Le projet de Bernard Gainot est de proposer un éclairage sur la dimension antillaise de la Révolution et en particulier sur la première abolition de l’esclavage. Quels furent la portée des changements politiques et sociaux suite aux révolutions à Saint-Domingue ?

Le choix d’un développement non chronologique rend la lecture peu confortable pour le lecteur peu expert de l’histoire d’Haïti, il pourra néanmoins s’appuyer sur la chronologie et les cartes présentes en annexe. Beaucoup de citations d’extraits de documents peu connus dont on trouve la date en notes de fin d’ouvrage.

Bernard Gainot est historien, spécialiste de la période (Il a publié L’Empire colonial français de Richelieu à Napoléon, 1630-1810 (2015), Les Officiers de couleur dans les armées de la République et de l’Empire, 1792-1815 (2007), le Dictionnaire des membres du Comité de Salut Public (1990) et maître de conférences honoraire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheur associé à l’Institut d’Histoire moderne et contemporaine.

Dans son introduction Bernard Gainot présente les repères historiographiques et les différentes interprétations des événements survenus dans le monde caraïbe à la fin du XVIIIe siècle, le monde impérial après la guerre de 7 ans.

La globalisation de l’espace

Ce premier chapitre s’ouvre sur la présentation du palais Sans-souci à Cap haïtien : sa situation, son symbolisme, le site fortifié de La Ferrière. L’auteur présente une analyse des stratégies politiques et militaires du système défensif de la colonie à la fin du XVIIIe siècle : des principes de Balzunce aus chois du roi Christophe. Il montre l’opposition des colons à cet effort militaire coûteux en argent et en main-d’œuvre. L’expression de deux conceptions de la colonie, une province, partie d’un ensemble colonial, soumise au gouvernement militaire qui la défend face aux attaques anglaises et espagnoles ou un espace de commerce ouvert pour une société créolisée.

La force noire

Avec cette formule, l’auteur choisit un parallèle qui peut surprendre entre les milices noires auxiliaires et la force noire définie par le général Mangin en Afrique un siècle plus tard. Ce chapitre est consacré à la notion d’affranchissement de l’esclave par le service armé. Les querelles entre puissances coloniales dans la mer des Caraïbes amène très tôt, dès la fin du XVIIe siècle, à la mise sur pied de la « compagnie des nègres libres », esclaves libérés par leur participation à la défense de Carthégène (1697), milice de couleur renforcée par l’ordonnance de 1702 alors que les mulâtres, nés libres sont enrôlés dans les compagnies blanches. L’auteur décrit l’organisation militaire de la colonie et montre la professionnalisation des militaires de couleur, l’importance de la compagnie des Noirs libres qui trouve dans la Révolution une occasion d’agir.

Gouverner dans la tourmente

L’auteur aborde les éléments d’organisation et de gouvernement de la colonie, une capitale politique choisie en 1751 Port-au-Prince face à la capitale économique et créole du Cap. Il montre l’affirmation des pouvoirs militaires et civils, représentants du pouvoir royal face à la gestion domaniale des premiers colons, l’extension des prérogatives régaliennes sur la « république égalitaire » des anciens flibustiers, doctrine des colons créoles blancs proches des « patriotes » américains.
C’est dans ce contexte que les événements de 1789 donne le pouvoir aux électeurs blancs qui ouvrent la colonie en 1790 aux navires étrangers mettant fin au régime de l’exclusif colonial. C’est aussi une période de troubles : lynchages, auto-défense, constitution des petits Blancs en garde nationale et aspiration à la liberté de la masse des esclaves.

Liberté générale

L’auteur décrit très rapidement à la fois les révoltes (Plaine du Nord 1791, Le Cap 1793) et les attaques anglaises, espagnoles sur la colonie ; le recours à la chronologie en annexe est ici indispensable. L’année 1796 est confuse : victoire apparente des républicains, importance des militaires mulâtres, pression des Espagnols qui ont intégré à leur armée les esclaves noirs en révolte. Le 4 avril 1792, l’égalité des droits des Blancs et des « Libres de couleur » est proclamée, puis l’abolition de l’esclavage en septembre 1793 qui n’est voté en métropole par la convention que le 3 février 1794.
Bernard Gainot dresse le portrait d’un personnage important Etienne de Laveaux, petit noble charolais acquis aux idées libérales, gouverneur républicain de Saint-Domingue et acculé à la défense de Port-de-Paix. Entrée en lice de Toussaint Louverture, l’auteur loin d’un récit du soulèvement, en propose une analyse rapide : positions des monarchistes, des libres de couleur, des anciens esclaves, des commissaires révolutionnaires, il décrit deux conceptions opposées quant à la défense militaire de la colonie. Il nous montre un Toussaint Louverture, officier catholique, traditionaliste, allié des Espagnols, favorable à l’émancipation et s’appuyant sur les « Marrons » avant son ralliement à la République en mai 1794.

Révolutions dans la Révolution

La colonie, livrée à elle-même connaît désordres, révoltes serviles, militarisation des « Habitations » (Plantations). L’auteur évoque la révolte du Sud (la « République des Platons »), la guerre des couleurs à l’Ouest qui voit les esclaves s’opposer aux mulâtres sur fond de statut social. La revendication de l’égalité des droits se fonde sur un principe que l’on retrouvera beaucoup plus tard (guerre de 1914, Antilles, tirailleurs sénégalais) : l’égalité des droits contre l’impôt du sang.
Une situation trouble pour les représentants d’un pouvoir central en ébullition en métropole et aggravée par les attaques étrangères : Port-au-Prince ou plutôt Port Républicain tombe aux mains des Anglais le 5 juin 1794.

L’irrésistible ascension de Toussaint Louverture

Promu au grade de général le 23 juillet 1975 d’après le texte qui ouvre ce chapitre il prend la tête d’une armée coloniale amalgame des troupes envoyées de métropole et des troupes de couleurs. L’auteur analyse le personnage, homme de guerre dans une colonie aux prises avec deux ennemis extérieurs et soutenue par l’aide américaine, ce qui impose de continuer l’exploitation des plantations pour payer les armes avec les anciens esclaves devenus travailleurs libres. Il montre les relations étroites avec le gouverneur Laveaux pour la défense du réduit républicain et son administration (1795-1796), les discussions entre les officiers noirs et mulâtres. Les dissensions entre la doctrine de Laveaux : une colonie républicaine liée à la France reposant sur l’équilibre des couleurs (Blancs, Mulâtres, Noirs) et les aspirations des Mulâtres qui souhaitent l’indépendance par hostilité à la fois aux colons créoles et aux Noirs.

La République impériale

Entre abolition de l’esclavage et communauté civique, l’auteur montre à la fois le projet d’un renouveau face au déterminisme ancien et notamment racial et la place importante prise par la question du travail dans le régime économique et social post-abolition au moment où arrive une nouvelle commission envoyée de Paris et chargée à la fois de conduire la transition entre esclavage aboli et la libre adhésion de chacun à la communauté civique et de rétablir la suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir militaire. Comment éduquer les anciens esclaves, les conduire vers l’autonomie ? L’auteur analyse les positions de Laveaux et de Sonthonax, en matière d’éducation des masses et le point névralgique de l’échec : le recours à la force pour que les anciens esclaves retournent travailler librement sur les plantations.

L’universalité des citoyens

Ce chapitre met en scène les discussions en métropole sur le devenir des colonies notamment lors du débat de l’automne 1797, la définition d’une république impériale, fédération de territoires qui envoient des députés au corps législatif. Les débats sur la citoyenneté immédiate et inconditionnelle ou des droits proportionnés aux conditions sociales ont une répercussion sur le statut des Noirs comme citoyens, sur le régime fiscal ce qui pose la question du défrichage des Mornes considéré comme vagabondage car contraire à la reprise de l’économie de plantation. L’auteur évoque la reconstitution d’une gendarmerie, l’envoi de représentants de la métropole cristallise les oppositions et la lutte de pouvoir autour de la vocation de la colonie : une agriculture exportatrice sur le modèle de la plantation ou une réforme agraire (la multiplication de petits propriétaires libres et électeurs autosuffisants) associée à un métissage des populations.

Le nouvel Etat haïtien

Ce chapitre est consacré aux luttes entre l’armée coloniale de Toussaint Louverture et le corps expéditionnaire français de Leclerc qui illustrent le principe : Qui tient les Mornes, tient la colonie.
L’auteur analyse le choix de l’indépendance comme un réflexe d’autodéfense. Au cours de la difficile année 1802 les révolutionnaires vont se joindre aux « bandes africaines » (dont l’auteur analyse la signification pages 216 et suiv.) et entrer dans une véritable guerre d’indépendance jusqu’à sa proclamation le 1er janvier 1804. L’auteur analyse les références symboliques au peuplement amérindien voulues notamment par Dessalines et le choix de l’appellation « armée indigène ».

L’ouvrage se termine sur un épilogue consacré à la défaite du corps expéditionnaire de Leclerc.