Stratégiquement envoyé pour arriver le jour de la rentrée, cet ouvrage de Béatrice Compagnon et Anne Thévenin (Sciences Po Paris) permet de débuter l’année en prenant un peu de recul sur son triste sort.

Balayant en continu l’ensemble des niveaux, l’analyse porte naturellement sur les conditions d’exercice des enseignants mais ne néglige en rien leur place légitime dans la société.

S’il concerne les instituteurs, le premier tiers explique parfaitement certains éléments de la structure actuelle du métier d’enseignant. Certes le par cœur et la morale s’en sont allés tout comme l’image du notable cultivé de la France rurale mais la pesanteur de l’administration est toujours d’actualité. Certains ne manquaient pas d’audace : on apprend que, luttant à l’extrême pour la laïcité, des inspecteurs du Doubs organisaient, au début du XXème siècle, des conférences pédagogiques le vendredi avec repas gras obligatoire pour démasquer les catholiques pratiquants !

Le regard de la société pesait également surtout à la campagne où l’enseignant devait être une personne de bonnes mœurs dont les avantages apparents du travail le menaient dans un certain isolement social.

La seconde partie, « la république des professeurs », expose la démocratisation du métier. Concernant le secondaire, l’entrée dans le système est surtout rendue possible grâce à l’attribution de bourses tandis qu’à l’université, la spécialisation arrive avec Durkheim, Vidal de la Blache, Saussure…même si la concurrence avec les grandes écoles est déjà notable.

Les enseignants commencent à parler, à écrire (sous des pseudonymes) mais adhèrent peu à des groupes (toujours cette faible marge de manœuvre). C’est l’affaire Dreyfus qui symbolise la montée des intellectuels. Les enseignants gagnent quelques postes clés dans les ministères.

La démocratisation s’achève (troisième partie). Les enseignants deviennent majoritaires dans les années 1960 et le prestige s’étiole. Le manque de places dans les écoles normales précipite des remplaçants inexpérimentés sur le terrain tandis que dans les années 1980, les IUFM refacilitent les recrutements.

Sur le fond, le profil se précise : l’enseignant est syndiqué, il vote à gauche, il part en vacances…tandis que le modèle d’école, celle de Ferry a bien disparu, les horaires ont baissé, la place de la morale également, on recule l’âge d’apprentissage de certaines notions trop complexes…

L’ouvrage se termine forcément sur des interrogations. La mission de l’école est unique et irremplaçable. Dans un monde de plus en plus individuel, elle représente la seule forme d’expérience collective pour une génération donnée tout en ouvrant à la connaissance et au libre arbitre. Puisse-t-elle survivre (des robots après les vidéos ?) et reprendre de la crédibilité (et donc des moyens) aux yeux de nos gouvernants.