Jean-Christophe Gay, directeur scientifique de l’Institut du Tourisme Côte d’Azur (ITCA) et professeur des Universités à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de Nice (université Côte d’Azur), nous propose une remarquable synthèse sur un objet d’étude incontournable des programmes scolaires et des concours de l’enseignement.
Avec ses 2,8 millions d’habitants éparpillés à travers le monde, et ses treize entités aux statuts différents, l’outre-mer est souvent associé à un sentiment de dépaysement à travers des odeurs, des couleurs et la chaleur de paradis tropicaux. L’éloignement de la métropole constitue une des caractéristiques communes de ces territoires. Il faut au mieux 8 heures d’avion pour rejoindre les Antilles et 30 heures pour Wallis-et-Futuna. L’insularité et la tropicalité sont aussi fréquemment évoquées, tout comme les troubles sociaux, les cyclones dévastateurs, et la vulnérabilité des écosystèmes.
Dès son introduction, l’auteur souligne l’ambiguïté d’une décolonisation sans indépendance. Les « quatre vieilles colonies » sont devenues en 1946 des départements (DOM) puis en 1982 des régions (ROM). De l’esclavage à son abolition, jusqu’à la départementalisation, les trois grandes « îles à sucre » et la Guyane ont connu une histoire commune.
Ce qu’« outre-mer » veut dire
Le mot « outre-mer » renvoie à colonie/colonisation. Avant l’existence d’un « ministre de l’Outre-mer », on nommait un « ministre des colonies ». Cette désignation a disparu lorsque la Constitution de 1946 a mis juridiquement un terme à la colonisation.
Le mot « ultramarin » émerge dans les années 80. Les RUP, régions ultrapériphériques, sont instituées par le traité d’Amsterdam en 1997.
La France est le pays qui a conservé la proportion la plus élevée de son empire colonial, comparativement aux autres nations européennes (à l’exception du Danemark avec le Groenland). Des 12 millions de km² des années 30, il n’en subsiste plus qu’ 1 %. Au moment de l’Exposition coloniale de 1931, les possessions françaises rassemblent près de 70 millions d’habitants, contre 41 millions en Métropole.
La France d’outre-mer évoque indéniablement la distance et l’altérité. Jadis, on parlait de la « France du lointain », titre du numéro 7012 (1992) de la Documentation photographique. Précisons qu’aujourd’hui, certains Antillais préfèrent dire « hexagonaux » (terme non employé par l’auteur), au lieu de « métropolitains », pour s’affranchir d’une vision métropocentrée de l’outre-mer.
De l’état de colonies aux statuts à la carte
Les évolutions statutaires de la FOM ont été importantes depuis une quarantaine d’années. La révision constitutionnelle de 2003 (« acte 2 de la décentralisation ») remplace l’appellation DOM-TOM par DROM-COM, dans une logique spatiale réticulaire.
Depuis l’accord de Nouméa de 1998, la Nouvelle-Calédonie n’est plus un TOM. Mayotte devient le 101e département français et le 5e DOM en 2011 (avec les compétences dévolues aux DROM, mais sans être une ROM). Martinique et Guyane ont le statut de « collectivité territoriale unique » depuis 2016. Elles disposent chacune d’une assemblée.
Jean-Christophe Gay met en avant la notion de « gradation de l’altérité institutionnelle ». En effet, les situations diffèrent pour chacun des cinq départements ultramarins.
Parmi les neuf RUP que comptent l’Union européenne, six sont françaises (Guadeloupe, Guyane, Réunion, Martinique, Mayotte et Saint-Martin). Elles sont dans la zone euro, mais pas dans l’espace Schengen. Trois RUP sont portugais ou espagnol : Madère, les Açores, les Canaries. Au total ces RUP concentrent cinq millions d’habitants (Les Canaries, deux millions) et révèlent un retard économique avec un PIB inférieur de plus d’un quart à la moyenne européenne.
Les PTOM (pays et territoires d’outre-mer) appartiennent à des pays de l’Union européenne, mais ne font pas partie de l’espace communautaire. Il en existait vingt-cinq avant le Brexit. Ils sont désormais treize. La France en compte six : la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), Wallis-et-Futuna et Saint-Barthélemy. Ils peuvent bénéficier du Fonds européen de développement (FED).
La mobilité statutaire montre des trajectoires croisées. Par exemple, Mayotte est passée de PTOM à RUP en 2014, tandis que Saint-Barthélemy est passée de RUP à PTOM en 2012.
Les îles Saint-Martin et Saint-Barthélemy se sont détachées de la Guadeloupe en 2007, à la suite d’un référendum, pour devenir des collectivités d’outre-mer (COM).
Les populations de l’outre-mer
Loin des grands courants migratoires préhistoriques, le peuplement de la FOM s’est effectué tardivement. L’insularité et l’éloignement des premiers foyers humains constituent les principales causes. Certaines îles restent des terres inhabitées. C’est le cas des TAAF. Les îles de la Nouvelle-Amsterdam et de Saint-Paul sont découvertes par les Portugais au XVIe siècle. Les Français débarquent en 1772 à Crozet et à Kerguelen. Dumont d’Urville atteint le continent antarctique en 1840. En hommage à la femme de Louis-Philippe, la région découverte est appelée Terre-Adélie.
Des populations premières ont existé, occasionnant des situations conflictuelles, comme dans les Caraïbes, entre les Arawaks et les Karibs. Ces peuples amérindiennes subsistent encore aujourd’hui en Guyane.
La culture d’exportation de la canne à sucre a largement dominé et durablement marqué les paysages, la société et l’économie des DOM
Dans un premier temps, les Européens précèdent les esclaves. Par exemple, en Martinique, jusque dans les années 1670, la population blanche est majoritaire. La traite négrière s’est développée avec les importants besoins de main d’œuvre pour cette production, en même tant que disparaissaient les Amérindiens et que l’immigration européenne était insuffisante. Le Code Noir qui donne un « statut juridique » à l’esclave est promulgué en 1685 dans les Antilles. Il faudra attendre 1704 pour voir son application en Guyane (et 1723 pour La Réunion).
La croissance de l’activité dans les Antilles s’intensifie et voit apparaître des « habitations ». Ce sont de vastes complexes agro-manufacturiers, autrement dit des plantations de canne, associées à des manufactures sucrières. En Guadeloupe, on peut dénombrer en moyenne 112 esclaves sur 180 hectares dans ce type de structure. Les Jésuites possèdent en Guyane la plus grande « habitation » en 1737. On y compte 350 esclaves.
L’abolition de l’esclavage représente un temps fort dans l’histoire des territoires ultramarins. Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la Convention vote une première abolition, rejetée par les colons puis annulée par Napoléon (en 1802). L’abolition définitive sera adoptée sous la IIe République, le 27 avril 1848. La commémoration de l’abolition de l’esclavage dans les DOM, qui se traduit désormais par un jour férié, se fait à des dates différentes, en raison d’une application du décret qui s’est étirée sur plusieurs mois en fonction des territoires. Depuis 2015, le Mémorial ACTe à Pointe-à-Pitre a pour vocation de créer un espace dédié à la mémoire, à l’information, à la connaissance et à la recherche historique sur les traites négrières et l’esclavage.
Dans ce contexte, le contact entre différentes populations, européenne, africaine, métissée, engendre le « fait créole », qui désigne initialement celui qui est « né aux colonies ». [Nous préférerons plutôt dire « né dans la plantation », afin de mettre davantage l’accent sur le système économique qui en est à l’origine.] Sa composante, essentiellement linguistique et culturelle, amène aussi à un cloisonnement de la société. Si plus de la moitié de la population réunionnaise ne parle que créole (en 2010), une décréolisation est amorcée en Guadeloupe et en Martinique.
Les Journées Défense et Citoyenneté révèlent un illettrisme marqué chez les Domiens, autour de 20 % (15 % à la Réunion, 29 % en Guyane en 2015). En comparaison, les jeunes considérés dans cette situation représentent moins de 4 % en métropole.
L’arrivée de Métropolitains s’est amplifiée notamment par l’augmentation des effectifs de l’administration dans un contexte de départementalisation.
Avec des logiques culturelles et politiques propres à chaque territoire, le particularisme des différentes collectivités ultramarines s’affirme nettement. Il s’agit de valoriser la culture présente, à travers une quête identitaire. Ainsi des manifestations populaires et religieuses se multiplient pour le renouveau tamoul réunionnais.
Durant la colonisation, l’évangélisation a été prégnante. Elle est le fruit de nombreuses missions, notamment protestantes. Aujourd’hui, on observe un certain dynamisme des néo-protestantismes en Guyane, aux Antilles et en Polynésie française. Cette ferveur religieuse se traduit par une certaine radicalité. Les Assemblées de Dieu sont bien implantées, comme à Pointe-à-Pître. Ces communautés, repliées sur elles-mêmes, possèdent de vastes temples. 20 % des dérives sectaires en France sont localisées en outre-mer, selon la MIVILUDES (Mission interministérielles de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).
La prise en compte de l’autochtonie (les premiers occupants d’une contrée) a été plus forte en Nouvelle-Calédonie
Une justice coutumière a vu le jour à Nouméa, où sept nouveaux assesseurs ont prêté serment en 2019. Elle s’applique au droit civil (adoption, filiation, mariage, divorce, régime matrimonial, succession). Le droit pénal et le droit du travail restent le domaine de la loi métropolitaine.
Le sénat coutumier est une institution ethnique au sein de la République, où ne siègent que des hommes. Seize sénateurs (deux par aires coutumières) délibèrent sur les lois du pays intéressant l’identité kanake. La règle des « quatre i » s’applique dans le domaine foncier, afin de garantir une terre « inaliénable, insaisissable, incommutable et incessible ».
Un conservatisme s’opère à Wallis-et-Futuna. Le statut de 1961 fait de ces Polynésiens des citoyens français, mais reconnaît aussi l’organisation monarchique ancestrale de ces îles (un roi à Wallis et deux à Futuna). Sur ce territoire qui ne dispose ni de cadastres, ni de communes, la gestion du foncier relève de chefferies. Les « districts » correspondent aux circonscriptions administratives qui sont aussi les aires coutumières géographiques. L’Assemblée territoriale, composée de vingt conseillers, a des compétences (législatives) réduites.
A l’opposé des Kanaks, les Amérindiens de Guyane ont un poids démographique et une représentativité très faibles : 10 000 personnes sur 300 000 habitants vivant en Guyane.
La population d’outre-mer souffre davantage d’inégalités et de précarité
Les statistiques ethniques autorisées en Nouvelle-Calédonie permettent de constater les phénomènes d’exclusion sociale et de pauvreté. Par exemple, 4 % des Kanaks avaient un diplôme universitaire en 2014, contre 24 % pour les non-Kanaks.
La vulnérabilité des sociétés est nettement plus accentuée que dans l’hexagone : obésité, diabète, addictions à l’alcool et aux drogues, délinquance et criminalité, violence, insécurité routière, viols, agressions sexuelles, incestes…
Tous les indicateurs choisis par Jean-Christophe Gay (chômage, IDH, indice de Gini, RSA, CMU-C, PIB par habitant, population vivant dans un quartier prioritaire) permettent de mesurer l’ampleur des difficultés, et les aides sociales qui en découlent.
Les bénéficiaires de la CMU-C sont 37 à 38 % de la population guyanaise ou réunionnaise. En comparaison, en Seine-Saint-Denis, le chiffre s’élève à 14,7 % (en 2016).
Un arrêté gouvernemental en 2016 a imposé aux industriels locaux de ne pas dépasser le taux de sucre des denrées alimentaires de celui de la Métropole. Effectivement, tous les produits fabriqués localement, pour satisfaire au goût de la clientèle, sont excessivement sucrés. Les actions de prévention à l’heure actuelle sont encore insuffisantes.
La monoparentalité s’est accentuée aux Antilles (41 % en Martinique contre 25 % en Métropole).
Pour une part de la population, les conditions de vie sont dégradées, et davantage pour les femmes. Les grossesses précoces (avant 19 ans) sont élevées dans la FOM. Les violences intrafamiliales sont plus répandues.
Le vieillissement de la population s’accélère aux Antilles, à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie et Polynésie française
A l’inverse, l’explosion démographique de la Guyane et de Mayotte s’explique par une fécondité élevée (population majoritairement très jeune), à laquelle s’ajoute une immigration illégale forte. Parallèlement, à Mayotte, le taux de chômage qui atteint 35 %, entraîne une émigration massive des jeunes. Près de la moitié des natifs de 18-24 ans vit hors du département. Il n’empêche que le solde naturel mahorais est supérieur au solde migratoire. L’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) se situe à 3,6 (enfants) en Guyane et 4,7 à Mayotte (il était supérieur à 6 avant les années 90). Un défi reste à relever dans le domaine de l’éducation (classes surchargés, illettrisme, échec scolaire massif). Certaines écoles du premier degré à Mayotte sont contraintes à scolariser par demi-journée, faute d’infrastructures (deux classes différentes dans une même salle, l’une le matin, l’autre l’après-midi).
Le nombre d’ultramarins vivant en Métropole a progressé pour atteindre 445 000 personnes en 2016
Quant au nombre d’individus « originaires » de l’outre-mer, il est estimé entre 900 000 et 1,1 million.
L’arrivée des ultramarins commence surtout dans les années 60. La mécanisation de la canne à sucre s’accompagne d’émeutes violentes. Pendant cette période des Trente glorieuses la France a besoin de main-d’œuvre. Il existe alors une forte demande en emplois publics peu qualifiés : postiers (PTT), aides-soignantes (AP-HP), policiers, agents administratifs de catégorie C. Les Antillais arrivent en premier, surtout concentrés en Ile-de-France (282 000 en 2008), notamment dans les arrondissements du nord-est de Paris et en Seine-Saint-Denis, où le parc HLM est conséquent. Quelques années plus tard, les Réunionnais s’installent dans les grandes métropoles du sud (108 000 en province en 2008).
On constate une surreprésentation des ultramarins dans l’Armée : 8 % des engagés (nombreux Tahitiens à Toulon et à Brest). On note aussi une forte présence des ultramarins dans le personnel pénitentiaire. Les Domiens représentent la moitié des nouvelles recrues en Ile-de-France. La proportion des ultramarins est passée de 6 % en 2008 à 30 % maintenant, sur les 27 000 surveillants.
La visibilité de la France d’outre-mer se fait aussi le domaine du sport. Nombreux sont les athlètes ultramarins qui ont permis à la France de briller : le sprinter guadeloupéen Roger Bambuck, Marie-Josée Pérec, cinq champions du monde de football de 1998 (Karembeu, Henry, Thuram, Lama…), l’escrimeuse Laura Flessel, le handballeur Jackson Richardson, le judoka Teddy Riner…
Entre atouts et crises : une France en souffrance
Le domaine maritime français est immense grâce à l’outre-mer
La France partage une frontière maritime avec une trentaine de pays. Elle possède la deuxième plus vaste ZEE (zone économique exclusive), derrière les États-Unis et devant l’Australie et la Russie. Elle dispose donc de droits souverains en matière d’exploitation, d’exploration, de gestion, de conservation des ressources naturelles des eaux, des fonds marins et de leur sous-sol, jusqu’à 200 miles nautiques, soit 370 km du rivage.
L’espace maritime ultramarin correspond à 96,6 % de l’espace maritime national (soit 9,6 millions de km² sur les 10,1 millions au total), essentiellement localisé dans l’hémisphère sud. La Polynésie française, les TAAF et la Nouvelle-Calédonie rassemblent 83 % de l’espace maritime français.
Compte tenu des surfaces réduites émergées, la ZEE paraît énorme. Le rapport entre terres émergées et espaces maritimes pour la Polynésie française s’élève à 1/1365. Concernant Clipperton, le rapport est de 1/218500, soit une ZEE de 435 000 km² pour une île de 2 km².
Les écarts et contrastes des espaces maritimes français sont donc significatifs. Les 120 îles de la Polynésie française correspondent à une superficie de 4 541 000 km² de ZEE (contre 297 000 km² pour la France métropolitaine), à laquelle s’ajoute une superficie des eaux intérieures et de la mer territoriale de 252 000 km² (74 000 km² pour la France métropolitaine). Ce qui nous donne une superficie de l’espace maritime de 4 793 000 km² (371 000 km² pour la France métropolitaine). On peut ici mesurer clairement les apports de l’outre-mer. Quand l’Hexagone représente 3,4 % du territoire national, la Polynésie française concentre 44,5 %.
Mais il existe des espaces maritimes contestés que la France s’est attribuée. Maurice revendique Tromelin, les Comores Mayotte, et Madagascar les îles éparses du canal du Mozambique. Dans l’océan indien, l’île corallienne d’un km² de Tromelin offre 274 000 km² de ZEE à la France. Elle est seulement occupée par trois agents des TAAF qui se relaient tous les deux mois à la station météorologique.
A la suite d’un arbitrage international en 1959, le Mexique a accepté la souveraineté française sur l’île de Clipperton. Mais pour éviter les tensions, des accords ont été conclus. Les navires mexicains peuvent demander depuis 2007 des licences de pêche gratuites pour tendre leurs filets dans cette ZEE. Les contrôles sont de toute façon quasi inexistants.
La valorisation de l’espace maritime français s’est effectuée par la création en 2006 de la réserve naturelle nationale des Terres australes. C’est initialement 7 665 km² de la surface terrestre des îles et plus de la moitié de leurs eaux territoriales, soit 15 700 km², aujourd’hui élargis à 670 000 km² (4ème plus grande aire marine protégée du monde). Malgré tout, les moyens pour mettre en valeur ces espaces ne sont à la hauteur des ambitions. Pourtant les enjeux dans la zone indopacifique sont de taille.
La FOM dispose d’une biodiversité exceptionnelle mais en péril, sujet aux aléas
La forêt équatoriale guyanaise et les récifs coralliens constituent un patrimoine exceptionnel mais qui est menacé par les activités humaines, comme l’orpaillage.
La dégradation de la biodiversité terrestre et marine est avérée en Nouvelle-Calédonie (engravement des cours inférieurs des fleuves, érosion des sols, perte de la qualité des eaux douce et lagunaire…). Face à l’exploitation des mines de Nickel, il n’existait pas avant 2009 de protection juridique satisfaisante de l’environnement.
Les cyclones, les séismes et le volcanisme caractérisent les aléas atmosphériques, géophysiques et biologiques, des milieux tropicaux de la FOM (l’arc antillais borde une zone de subduction). Face à la vulnérabilité de ces territoires, la sensibilisation et la prévention au risque jouent un rôle essentiel pour atténuer les effets dévastateurs.
Le vent, la pluie, la houle et l’onde de tempête constituent les dangers d’un cyclone. Ces derniers éléments provoquent une surélévation du niveau de la mer (de plus de dix mètres) due à la chute de pression atmosphérique. La population côtière est alors particulièrement menacée (davantage encore sur les atolls). Les cumuls d’eau peuvent être impressionnants, comme en 1980 à La Réunion (cyclone Hyacinthe). On relève 6 083 mm en 15 jours à Commerson sur la route du Piton de la Fournaise.
Considérée comme la plus grande catastrophe de l’histoire de l’outre-mer européen, l’éruption de la montagne Pelée à la Martinique en 1902 a tué 28 000 personnes. Aujourd’hui les victimes sont moins nombreuses que dans le temps passé, mais les dégâts matériels sont considérables.
Le développement touristique balnéaire aux Antilles est contrarié par la présence de sargasses, qui prolifèrent dans toute la Caraïbe. L’échouage de ces algues flottantes incommode par ses odeurs. Elles abîment aussi le matériel des pêcheurs.
Les scandales sanitaires
Ils sont évoqués. En Polynésie française, les atolls de Moruroa (« Mururoa ») et de Fangataufa ont accueilli les 181 essais nucléaires organisés par le Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), de 1966 à 1996 (dont 41 aériens entre 1966 et 1974). Jean-Christophe Gay souligne toutefois que la menace des radiations ionisantes a fait moins de victimes que l’obésité dans cette partie du monde. Cependant ces territoires sont condamnés à rester inhabités, en raison du risque d’effondrement de la couronne récifale corallienne qui peut déclencher un tsunami. Une surveillance géodynamique s’impose donc.
Difficultés rencontrées par les économies ultramarines
L’auteur en dresse la liste : chômage élevé et chronique, faible productivité, vie chère, fortes inégalités salariales, balance commerciale très dégradée. Il insiste sur les aides diverses venant de la Métropole, comparables à une rente pétrolière. Selon lui, elles sont le reflet d’économies assistées, sous perfusion.
En effet, le coût de la vie est particulièrement cher pour ceux qui ne disposent pas de la surrémunération (des fonctionnaires). Le shopping à l’étranger est révélateur d’une stratégie d’évitement des prix du commerce local. Pour réduire le poids du budget alimentation, l’autoconsommation se développe. Dans ce contexte, les grèves générales, les blocus et autres manifestations de masse traduisent les préoccupations des populations les plus vulnérables.
Les surcoûts s’expliquent par l’éloignement et l’isolement, à l’écart des grandes routes commerciales. Plus encore, notamment en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, cette vie chère souffre du manque de concurrence et des réglementations à l’importation. L’emblématique Nutella est deux à trois fois plus cher qu’en Métropole pour les Calédoniens.
Le partenaire économique privilégié reste donc la Métropole
La culture de rente pour l’exportation (banane, canne à sucre, café), héritage (et choix) colonial, a dominé, en dépit de la départementalisation et au détriment des cultures vivrières, destinées à la consommation locale. N’échanger qu’avec la Métropole prive l’opportunité d’accéder à des marchés importants plus proches. A noter par ailleurs que les aides de l’État et de Bruxelles s’accumulent pour maintenir ces activités agricoles (prix d’achat garantis, quotas, aide à la production).
Les problèmes de compétitivité sont aussi présents dans l’industrie du nickel en Nouvelle-Calédonie. La concurrence de l’Indonésie se fait sentir. La rentabilité s’essouffle, au regard des cours actuels et compte tenu des coûts de production élevés.
Ainsi, la Nouvelle-Calédonie semble de plus en plus dépendante économiquement de la Métropole, alors que le processus d’émancipation et de décolonisation est largement engagé.
Jean-Christophe Gay retient l’expression de Bernard Poirine (2011), « économie de serre » pour désigner le modèle de développement basé sur des échanges commerciaux et des flux touristiques dominants avec la Métropole, donc nécessairement reclus et factice, et dont l’État n’a pas cherché à le réformer en profondeur.
Les jeunes qualifiés aspirent à un emploi territorial ou d’État, bien payé, contrairement au secteur privé.
Dans le domaine du tourisme, les destinations environnantes ou équivalentes font concurrence
Les excursions, l’hébergement, la restauration restent trop chers. Les services ne sont pas à la hauteur des prix proposés et le shopping reste limité et là encore coûteux.
La moitié des 2,5 millions de touristes (par an) visitant l’outre-mer français se sont rendus dans les Antilles. Ce sont largement des Métropolitains, qui ont souvent des liens familiaux ou amicaux avec les résidents.
En comparaison, la République dominicaine est quatre fois plus fréquentée que la Guadeloupe et la Martinique. Les Antilles françaises ne rivalisent pas non plus avec Cuba et les Bahamas. La part dans l’activité de croisières caribéenne a nettement reculé depuis 25 ans. Cependant Fort-de-France redevenant tête de ligne, l’espoir d’une nouvelle dynamique s’envisage.
En Nouvelle-Calédonie, les séjours de touristes sont moins nombreux que les Néo-Calédoniens voyageant hors de leur territoire (en Australie notamment).
Centres et périphéries ultramarines
Dans cette partie, l’auteur aborde la question des aménagements, pour faire face aux inégalités socio-spatiales, aux disparités régionales, aux phénomènes d’enclavement, d’hypo et de sur-insularité, au sein de la diversité des onze collectivités ultramarines habitées. Les oppositions spatiales sont multiformes : quartiers aisés, quartiers défavorisés, îles principales, îles secondaires, îles hautes et îles basses.
Afin de mesurer les disparités socio-économiques de l’outre-mer français, Jean-Christophe Gay propose une analyse en composantes principales (ACP), basées sur 34 variables (11 concernant la démographie, 9 l’économie, 4 les conditions de vie et le niveau d’enseignement, 3 la santé, 5 la délinquance, la distance à Paris).
L’auteur met aussi en évidence l’unité des villes ultramarines dans leur forme, leurs dynamiques, leurs problèmes. La colonisation a été à l’origine du développement urbain. Les sociétés précoloniales n’avaient pas de traditions urbaines. Des ports associant la fonction commerciale à la fonction militaire sont apparus, permettant ainsi la relation avec la métropole.
Les centres-villes des grands espaces urbains ultramarins se caractérisent par des plans orthogonaux, hippodamiques, héritages du damier colonial. Avec l’accroissement de la population urbaine, des quartiers d’habitat spontané, précaire et insalubre ont émergé. Ces habitants occupent illégalement des terrains pentus, marécageux. A la Réunion, les surfaces agricoles utiles (SAU) reculent avec la diffusion de l’habitat dans les zones rurales.
Une autre spécificité concerne le maillage communal. Alors que la France métropolitaine dénombre 35 000 communes de 16 km² et 1 850 habitants en moyenne, la France d’outre-mer compte 214 communes de 13 000 habitants en moyenne.
La macrocéphalie du chef-lieu s’affirme. Dans les années 30, les agglomérations de Pointe-à-Pitre, Fort-de-France, Saint-Denis-de-la-Réunion, Cayenne, Nouméa, Papeete rassemblaient un sixième de la population de la FOM. Désormais, elles concentrent un tiers des habitants. Deux tiers des Néo-Calédoniens vivent dans le Grand Nouméa.
Les périphéries tendent à se développer en fonction des axes de circulation. Mais le réseau routier s’avère de plus en plus saturé. La construction de la « Nouvelle Route du Littoral » (NRL) à la Réunion est un exemple significatif des enjeux de l’aménagement du territoire. Par ailleurs, l’offre de service des transports en commun, rendue difficile avec l’habitat diffus, reste insuffisante.
En abordant la question des territoires ruraux, Jean-Christophe Gay émet des réserves sur la tentative d’une définition statistique proposée par la DATAR (aujourd’hui ANCT) en 2012, des différents types d’espaces ruraux et urbains dans les quatre DOM. Utiliser les cadres et critères métropolitains n’est pas adapté. En effet, les campagnes antillaises, mohoraises, réunionnaises sont densément peuplées.
Quelques facettes de la diversité de l’espace rural de la FOM sont montrées
Les Hauts de La Réunion concentrent 200 000 personnes à plus de 400 m d’altitude. La densité moyenne est de 120 hab./km². L’occupation humaine reste élevée jusqu’à 1 600 m d’altitude. Lorsqu’intervient la crise de la canne à sucre à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, de nouvelles spéculations agricoles, comme le géranium, voient le jour entre 1900 et 1925. Ce territoire prospère alors. Mais la départementalisation (1946) provoque l’exode rural et la mise en frise des terres agricoles. La culture du géranium décline à partir des années 60. Les pouvoirs publics décident la mise en place d’un Plan d’aménagement des Hauts (PAH). Il s’agit de développer l’emploi, de réduire le chômage, de lutter contre la pauvreté, de désenclaver (par l’amélioration de la voirie et des transports collectifs). La mise en tourisme et en loisirs, sur le thème de la nature et de la montagne, est engagée au milieu des années 80 (ouverture de sentiers de randonnée, création de refuges et de gîtes, construction de pistes forestières bétonnées). La revalorisation de ce territoire a porté ses fruits. La fréquentation de l’intérieur de l’île augmente.
Les contrastes demeurent. Face au poids de la macrocéphalie des villes capitales, les îles secondaires, enclavées, se marginalisent. A l’écart des flux, mal desservies, sans lycées, elles subissent un déclin démographique et parfois des pénuries de certaines denrées ou de carburant. Ainsi la sur-insularité côtoie l’hypo-insularité.
Les mutations du transport maritime, par la conteneurisation, ont creusé les écarts de l’insertion des îles secondaires à la mondialisation. Au début des années 2010, l’acheminement d’un conteneur EVP (équivalent vingt pieds) du Havre à Nouméa, parcourant environ 20 000 km, coûte 2 500 euros, tandis que le trajet entre Nouméa et les îles de la Loyauté (250 km de distance) revient à 1 500 euros.
Si la FOM est faiblement internationalisée, quelques enclaves sont mondialisées
C’est en raison de leur forte touristicité. A Bora Bora, la « perle du Pacifique », l’hôtellerie internationale de luxe s’est implantée. Entre 1971 et 2017, la population est passée de 2 215 à 10 605 habitants. Pour soutenir le développement touristique plusieurs usines de dessalement de l’eau de mer ont été construites (en 2001, 2006 et 2007).
Saint-Barth est une destination prisée qui doit son succès à un hébergement haut de gamme, à une bonne accessibilité, à une grande sécurité, et à la french touch.
Le cas de Saint-Martin est intéressant. Cette île est partagée entre la France (partie nord, 56 km²) et les Pays-Bas (34 km²). Il n’existe pas de poste de douane, ni contrôle de police (avant covid-19). Saint-Martin est une RUP, mais sint Maarten est un PTOM. Ce qui revient à dire que seule la partie française est soumise aux normes européennes. Une partie de l’activité d’hôtellerie-restauration française a été relocalisée vers la partie néerlandaise, où les salaires sont plus bas. Les touristes viennent donc la journée à Saint-Martin mais se logent à Sint Maarten. Le shopping (commerces détaxés), l’animation nocturne, et les casinos profitent à Philipsburg. En 2014, à son apogée, l’île a accueilli 2,7 millions de visiteurs, très majoritairement des croisiéristes. Mais le cyclone Irma (2017) a fait plus de dégâts à Saint-Martin qu’à Saint-Barthélémy.
Dans un autre registre, Kourou, qui abrite le Centre spatial guyanais (CSG), a connu un essor considérable de sa population. Avant l’installation du centre de tir, on comptait 659 habitants (1961), désormais on dépasse les 26 000 habitants. La modernisation du réseau routier, la construction d’équipements publics (centrale électrique, écoles, centre médical…) et les besoins en emplois indirects, produisent de l’attractivité.
Les décentrements
Jean-Christophe Gay tient à la fin de ce chapitre à montrer que l’on peut regarder autrement la FOM que par les liens outre-mer/métropole, en cherchant à distinguer les « décentrements ». On peut observer, par exemple, l’influence du voisinage en Nouvelle-Calédonie. Ainsi les éleveurs calédoniens utilisent le vocabulaire des Australiens : station (domaine du propriétaire-éleveur), stock (troupeau), stockyard (enclos à bétail), paddock (petite parcelle près de la station), stockman (éleveur), creek (petit cours d’eau sur la Grande Terre).
L’ONU a établi une liste de 17 territoires « non autonomes » (« Non-Self-Governing Territories »), signifiant que « les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes ». Ce qui reviendrait à considérer qu’elles ne sont pas décolonisées. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont inscrites sur cette liste, aux termes du chapitre XI de la Charte des Nations unies. Jean-Christophe Gay porte un regard critique sur cette résolution, à partir du moment où la population refuse l’indépendance.
Pour achever sa réflexion, l’auteur s’autorise une conclusion personnelle, portée par des interrogations.
L’ouvrage très complet, aborde tous les aspects nécessaires à la compréhension de la France d’outre-mer d’aujourd’hui. Il permet donc au travers d’exemples nombreux, de rappels historiques et juridiques, de changements d’échelles, et de regards croisés, de saisir toute la richesse et la complexité de ces territoires de l’altérité, dans leurs diversités, leurs inégalités, leurs disparités, leurs déséquilibres socio-spatiaux, leurs vulnérabilités, leurs modèles de développement, dépassant ainsi l’image de paradis exotiques, dévastés par des cyclones, et agités par des troubles sociaux récurrents.
Ce livre fournit toutes les bases indispensables pour préparer les concours. Il s’avère aussi précieux pour nourrir les études de cas (et leur mise en perspective) portant sur la France d’outre-mer.