Entre BD et livre classique, la proposition de Jul et Aïtor Alfonso offre un parcours des modes alimentaires sur le temps long qui lie humour et qualité de l’information.
Avec Sex and the city, JulConnu pour ses dessins de presse avant de se lancer dans la BD, Jul, après Normale Sup, obtient l’agrégation d’Histoire, fait de la recherche en sinologie et enseigne à l’université., il plonge le lecteur dans la guerre du pot-au-feu
Après un rapide rappel des stéréotypes nés de l’œuvre de J.-H. Rosny aîné, le texte propose une utile mise au point sur l’apport des peintures rupestres et de l’archéologie à propos de l’alimentation des hommes de la préhistoire.
La construction de l’ouvrage, image pleine page suivie d’un texte illustré, est reprise de période en période :
L’Égypte pharaonique, au 1er siècle autour de la Cène, à Pompéi, quand l’éruption, en figeant les scènes, a permis de mieux connaître les mœurs alimentaires des Romains.
Le Moyen Âge s’ouvre sur le repas des Vikings, suit les moines bénédictins, de Bernard de Clairvaux à Hildegarde de Bingen. Les règles alimentaires sont précises.
Le « chapitre suivant » propose un voyage au pays de Touaregs grâce à Ibn Battuta, c’est ensuite l’orient ottoman, où renverser le kazanchaudron, car refuser la nourriture du sultan, souverain nourricier, est un signe de révolte chez les Janissaires. Ce qui adoucit les mœurs, c’est le cherbetdes fruits et des fleurs préparés en sorbet. Une petite révolution alimentaire a lieu sur les rives du Bosphore quand la traditionnelle association blé-vin-huile d’olive recule devant le riz, associé au sucre et au beurre.
Mais que mangeaient les Aztèques avant l’arrivée des Espagnols ?
Retour en Europe avec Dom Quichotte, puisque c’est à table que commence le roman de Cervantès. On y voit notamment la place des lentilles et le débat sur la consommation du porc dans l’Espagne d’après l’expulsion des Juifs de 1492. La France des guerres de religion est l‘occasion d’évoquer la gloutonnerie de Catherine de Médicis et les innovations qu’elle apporte à la cour de France.
Un peu d’exotisme avec le repas des Samouraïs et celui de la chasse aux sorcières qui prône le sel comme remède. Sous la dynastie Qing, fut, sans doute, inventée la sauce soja et les lettrés gastronomes Li Yu ou Yuan Mei vantent les nombreuses variétés de nouilles.
Au siècle des Lumières, « la gourmandise est la nourriture ce que la curiosité est au savoir. »citation p. 61
Les encyclopédistes écrivent sur l’alimentation et la santé, Sébastien Mercier, dans son Tableau des Paris, nous renseigne sur le quotidien des Parisiens entre abondance et frugalité selon la richesse.
Darwin, dans ses voyages, décrit les mets qu’il découvre. Créateur du Glutton Club, ce fut un gourmet très curieuxSur ce sujet voir : Les gastronomes de l’extrême, de Bruno Fuligni, Éditions du trésor, paru en 2015. Ses écrits renseignent aussi sur la nature à bord des navires et le risque de scorbut.
Aux États-Unis, dans le sud esclavagiste, la nourriture est un moyen de soumission.
Les esclaves pour subsister cultivent un petit potager dans lequel on va trouver des plantes comme l‘okra ou gombo et des recettes inspirées de l’Afrique.
Une période difficile, le siège de Paris et la Commune, on a mangé les animaux du jardin des plantes, le temps des queues de cerises.
Noël, 99e jour du siège, voilà le menu du très chic Café VoisinCitation p. 74 :
Hors-d’œuvre : Beurre, radis, tête d’âne farcie, sardines
Potages : Consommé d’éléphant
Entrées : Le chameau rôti à l’anglaise, le civet de kangourou,
Côtes d’ours rôties sauce poivrade
Rots : Cuissot de loup, sauce chevreuil, Le chat flanqué de rats,
La terrine d’antilope aux truffes
En Inde, le contenu de l’assiette est fortement influencé par le système des castes qui indique ce qui est pur ou impur pour chaque groupe. Gandhi invente une nouvelle forme de résistance, la grève de la faim.
Les cuisines roulantes des tranchées de la Grande Guerre permettent, dans des conditions difficiles le ravitaillement des troupes. Les colis des familles, quand ils arrivent, améliorent l’ordinaire.
Sous Mussolini, Marinetti rédige un Manifeste de la cuisine futuriste qui promeut « une cuisine futuriste pour le renouvellement total du système alimentaire italien, qu’il est urgent d’adapter aux besoins des nouveaux efforts héroïques et dynamiques imposés à la race »citation p. 85 : nouveaux ingrédients, repas accompagné de musique et de parfum, décor des plats…
Le « Poulet Fiat », le « Porc excité » (un salami au café et à l’eau de Cologne) ou le célèbre « Plasticoviande » : « un pain de viande dynamique a constitué d’un cylindre de veau farci de onze types de légumes verts et couronné de miel, soutenu à la base par un anneau de saucisses reposant sur trois boulettes de viande de poulet. »Citation p. 87
Et sous Staline ? Les cantines ouvrières peinent à nourrir cette population nombreuse. Souvent sales, elles masquent mal les pénuries. Après les mesures d’ouverture sous Gorbatchev, les premiers food trucks apparaissent dans les rues de Moscou avant l’arrivée des McDonald’s.
Autre régime totalitaire, Cuba où Castro, selon les auteurs, est passionné de cuisine et de produits laitiers. Les émissions de cuisine à la télévision masquent mal l’échec de la politique alimentaire.
Autre ambiance avec les Hippies à Woodstock où la logistique ne suit pas pour nourrir les nombreux festivaliers.
Les astronomes inaugurent-ils la nourriture du futur ? Les auteurs rapportent l’anecdote du sandwich clandestin de Gémini 3 et montrent que la nourriture de l’espace a bien progressé depuis les débuts des vols habités.
« Des astronautes se sont déjà préparé une pizza grâce à une imprimante 3D, la culture de légumes dans l’espace est en phase de recherche avancée et la NASA finance un concours appelé le Deep Space Food Challenge afin de trouver les nouvelles technologies alimentaires de demain. »Extrait p. 103
Voilà un ouvrage de bonne vulgarisationBibliographie p. 105 à 108, plein d’humour qui fera un excellent cadeau au pied du sapin, ou pour tout autre occasion. Il a pleinement sa place au CDI. On attend avec impatience le tome 2.