Jung Chang est connue pour la parution de ses mémoires Les cygnes sauvages (1992). Elle a également écrit des biographies de Mao et de l’impératric Cixi. Ici, elle s’intéresse au destin de trois soeurs, témoins et actrices des changements politiques de la Chine du XXe siècle. En effet, parmi les trois soeurs Song, deux épousent des chefs d’Etat chinois : Sun Yat-sen et Chiang Kai-shek.

En route vers la République (1866-1911)

Le livre s’ouvre avec le parcours de Sun Yat-sen, surnommé le « père de la Chine ». Dans sa jeunesse, il a vécu à Hawai où il a découvert la République. Il a deux objectifs : chasser les Mandchous et instaurer une République. Song Charlie, père des soeurs Song, partage ses idées et le finance. Après une tentative ratée, Sun Yat-Sen doit s’exiler. En 1911, face aux soulèvements en Chine, la dynastie mandchoue entreprend des négociations avec les Républicains.

Song Charlie a longtemps vécu aux Etats-Unis où il a eu la possibilité de faire des études. Converti au christianisme, il travaille comme missionnaire méthodiste à son retour en Chine. Il se marie, devient homme d’affaires et a 6 enfants, il tient à leur assurer une éducation aux Etats-Unis. Son soutien régulier à Sun Yat-Sen reste discret.

Les trois soeurs et Sun Yat-Sen (1912-1925)

L’aînée, Ailing, part pour les Etats-Unis dès l’âge de 14 ans. Brillante, elle est la première chinoise à poursuivre des études supérieures aux Etats-Unis. Elle est rejointe par ses deux soeurs en 1908 : Qinqling a alors 14 ans et Meiling, seulement 9 ans. L’année suivante, Ailing rentre à Shanghai, laissant ses soeurs poursuivre leurs études au Wesleyan College en Géorgie. Elle organise alors des spectacles de charité pour soutenir les républicains. Sun Yat-Sen installe son quartier général chez les Song et Ailing devient son assistante d’anglais, tout en rejetant les avances de l’homme politique.

Sun Yat-Sen multiplie les troubles pour déstabiliser le président Yuan, attitude que désapprouve Ailing qui prend ses distances et se marie avec un homme d’affaires. Qinqling prend sa place auprès de Sun Yat-Sen qui jette son dévolu sur elle. La jeune femme l’épouse (de manière illégale, Sun Yat-Sen étant déjà marié) malgré l’opposition de ses parents. Le président Yuan décide de rétablir, en vain, la monarchie en 1915. A sa mort, le vice-président Li lui succède.

Pendant la Grande Guerre, Sun Yat-Sen reçoit une aide financière importante de l’Allemagne. Il s’installe à Canton et se fait nommer grand maréchal, titre qui lui est retiré rapidement par les députés au profit d’une direction collégiale. Il retourne donc à Shanghai auprès de Qingling et finit par se proclamer « grand président de la République de Chine » en 1921. Cela occasionne la division du pays en deux. Le président légitime, Xu, lui propose une démission conjointe et de nouvelles élections. Il démissionne ensuite comme prévu mais pas Sun. Par conséquent, sa résidence est attaquée par les soldats. Il s’enfuit sans sa femme et se sert de l’attaque de la résidence comme prétexte pour bombarder Canton. Cette dernière est blessée, perd l’enfant qu’elle porte et devient stérile. Leurs relations évoluent, car Qingling exige désormais de tenir un rôle public.

A partir de 1923, l’URSS soutient de manière durable Sun Yat-Sen. Cela lui permet de convaincre des chefs militaires et de fonder un nouveau gouvernement dissident à Canton. De plus, les Soviétiques contribuent à la formation militaire des nouvelles troupes de Sun Yat-Sen. Contrairement à son époux qui s’allie aux Soviétiques par calcul politique, Qingling est séduite par les idées de Lénine. Ainsi, elle est désormais surnommée « Soeur Rouge ».

En 1925, Sun Yat-Sen meurt d’un cancer. Les Soviétiques contribuent à la mise en place d’un culte de la personnalité qui prend notamment la forme d’un mausolée.

Les trois soeurs et Chiang Kai-shek (1926-1936)

En 1926, Meiling, surnommée Petite Soeur, fait la connaissance de Chiang Kai-shek, par l’intermédiaire d’Ailing. Il vient d’être nommé commandant en chef de l’armée nationaliste. C’est l’homme fort du parti nationaliste, car il a récupéré l’autorité sur ces troupes, au détriment des Russes. Il conquiert plusieurs régions ce qui lui vaut ce titre dans le New York Times : « Le nouvel homme fort tient la moitié de la Chine ». Ensuite, il s’empare de Shanghai en 1927, avant de rompre officiellement avec les communistes. La même année, il se marie avec Meiling.

Meiling s’implique dans la réussite de son mari. Forte de son expérience dans les oeuvres de charité, elle fait envoyer des médicaments aux soldats blessés et fonde une école pour les enfants de soldats tués. En 1928, Chiang Kai-Shek devient président. Pour tenter de remédier à son manque de légitimité, il s’appuie sur son mariage pour se présenter comme l’héritier de Sun Yat-Sen. Des chefs locaux refusent de reconnaître son autorité, Chiang Kai-shek répond par une série d’assassinats.

Ailing exerce une grande influence sur Chiang Kai-shek qui s’appuie sur sa belle famille pour diriger le pays. Le mari d’Ailing dirige ainsi le Service Uni des Quatre Banques qui contrôle les banques chinoises. La famille essuie plusieurs tentatives d’assassinats. De plus, le contexte international s’assombrit avec l’invasion de la Mandchourie par le Japon en 1931.

Pendant ce temps, Qingling, Soeur Rouge, part en exil à Moscou après la rupture de Chiang Kai-shak avec les communistes. Elle se rend ensuite à Berlin. A son retour, elle défie le régime de Chiang Kai-shek et adhère au Komintern.

Chiang Kai-shek souhaite une unité nationale face à l’invasion japonaise, mais cette alliance exclurait les communistes. Par conséquent, il démissionne tout en nommant des pantins aux postes de Premier Ministre et de président. A l’automne 1934, il expulse les communistes du sud-est pour les regrouper dans la région pauvre et désertique du Shaanxi du Nord : c’est la Longue Marche. Chiang Kai-shek compte les échanger contre son fils, Ching-kuo, otage de Staline et détenu au Goulag. Mais il parvient pas à conclure cet échange. De plus, Zhang Xueling, chef de l’armée nationaliste locale, le fait arrêter.

Les Russes, conscients de la popularité de Chiang Kai-shek, condamnent l’arrestation et accusent Zhang Xueling d’aider les Japonais. Ce dernier demande à négocier avec Meiling. La libération est décidée ainsi que le retour de Ching-kuo en échange de l’impunité de Zhang Xueling, d’une entrevue avec le diplomate Zhou Enlai ainsi que de concessions au PCC. Ce dernier devient ainsi un parti légitime et en développement.

Les trois soeurs en temps de guerre (1937-1950)

Dans un contexte difficile, marqué par la prise de la capitale Nanjung (Nankin) en décembre 1937, Chiang Kai-shek se réfugie à Wuhan puis à Chongqing, dans les montagnes. La population approuve sa décision de résister. Cependant, l’armée conserve une certaine autonomie et Mao devient, par conséquent, le rival principal du généralissime. La capitale provisoire est bombardée par les Japonais en 1939. Meiling s’engage auprès des soldats, en particulier des aviateurs. Elle prend le titre de secrétaire générale à la commission de l’aviation. Ailing et son mari, H. H. Kung, profitent de la guerre pour s’enrichir grâce à la corruption. La prise de Hong Kong par les Japonais en 1941, pousse Qingling à rejoindre ses soeurs à Chongqing.

En 1942, Meiling est conviée à une visite officielle aux Etats-Unis. Les Roosevelt l’accueillent. Elle prend la parole au Madison Square Garden puis devant le Congrès. Après 8 mois passés aux Etats-Unis, elle participe aux côtés de Chiang Kai-shek à la conférence du Caire de 1943, elle négocie en son nom et lui sert d’interprète.

A la fin de la guerre, Chiang Kai-shek et Mao concluent un accord, mais ils n’ont pas l’intention de le respecter. Ils se préparent donc militairement à un affrontement inéluctable. Pendant un an, Chiang Kai-shek domine militairement, mais il décide un cessez-le-feu de 4 mois, décision qui permet à Mao de reconstituer ses forces. Les années 1947 et 1948 sont ainsi marquées par une série de défaites. Le 21 janvier 1949, Chiang Kai-shek est obligé de démissionner. En avril, l’armée communiste s’empare de Nankin et en mai, le généralissime part pour Taiwan. Pendant cette période, Meiling est repartie aux Etats-Unis et refuse de rentrer, jusqu’en janvier 1950.

Trois femmes, trois destinées (1949-2003)

Soeur Rouge devient vice-présidente de Mao en 1949, tandis que ses soeurs vivent en exil. Elle n’a cependant pas de pouvoir politique et parmi ses proches, de nombreuses personnes sont touchées par les purges. En 1976, Zhou Enlai puis Mao dispaissent. C’est désormais Deng Xiaoping qui exerce le pouvoir. En 1981, alors qu’elle est mourante, le PCC l’accepte comme membre et Qinqling reçoit le titre de présidente honoraire de la République populaire de Chine.

Meiling alterne résidence à Taiwan et séjours aux Etats-Unis. En 1954, les Etats-Unis signent un traité de défense mutuelle avec les Etats-Unis. Taiwan conserve ainsi le siège de la Chine aux Nations Unies jusqu’en 1971. En effet, à cette date, Richard Nixon se rapproche de la Chine et le siège de l’ONU revient à Pékin. Chiang Kai-shk meurt en 1975. Son fils, Ching-kuo, devient le nouveau maître de Taiwan.

Jennifer Ghislain