Aiat Fayez aborde un thème délicat, le droit d’asile, l’immigration à l’aide de témoignages. A partir de son expérience personnelle et d’une longue résidence d’artiste au sein de l’OFPRAOffice français de protection des réfugiés et apatrides.

L’auteur est Libanais, après quelques années à chercher un lieu où il se sente bien, en Italie, en France où il a suivi des études de philosophie. Il ne se sent ni libanais, ni français, il a connu les longues démarches infructueuses pour obtenir la nationalité française. Il s’est installé à Vienne.

Le narrateur, alter-ego de l’auteur, accueille chez lui régulièrement des gens de passage. Avec Charlotte, une étudiante à qui il loue une chambre, il se raconte, étranger en terre inconnue et partage son expérience d’observateur à l’OFPRA, ses discussions avec les agents de l’office.

Ce roman graphique à l’écriture déroutante est incontournable pour approcher la situation des demandeurs d’asile. Pour la lisibilité les dialogues avec Charlotte sont en rouge alors que le récit de l’expérience d’Aiat est en bleu. Dès les premières pages l’auteur pose la question : Comment devient-on Français ? Qu’est-ce que la vie d’un non-Européen en France ?

Durant son immersion il a été un observateur muet des procédures : attente de son tour, dossier, entretien avec le demandeur du droit d’asile, un témoignage terrible de la peur de se voir renvoyé dans son pays d’origine, des incompréhensions culturelles, du rôle parfois trouble des interprètes. Il dit la face à face des officiers de protection, aux lourdes responsabilités, et des demandeurs d’asile.

A Fontenay-sous-Bois, le « bunker » comme on l’appelle, est le lieu où se déroule les entretiens. Il a observé ces moments d’absurdité, des récits poignants de menaces, d’agressions, de viols ou crainte et mensonge. Des entretiens où se perçoivent les différences culturelles du demandeur. On y voit la peur, les mensonges aussi, les récits appris par cœur à la demande des passeurs. On rencontre des gens perdus venus de nombreux pays en guerre ou pas : Tchétchénie, Albanie, Afghanistan, PakistanLes Pakistanais se font passer pour des Afghans, qui obtiennent plus facilement l’asile, SoudanAvec le récit terrible d’un enfant soldat, Rwanda…

Des récits qui disent avec des mots plus ou moins crus : le texte d’Aiat Fayez a été mis en scène en 2017.

 

 

La BD est très touchante, émouvante et même trop dure à certains moments. Elle est réservé à public averti. Ce n’est pas un récit de réfugié comme L’Odyssée d’Hakim de Fabien ToulméTome 1, « De la Syrie à la Turquie », Delcourt, coll. « Enrages », 2018 – Tome 2, « De la Turquie à la Grèce », Delcourt, coll. « Enrages », 2019, 256 p. – Tome 3, « De la Macédoine à la France », Delcourt, coll. « Enrages », 2020, 256 p., mais ce n’est pas non plus une charge contre les agents de l’OFPRA. L’auteur décrit des fonctionnaires humains, émus ou froids pour se protéger de récits trop violents ou comme cette agent qui choisit de travailler aux archives car prendre la décision d’accueil ou d’expulsion est devenue trop dure à porter.

Ici le texte génère de l’empathie mais aussi du malaise quand la parole des demandeurs est mise en doute. Lui-même étranger, le narrateur éprouve un plaisir assez malsain à être du « bon côté », à sympathiser avec les fonctionnaires plutôt qu’avec les demandeurs d’asile, la sensation « d’être passé de l’autre côté du miroir, du côté du pouvoir »p. 353. Un pays dans le ciel pose des questions difficiles sur l’accueil des réfugiés et les privilèges liés à la citoyenneté. L’album tente de rendre à chacun son humanité.