L’édito de la revue commence par ces mots : « sur le point d’éclore ». Il s’agit donc de repérer ce moment où les choses changent, où de nouvelles voies apparaissent. Mais ce retour de la vitalité peut être un problème quand la pollution a abimé ce qui existait.
Panique sur les boulevards
François Thomazeau et Benjamin Bachelier parlent du Paris des années 1900, époque où sévissaient ceux qu’on prit alors coutume d’appeler « les Apaches ». Cette figure contenait toutes les angoisses de la belle Epoque, que ce soit le voyou, le zonard ou encore le marginal. De nombreux fantasmes se développent autour de cette figure et se diffusent de Paris vers la province. A Marseille, on parle de nervis. Entre 1904 et 1914, la presse nationale consacre un article par jour aux agissements des semeurs de troubles. Le reportage reproduit certaines des unes de l’époque pour se rendre compte de cette obsession sécuritaire, déjà à l’époque. La figure de l’étranger s’y ajoute parfois. Au début du siècle, on assista donc au renforcement de la police avec les célèbres Brigades du Tigre portées par Clémenceau. Après la Première Guerre mondiale, la figure de l’Apache semble disparaître de la capitale mais continue à Marseille et évolue vers le phénomène des gangsters « modernes ». Dans l’entretien qui suit, Quentin Deluermoz souligne que ce genre de figures émerge au moment des périodes d’inquiétude sociale.
Politique, vison, cinéma et musique
La rubrique « La sémantique c’est élastique » se penche sur la question de la droite et de la gauche en remontant tout d’abord à la période de la Révolution française. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que ces notions s’imposent dans le débat. On peut relever aussi que ces notions s’avèrent fluctuantes dans le temps et sans doute encore plus difficiles à cerner aujourd’hui.
La revue propose aussi un extrait d’une bande dessinée complète qui sort en partenariat avec Mediapart. Il s’agit d’une enquête sur l’extrême-droite en France. Le morceau choisi revient notamment sur l’évolution du Rassemblement national entre 2017 et 2022, c’est-à-dire notamment après le débat de l’entre deux tours totalement manqué par Marine Le Pen. Ce qui a changé en quelques années, c’est la porosité du paysage médiatique aux discours d’extrême droite.
« L’effet domino » traite de la question de l’interdiction progressive du vison. Les conditions d’élevage des animaux utilisés pour la fourrure sont propices à la circulation des virus. Dans les fermes, des animaux ne sont pas sélectionnés et ils sont alors abattus, leurs carcasses fondues pour être utilisées dans la production de biodiesel. L’association L 214 a enquêté et a montré la réalité de cette industrie.
La rubrique sur le cinéma permet d’en savoir plus sur Ozu qui, en 1959, sortait son 50èmefilm. Ses œuvres ne seront montrées en Occident que quinze ans après sa mort. L’article se focalise sur l’esthétique développée par le cinéaste japonais. Côté musique « Face B » évoque The Duratti Column.
Suivez le guide
L’enquête sur le métier de guide de montagne témoigne de l’ampleur des changements climatiques à l’œuvre. Interrogeant plusieurs guides, elle permet de se rendre compte que la montagne change à vitesse accélérée. Tristan Knoetzer, 28 ans, est guide depuis 2014 et, même à son jeune âge, il peut témoigner des évolutions en cours. Les effondrements rocheux, par exemple, se multiplient. Ludovic Ravanel, un peu plus âgé et géomorphologue, constate et annonce que l’alpinisme n’est pas mort mais doit s’adapter. Peu à peu, des itinéraires disparaissent et, en même temps, ce ne sont pas moins de 20 000 personnes qui font l’ascension du Mont Blanc chaque année. Parmi les révolutions à avoir en tête il y a aussi le fait de considérer la montagne comme un tout et pas seulement sous son aspect enneigé. L’enquête est véritablement passionnante et multiplie les éclairages.
Vigilance, pouvoir et hymne national
Parmi les autres rubriques du numéro on peut d’abord évoquer « Droit de suite ». En 2017, pour la première fois, une loi met les multinationales face à leurs responsabilités en terme de législation du travail. Il s’agit là d’un aboutissement d’un problème ancien comme en témoigne l’incendie qui, en 1911, tua une centaine de jeunes ouvrières à New York. Les ONG et les personnes ont poussé pour que soit mieux contrôlée la situation des travailleurs en usines. En 2020 la multinationale Total a été assignée en justice afin qu’elle prenne des mesures pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
« Lieu de pouvoir » s’intéresse à l’école des mines de Paris qui forme l’élite industrielle du pays. Les personnes qui en sortent se caractérisent aussi par des liens très forts avec le privé alors que l’école est sensée former la fine fleur de l’administration française.
« Au nom de la loi » traite de la Marseillaise, une œuvre qui continue de diviser encore aujourd’hui. Jean-Christophe Mazurie en rappelle la genèse et précise aussi qu’il a fallu attendre 1879 pour qu’elle s’impose comme l’hymne de la France.
Secret défiance
Thomas Statius et Loic Secheresse ont enquêté sur les essais nucléaires réalisés à Mururoa pendant des années. Ils rappellent d’abord que, si on ajoute les essais réalisés au Sahara et en Polynésie, on arrive au total de 210 explosions. Il y a eu plus précisément 193 essais à Mururoa entre 1966 et 1996. Aujourd’hui, ce sont encore pas moins de 2 000 pages de documents qui sont classées secret défense. Ce reportage est réalisé en lien avec le site Disclose et montre, entre autres, que jusqu’en 1984 le mythe des essais propres a été entretenu pour éviter toute contestation ou discussion. Des associations et des militants se sont battus pour avoir accès à des documents. Cependant, y avoir accès ne suffit pas : encore faut-il pouvoir les décrypter. Au total, on s’aperçoit que les six essais les plus contaminants l’ont été dix fois plus que ce qui avait été annoncé. 1974 marqua une rupture puisque, à partir de cette date, le choix est fait de réaliser des essais souterrains. Il ne faudrait pas croire, loin de là, que cela règle les problèmes de contamination. Depuis 2010, 197 Polynésiens seulement ont été reconnus comme victimes par l’Etat français alors que 1700 demandes ont été déposées. Le temps joue évidemment contre les plaignants. Il aura fallu attendre octobre 2021 pour que soit constituée une commission qui a pour objectif d’examiner tous les documents possibles. La composition de cette commission peut néanmoins faire sourciller puisqu’elle regroupe des militaires ou des fonctionnaires du CEA.
Réenchantement citoyen à l’échelle locale
La ville d’Auray a été scrutée à partir de 2019 pour sa façon de faire de la politique autrement. C’est une vision moins verticale de la chose publique. L’article explique le principe de l’élection sans candidat qui est une méthode pour le moins atypique. Ce sont les personnes qui désignent celle ou celui qu’ils veulent élire. C’est sur ce principe que s’est constituée une liste à Auray, ville de 14000 habitants. Elle a remporté les élections municipales. Le cas n’est pas isolé en France même s’il reste très minoritaire. Les décisions sont prises par consentement et non à la majorité. On appelle cela la sociocratie. Le reportage propose quelques portraits de ces élus atypiques, mais il ne cache pas les difficultés d’une telle entreprise. Un an après, l’euphorie est un peu retombée. Se concerter tout le temps prend énormément de temps et ralentit les dossiers. Pour garder l’esprit en essayant de s’ adapter à cette réalité, des périmètres d’autorité ont été définis. Certains proposent aussi d’évaluer, c’est-à-dire de noter, plutôt que de voter pour une seule personne.
Justice à l’italienne
Pour lutter contre la Mafia la justice italienne a décidé de la frapper au portefeuille. Des plantations sont par exemple saisies et confiées à des coopératives qui y développent leurs projets. Ces coopératives proposent de nouveaux modèles économiques et sociaux bien loin des objectifs de la « Ndrangheta ». Le même genre de procédure a été mené en saisissant un palais Versace qui a été réaffecté à une association. Ce système commence même à se diffuser hors d’Italie et est devenu théoriquement possible en France depuis 2021.
La 36èmelivraison de la Revue dessinée portera sur les football leaks, sur la ligne Lyon-Turin ou encore sur les artisans du Brexit.