Constatant le faible nombre d’écrits sur le thème de la nature évoluant librement et l’image généralement négative qui est associée à la friche, Annik Schnitzler (professeur à l’université de Metz) et Jean-Claude Génot (écologue au PNR des Vosges du Nord) livrent, avec cet ouvrage, non seulement une solide mise au point sur le sujet mais également un véritable plaidoyer pour les espaces délaissés.

L’introduction nous confronte d’emblée aux termes clés du livre, des termes peu habitués de nos programmes de géographie : les espaces « incultes » à ne pas confondre avec ceux en jachère ; la « succession », naturelle ou issue d’une déprise agricole, qui correspond à une reconstitution de la forêt (et qui peut nécessiter des siècles avant d’atteindre son nouveau niveau de maturité) ; cette « féralité » enfin, qui symbolise un retour à l’état sauvage, ici du paysage.

Quatre parties structurent le propos. La première présente synthétiquement l’histoire des déprises en France, chacune ayant eu son contexte climatique, économique et social mais où l’impact humain a nécessairement eu toujours plus d’incidence.

La seconde partie sur les processus de succession présente une approche physique des différents stades de la vie d’une forêt que relaye la troisième partie sur les successions en milieu anthropisé. Les impacts clés tournent autour de la fragmentation des îlots forestiers qui insularisent les populations, la présence de vestiges sous-terrains et bien entendu, les modifications climatiques. L’analyse s’intéresse aux particularités de chaque milieu : les vallées alluviales illustrées par un schéma intéressant sur la formation d’une île fluviale (p 64), le milieu montagnard, le milieu méditerranéen mais aussi un regard sur une façade atlantique (Bretagne) et un exemple tropical (Martinique). Souvent sont évoqués les retours d’espèces animales, y compris devenues rares.

C’est surtout la quatrième partie qui pourra générer de l’inspiration pour des approches sur le sujet, celle portant sur la perception sociale des friches. Presque toujours perçues comme des verrues dans le paysage, elles sont soit considérées comme « à soigner » soit « à éliminer » pour reprendre les métaphores médicales et militaires citées dans l’ouvrage.

Les agriculteurs, eux, ont souvent intérêt à les rejeter, quitte à exagérer, pour justifier l’importance de leur rôle dans les domaines économique et social. On apprend également sur l’expression à succès « fermeture des paysages » employée toujours pour critiquer la présence de la nature désordonnée et foisonnante.

Plus encore que dans le reste de l’ouvrage, cette partie convoque de nombreuses références à des recherches puisqu’elle confronte, avec grand détail, les points de vue des scientifiques, des gestionnaires et de l’opinion publique sur le sujet.

Citant Christin (2007) « Le sauvage n’est pas inutile et négligeable car il n’a pas de productivité économique », les auteurs referment leur travail sur l’idée que cet appel en faveur de la féralité peut constituer une nouvelle révolution culturelle passant par la protection intégrale de certains espaces, ce qui ne signifie pas pour autant l’acceptation de toutes les déviances de la société.

A l’image des ouvrages au catalogue de chez Quae, une belle réalisation, originale, convaincue et bien documentée puisqu’aux images noir et blanc qui ponctuent le texte, s’ajoute un cahier couleur de 16 planches.