Sur les traces des explorateurs européens en Afrique (XVIII-XIXe siècles)

Après une première édition en 2000, les éditions Robert Laffont ont décidé de republier l’anthologie de récits de voyage établie par Alain Ricard, disparu en 2016. Ancien directeur de recherche au CNRS, Alain Ricard s’est attaché à sélectionner des passages dans les journaux et livres écrits par les explorateurs européens à propos de 4 régions d’Afrique : le Niger, le Zambèze, le Nil et le Congo.

Volumineuse en dépassant les 1000 pages, cette anthologie emmène le lecteur sur les traces des voyageurs, géographes, linguistes, marchands et missionnaires qui circulent en Afrique à la recherche d’opportunités commerciales, de phénomènes à étudier, de possibilités d’évangélisation ou de terres à coloniser.

« La présente anthologie est divisée en quatre grandes parties qui correspondent aux quatre moments de l’exploration scientifique de l’Afrique noire et portent le nom de chacun des grands fleuves de l’Afrique : le Niger, le Zambèze, le Nil et le Congo. L’Association africaine, fondée à Londres en 1788, a défini un programme qu’elle a grosso modo suivi et sur lequel je me suis fondé. J’ai donc donné la priorité aux textes qui permettaient de reconstituer la logique de ce programme et apportaient des réponses aux questions géographiques que se posaient les explorateurs. Cette entreprise collective supposait un dialogue entre ses participants. Tous lisaient les oeuvres de leurs devanciers et s’efforçaient de faire mieux qu’eux. »

Alain Ricard, « Le voyage en Afrique », Robert Laffont, Deuxième édition, page 21, 2020

Ce volume ravira les amateurs de récits d’explorations par sa justesse et le choix des textes. De nombreux textes ont été traduits de l’anglais (par Tarek Moussa) et de l’allemand (par Véronique Porra pour le récit du soldat allemand Gerhard Rolhfs du lac Tchad à Lagos en 1866-1867) pour cette publication. Par exemple, Tarek Moussa a traduit un passage du journal du géologue Carl Mauch, un Bavarois qui séjourne six mois en Afrique du Sud et au Zimbabwe actuel de 1870 à 1871. La page 541 est la description de sa visite de la forteresse du Grand Zimbabwe qu’il aperçoit pour la première fois le jeudi 31 août 1871. Pour lui, cette forteresse ne peut pas être une construction de la part des autochtones.

« Jeudi 31 août 1871. Les révélations qui me furent faites la veille en cours de route et le site magnifique de ma nouvelle demeure effacèrent les épreuves que j’avais endurées pendant les derniers jours. Les indigènes nous apprirent – et c’était de loin l’information la plus intéressante – que des Blancs avaient autrefois vécu dans cette région et que leurs aînés avaient recouvré celle-ci il y a quarante ou cinquante ans non sans avoir récupéré par-ci par-là des outils dont ils s’étaient servis dans les jardins de leurs maîtres, comme cet instrument en fer qui, selon leur description, pourrait bien être un pic à main. […]

Lundi 11 septembre 1871. Nous nous rendîmes tôt ce matin aux ruines que nous atteignîmes au bout d’une heure trois quarts de marche. Un puissant vent du sud-ouest fit frissonner nos compagnons. […] Aucune information complémentaire sur le quand et le comment ne pouvait plus être obtenue. Le nom de la colline où se trouvaient les ruines est Zimbabye, ou peut-être Zimbaoë comme l’appelle la tribu locale des Makalaka ou Banyais. Il s’agissait sans nul doute des ruines que Merensky avait aperçues. »

Alain Ricard, « Le voyage en Afrique », Robert Laffont, Deuxième édition, page 541-542, 2020

L’un des atouts de cette anthologie est de surprendre son lecteur. Alain Ricard exhume des ouvrages oubliés depuis leur publication au XIXe siècle. C’est le cas de la centaine de pages consacrées à l’Afrique du Nord et au Sahara de l’explorateur hambourgeois Heinrich Barth. De 1850 à 1855, il voyage de Tripoli et atteint Agadez. En 5 ans, Barth couvre 15520 kilomètres et ne croise pratiquement pas d’Européen. Cette anthologie permet donc de republier une partie des 4 volumes de l’édition abrégée publiée à Bruxelles entre 1859 et 1863 et traduite de l’allemand par Paul Ithier.

L’anthologie présente également un passage du journal de Georg Schweinfurth, un aventurier qui apprend les langues locales et se lie d’amitié avec les marchands d’esclaves présents sur les rives du Congo. A son retour, il publie chez Hachette un récit, « Voyages et découvertes dans les régions inexplorées de l’Afrique centrale (1868-1871) », traduit depuis l’anglais et l’allemand par Henriette Loreau en 1875.

Les textes classiques des grands explorateurs ne sont pas oubliés. Richard Burton (malade à proximité du Lac Tanganyika à la page 625), David Livingstone, Henry Morton Stanley et Pierre Savorgnan de Brazza occupent largement l’anthologie. Le dernier texte est original à plus d’un titre. Il s’agit de la traduction de la biographie d’un marchand d’esclaves de Zanzibar, Hamed ben Mohamed el-Murjebi, surnommé Tippo-Tip. Agé et très riche, il décida d’écrire ses mémoires en kiswahili en 1900. Il raconte sa rencontre avec le missionnaire David Livingstone, puis celle avec un autre explorateur, Cameron, plusieurs décennies auparavant.

Une réédition très appréciée d’un ouvrage classique sur la vie, les découvertes et les problèmes rencontrées par les explorateurs européens de 1773 (James Bruce en Egypte) à la fin du XIXe siècle (Henry Morton Stanley en Afrique centrale en 1889). Le regard sur les populations locales a changé depuis la fin du XIXe siècle, mais le plaisir de lire ces récits d’aventures reste intact.

Parmi les récentes parutions, signalons la sortie d’un ouvrage sur les récits d’explorateurs en Chine, du Moyen-Age au début du XXe siècle, toujours dans la collection Bouquins chez Robert Laffont.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien
  • Une autre anthologie chez Robert Laffont, à paru l’automne 2020, consacrée à Sylvain Tesson, chroniquée dans le cadre de la Cliothèque -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes