Dans l’historiographie de la guerre froide, la place du sport est longtemps restée de l’ordre de l’anecdoctique. Pourtant, comme la course à l’espace, la production de la performance nécessite une modernité scientifique et un outillage technologique innovant dont les victoires contribuent à faire la promotion.

Sylvain DufraisseLes héros du sport –  Une histoire des champions soviétiques (années 1930-1980), Sylvain Dufraisse, Champ Vallon, Collection Vaisseaux De Pierre, 2019, docteur en histoire contemporaine, propose donc d’aborder ce conflit sous l’angle du sport. Il organise son propos de façon chronologique. Signalons que l’ouvrage comprend un cahier central avec des documents.

Sport et guerre froide

L’ouvrage montre comment le sport s’est immiscé dans la guerre froide, comment il est devenu une scène, mais aussi comment le conflit a accentué le phénomène de « sportification » c’est-à-dire de spécialisation, de professionnalisation et de rationalisation des pratiques à visée compétitive. Cette histoire met en lumière des protagonistes connus et d’autres insoupçonnés.

Faire du sport sur des ruines 1945-1952

Trois phénomènes parallèles agissent sur le monde du sport en reconstruction : la sortie de guerre et le regain d’un internationalisme fondé sur l’espoir de la construction d’un monde meilleur, l’entrée dans la guerre froide et la défense d’un sport apolitique. De nombreux dirigeants et athlètes traversent cette époque sans être inquiétés pour leur comportement durant la guerre. L’organisation du sport aux Etats-Unis se caractérise par un très faible interventionnisme de l’Etat ou encore une commercialisation du spectacle sportif. Les Harlem Globetrotters servent à promouvoir le modèle de réussite économique américain, tout en montrant également le fait que le sport peut permettre de surpasser les barrières raciales.

Des terrains pour la coexistence pacifique : 1952-1962

On retrouve dans ce chapitre des figures connues comme celle d’Emil Zatopek « la locomotive humaine ». Aux Jeux Olympiques d’Helsinki, on discute de la comptabilité des performances entre nombre et métal des médailles. L’autre débat qui agite la communauté internationale est celui entre professionnels et amateurs. Il y a aussi la question des Etats plus ou moins reconnus comme Taïwan, la Corée ou l’Allemagne, toutes deux coupées en deux. Les années 1950 sont celles de la massification : les compétitions remplissent les agendas des athlètes.

Nouvelles forces émergentes et diffractions : années 1950-1970

De 1945 à 1970, le nombre d’Etats indépendants quadruple. Le sport est alors parfois vu comme un moyen de la construction nationale. Concurrencer les anciens colons sur le terrain du sport et obtenir la victoire est un acte éminemment symbolique. La coopération sportive dans le monde soviétique se traduit, par exemple, par des tournées de sportifs ou encore l’envoi d’entraineurs et de techniciens.

Sport et détente : 1962- milieu des années 1970

Le contexte d’amélioration des relations Est-Ouest n’empêche pas la confrontation sportive. Le sport est aussi diplomatie comme le montre le ping-pong utilisé comme outil de rapprochement entre les Etats-Unis et la Chine avant qu’il ne soit effectif dans le domaine politique. C’est également un moment où on assiste à la technicisation des entrainements. Le sport devient aussi une tribune comme en témoigne l’épisode de Mexico en 1968. Cela se traduit aussi par l’émergence du terrorisme à Munich en 1972. La question du dopage commence à apparaître. Des Soviétiques et des Américains participent à la construction et à la standardisation des sciences du sport.

Performances de guerre fraîche : milieu des années 1970-1985

Comme la musique, certaines pratiques physiques passent au travers des mailles du rideau de fer et suscitent des réceptions assez diverses en fonction des pays, pouvant aller jusqu’à la prohibition. La question des droits de l’homme s’immisce dans le débat sportif comme le montrent les débats sur le boycott éventuel de la Coupe du monde de football en Argentine en 1978. C’est l’époque aussi où le passage à l’Ouest de sportifs de l’Est défraie la chronique. Pour Coca Cola ou Pepsi, les Jeux Olympiques sont un moyen de pénétrer un marché fermé. Le sport devient de plus en plus un domaine marchand sous l’action de Horst Dassler. Les années de guerre fraîche ont vu s’affaiblir le positionnement central de l’Union soviétique dans le monde du sport.

Et l’Ouest s’est imposé : 1985-1992

Plusieurs défis se posent au sport international : rassembler les deux Grands et éviter les boycotts, s’ouvrir sur le dynamisme de l’est de l’Asie et faire face à l’offensive des magnats des médias. Des sports comme l’athlétisme se transforment avec l’intensification des saisons. Avec la chute des démocraties populaires, l’excellence sportive, autrefois fleuron du socialisme, devient un trait honteux. Le sport redevient une nouvelle fois une scène d’affirmation et d’opposition nationale comme dans le cas de la Yougoslavie.

Depuis 1992

Pendant 50 ans, la guerre froide a fait de la scène sportive une projection de l’affrontement où pouvait se mesurer l’avancée, voire la domination de l’un sur l’autre. La guerre froide a largement participé à la mondialisation du sport. Elle a aussi suscité la convergence et l’homogénéisation. Après Barcelone 1992, le monde du sport a profondément changé car les instances qui le structurent se sont démultipliées.

Cet ouvrage permet donc d’aborder la guerre froide sous un autre prisme et, ce qui est aussi particulièrement intéressant, c’est qu’il dépasse la simple valeur d’exemple pour montrer, en retour, les effets de la guerre froide sur le sport.