Gill, Antoine Gill, Montuit Gill (quatre Abénaquis de Saint-François), Thomas Stacey, John Sauk et John Phillips (trois Iroquois de Kahnawake). Il s’agit d’encourager le non-engagement des Amérindiens.
En mai 1775, le Massachusetts et le Connecticut décident d’attaquer le fort de Ticonderoga au confluent des lacs George et Champlain pour s’emparer d’un équipement militaire important. En s’emparant de canons, de tonnes de munitions, de barils de porc salé, de farine de blé, les insurgés améliorent ainsi une situation difficile du fait du blocus anglais. Mais le fort de Ticonderoga est une position stratégique dans le commerce des fourrures et donc c’est une menace pour le commerce des Amérindiens de la colonie de Québec, notamment les Abénaquis qui, pourraient se venger de leur défaite en 1759. Une nouvelle action diplomatique est engagée vers le Grand Conseil des Sept-Nations. L’auteur montre comment le choix des émissaires tient compte de l’histoire des 30 ou 40 dernières années. Mais si les Amérindiens du Québec «restent sur leurs nattes » les Amérindiens du Massachusetts doivent cesser de participer à la révolte comme ils l’ont fait lors du siège de Boston.
Un second Congrès continental est organisé à Philadelphie (18 mai au 29 juillet 1775) il s’agit d’assurer la défense commune des treize colonies. Le commandement est confié à George Washington qui a l’expérience de la guerre de Sept Ans. Il est décidé de porter une attaque contre Québec mais il faut neutraliser les Sept-Nations, Thomas Jefferson et Benjamin Franklin, délégués de Virginie et de Pennsylvanie, proposent de négocier un traité de paix avec les Amérindiens. Un second Congrès continental est organisé à Philadelphie (18 mai au 29 juillet 1775) il s’agit d’assurer la défense commune des treize colonies. Le commandement est confié à George Washington qui a l’expérience de la guerre de Sept Ans. Il est décidé de porte une attaque contre Québec mais il faut neutraliser les Sept-Nations, Thomas Jefferson et Benjamin Franklin, délégués de Virginie et de Pennsylvanie, proposent de négocier un traité de paix avec les Amérindiens.
A Québec le gouverneur Carleton qui dispose d’une armée trop faible pour défendre la colonie (800 hommes dispersés) tente l’alliance amérindienne en s’appuyant sur l’élite canadienne-française qui a combattu avec eux durant la guerre de Sept Ans.
Qu’aurait à gagner les Américains dans cette chicane qui ne les concerne pas et qui les engageraient dans une guerre fratricide et romprait le traité de paix conclu avec William Johnson à Kahnawake le 16 septembre 1760. Face à la menace de Carleton de les priver de leurs acquis, le Grand Conseil convoque une assemblée des Sept-Nations : pour sauvegarder les acquis, il faut combattre les rebelles dont on ignore s’ils respecteront les possessions autochtones car les menaces d’appropriation des terres n’est pas nouvelle. Les Sept-Nations respecteront la couronne mais s’en prendre l’initiative de la violence, pour honorer en apparence la neutralité promise aux Yankees et continuer les contacts diplomatiques. D’autre part il s’agit de minimiser les coûts humains de leur engagement militaire. Carleton doute de la loyauté des chefs autochtones.
Il est aussi question des loyalistes (environ 200 familles), ces colons anglais qui choisissent la couronne comme Guy Johnson et se réfugient à Oswego. Face à la menace américaineLes Shawnees de Chillicothe, porte-paroles des
Cherokees, des Chickasaws et des Creeks menacés par la rébellion en Virginie, en Ohio, dans le Tennessee, en Géorgie et en Caroline du Nord, le 27 juin 1775, les Six-Nations, les Trois-Nationsorganisation politique des Amérindiens du sud-ouest des Grands Lacs et les Shawnees signent le traité d’Oswego, un traité de réciprocité militaire.
Pour le Grand Conseil d’Onondagala capitale des Six-Nations (Hurons, Pétuns, Neutres, Ériés, Susquenhannocks et Iroquois, l’attaque sur Ticonderoga en territoire iroquois équivaut à une déclaration de guerre. Le 26 juillet 1775, les Six-Nations et les Sept-Nations signent le traité de Montréal d’alliance anglo-amérindienne. Au début d’août 1775, près de 500 guerriers se rassemblent à Montréal, impatients d’en découdre.
Dans le même temps les « Bostonnais » préparent la conférence d’Albany, « à l’orée du bois » selon le protocole iroquois. Les Oneidas, seuls présents se présentent comme négociateurs entre le Congrès et les Sept-Nations. La conférence d’Albany qui s’ouvre le 23 août 1775, réunit, avec les Américains, des Oneidas, des Tuscaroras, des Mohawks et des Mahicans. Suivant les arguments américains, les Oneidas décident la neutralité puisque la « chicane de famille » ne concerne que le « père » et les « frères » anglais, contre la reconnaissance de l’inviolabilité de l’intégrité des terres occupées et exploitées par les Autochtones. Le traité est signé le 1er septembre.
L’auteur montre les hésitations des divers peuples amérindiens en fonction de l’histoire de leurs relations avec les colons et la couronne.
Le 23 août 1775, George III proclame l’état « de rébellion et de sédition » dans les treize colonies atlantiques. Dès le 4 septembre les révoltés lancent une offensive contre Montréal et Québec. Le 7 ils sont défaits par les Amérindiens des Sept-Nations au fort Saint-Jean. Mal récompensés de leur action et pris entre deux propagandes, le 15 septembre 1775, les délégués ratifient le traité d’Albany au nom des Sept-Nations du Canada. C’est un succès pour les États-Unis qui maîtrisent l’axe maritime Québec–Albany (Saint-Laurent–Richelieu–Champlain–Hudson). Fort de ce succès les Américains menacent Québec, où les Hurons de Lorette sont restés fidèles à la couronne.
L’hiver est le temps d’échanges diplomatiques entre les Amérindiens de les colonies révoltées car pour les Amérindiens un traité doit être toujours réactivé. Le Grand Conseil propose pour renforcer le traité dans la vallée du Saint-Laurent de déporter les ennemis intérieurs, garantir la reprise des affaires commerciales et constituer une force militaire autochtone peu souhaitable pour Washington. La tension reste vive en 1776 entre les différentes Nations, rentre loyalistes et neutralistes.
La contre-attaque britannique, 1776-1777
Tenir la région de Montréal devient difficile pour les Américains, sans soutien des Amérindiens qui, malgré de traité d’Albany, ne parviennent pas à reprendre le commerce des pelleteries. En moins de dix jours, l’alliance anglo-amérindienne triomphe par une série d’escarmouches (« la bataille des Cèdres »). Plusieurs campagnes britanniques se succèdent en 1776 sous les ordres de Forster, Carleton, Howe. Le rapport de force bascule en faveur de la Couronne. Avec la reprise de Montréal, le 22 juin 1776, les Anglais convoquent une conférence pour reconduire le traité du 26 juillet 1775 (la déclaration de guerre des Six-Nations et des Sept-Nations) à Montréal. A l’entrée de l’hiver les Anglais maintiennent leurs positions dans la vallée de l’Hudson et une partie du lac Champlain.
Une nouvelle campagne est lancée en 1777 en comptant sur l’aide amérindienne mais selon la guerre européenne (ni scalp, ni razzia), non sans difficultés comme le montre le récit qu’en fait l’auteur. Le général anglais Burgoyne capitule le 17 octobre 1777 à Saratoga. Cet échec fait voler en éclat la relative unité des Sept-Nations. Le 19 septembre 1777 les Oneidas en signant le traité d’Albany déclarent la guerre aux Six-Nations loyalistes. Cette situation s’accompagne de déplacements de population vers l’ouest.
L’alliance franco-américaine, 1778
La France à la recherche d’une revanche reçoit positivement les demandes américaines. Une victoire des États-Unis sur
l’Angleterre lui redonnerait un accès au commerce nord-américain des fourrures. Le 6 février 1778, la France et les États-Unis signent le traité de Paris, en juin des contacts entre des émissaires français et amérindiens ont lieu dans le Rhode Island. Les « French Caughnawagas » (métis franco-iroquois) pourraient restaurer l’alliance franco-amérindienne et inciter les Français à soutenir une nouvelle attaque contre Québec. Si pour Paris il n’est pas question de chercher une reconquête de la Nouvelle-France, on peut soutenir une propagande anti-britannique où l’on retrouve Gilbert du
Mothier, marquis de Lafayette.
Un nouveau gouverneur Frederick Haldimand débarque à Québec le 26 juin 1778. Vétéran de la guerre de Sept Ans, il a une longue expérience du monde colonial et comprend la nécessité de défendre la ligne de communication Montréal–Niagara–Détroit indispensable à la défense, à l’économie et à la sauvegarde des ententes politiques avec les Six-Nations. Haldimand exige d’eux une alliance sans faille. Le 15 août 1778, par un collier de wampum rouge le traité de Montréal est reconduit ce qui vaut déclaration de guerre aux États-Unis. L’auteur décrit le rôle offensif du département des affaires indiennes dans cette politique et dans la surveillance des chefs amérindiens. Il tient « chaudière ouverte » par des dons qui tiennent les Amérindiens sous son influence, même si cela coûte cher au trésor britannique. En permettant aux prêtres catholiques de poursuivre leur œuvre auprès des « Domiciliés », il les contrôle.
La campagne américaine en Iroquoisie, 1779
Depuis la bataille d’ Oriskany (1777), les Mohawks se lancent dans une guerre d’usure pour anéantir les Américains et leurs alliés iroquois. La presse américaine dénonce la violence des Autochtones. Le Congrès menace d’anéantir l’Iroquoisie. Malgré une tentative diplomatique du Grand Conseil des Sept-Nations, en janvier 1779 le Congrès décide d’éliminer la menace iroquoise, les villages doivent être rasés et leur population « exterminée ». Washington prépare cette expédition. Le 3 octobre 1779, quarante villages onondagas, cayugas et senecas sont pillés et incendiés. La riposte mal soutenue par Londres est modeste La chute de l’Iroquoisie entraine plus de 5 000 réfugiés à rejoindre la région du fort Niagara.
Les dernières années de guerre, 1780-1782
Le gouverneur Haldimand trouve dans le désir de vengeance des Nations vaincues une occasion de reprendre l’offensive, d’attaquer New York et le New Hampshire. L’auteur décrit une situation complexe
Paix, soumission et dépossession, 1783-1796
C’est au sud que se conclut l’indépendance américaine quand, le 19 octobre 1781, le général Washington obtient la reddition du général Charles Cornwallis à Yorktown (Virginie).
Les Etats-Unis sortent vainqueurs. Ils obtiennent la souveraineté politique, les territoires de l’Atlantique au Mississippi, l’établissement de la frontière avec le Canada sur les Grands Lacs et des droits de pêche sur les bancs de Terre-Neuve et au large de la Nouvelle-Écosse. Aucune mention des Autochtones qui sont les grands perdants.
C’est le traité de Fort Stanvix qui, le 22 octobre 1784 après un mois de négociations entre les Nations, scelle dans par un accord dicté par les États-Unis, le sort de l’Iroquoisie : les Iroquois cèdent toutes prétentions territoriales au sud de la frontière en échange de quelques terres réservées dans les limites de l’État de New York. Pour fonder le nouvel Etat, le Congrès cède les terres du « vieux Nord-Ouest » aux colons par la Northwest Ordinance, qui fait du « Northwest Territory », le premier territoire de colonisation des terres amérindiennes organisé par les États-Unis (13 juillet 1787). Refusant la tutelle européenne les nations des fleuves Ohio, Miami et Wabash s’organisent pour défendre leur indépendance et créer un État amérindien libre et souverain à l’ouest de l’Ohio. Si de 1792àt 1794, la diplomatie mobilise des centaines de délégués, sans soutien de l’Angleterre, la coalition amérindienne s’écroule à « Fallen Timber », non loin de Toledo, en Ohio, le 20 août 1794. Les vaincus signent le traité de Greenville du 3 août 1795 alors que le traité de Jay (19 novembre 1794) entre la couronne et la jeune république américaine prévoyant l’évacuation des forts des Grands Lacs, les met à la merci des politiques américaines.
Enfin Le 31 mai 1796, les Sept-Nations et les États-Unis signent, à New-York un traité par lequel les Iroquois cèdent à l’État de New York leurs droits territoriaux moyennant un montant initial de 1 233 livres sterling, une rente annelle sans indexation de 213 livres sterling et une compensation territoriale de quelques kilomètres carrés autour du village d’Akwesasne et des rivières Salmon et Grass (dans le St. Lawrence County).
Les Amérindiens du Canada doivent faire face à l’installation des loyalistes (environ 60 000) qui bouleverse le mode d’occupation du sol dans la colonie. Les promesses de respect de leur mode de vie sont vite oubliées. Les revendications des Amérindiens pour un accès à la pleine propriété de terres leur est interdit par la Proclamation royale qui les limite à des droits d’usage, tant pour la chasse que pour l’agriculture.
Conclusion
Si les Sept-Nations du Canada n’ont jamais vraiment influencé le cours de l’histoire coloniale, ils en ont été des acteurs et les grands perdants de la guerre d’indépendance américaine.
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