À l’issue d’ « Exode 1938 », on avait laissé Bernhardt Hersch à Shanghai, envahie par les Japonais. Il avait dû fuir l’Europe seule, sans sa femme Illo. Les auteurs montrent comment il va chercher à reconstruire sa vie, et la couverture ne laisse guère d’équivoque sur ce qui se passera. Cependant, le récit ne suivra pas un droit fil, ce qui fort heureux. On va au contraire être avec un Bernhardt en proie aux turpitudes, partagée entre le passé, c’est-à-dire le souvenir d’Illo (d’où le titre de ce second tome) et sa profonde culpabilité de n’avoir pas tout fait pour la sauver, et ce qu’il estime devoir faire pour assurer son propre avenir. Lin Lin (que l’on voit sur la couverture) va représenter son salut, et l’aider à réaliser le film dont Illo avait imaginé avec lui, moyennant des adaptations. De l’intention à la conclusion de ce projet, Bernhardt et Lin Lin vont devoir surmonter beaucoup d’obstacles (l’entrée en guerre du Japon et des États-Unis en étant un), mais ils pourront aussi compter sur la solidarité d’une équipe solide. On les suivra ainsi jusqu’à la capitulation japonaise, et l’achèvement du film.
Avec ce second volume, le récit prend une toute autre dimension. Si la couverture ne laisse que peu de doutes sur son issue, il n’en reste pas moins que les péripéties ne manquent pas de le relancer sans que le lecteur s’ennuie. Au-delà du seul cas des juifs exilés en Asie, on retrouve le sujet des Occidentaux confrontés à la dureté de l’occupation japonaise. Cela rappelle l’histoire que Steven Spielberg avait développé dans L’Empire du soleil (1987), où ces épisodes étaient vus aux travers des yeux d’un jeune garçon appartenant à la bourgeoisie britannique vivant, justement, dans la concession de Shanghai. Si les deux héros, Bernhardt Hersch et James Graham, sont complètement isolés de leur famille, ils trouvent des ressources pour survivre. Cependant, leurs objectifs sont différents : s’extirper de son passé tout en évitant de blesser sa conscience pour le premier ; retrouver son passé au travers de sa famille pour l’autre. À ce titre, il est intéressant de considérer ces deux œuvres en parallèle.
Les qualités du premier volume sont confirmées par le second. Le récit ne manque pas de souffle, même si la touche romantique pourra peut-être être perçue comme trop appuyée et convenue. Le tout est bien servi par le dessin de Philippe Thirault, qui réussit à nous transporter dans un univers temporel et géographique peu familier. Là encore, une comparaison pour les scènes urbaines et leur atmosphère s’impose, cette fois avec Le Lotus bleu (1934-1935 pour sa version originale) d’Hergé, bien entendu.
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes