Partant de la citation pleine de vérité de Renzo Piano, « En architecture, une erreur, ça peut durer longtemps », l’historien-critique d’art Antoine Vigne prend à bras le corps un thème complexe, résultat du décalage entre le dessin et la réalité. Sujet à la fois difficile sur les sources car l’histoire a plutôt tendance à retenir les succès davantage que les échecs mais également car l’appréciation de l’erreur, sur le volet esthétique essentiellement, peut se révéler très subjective.
Les premières représentations qu’il est possible de se faire avant d’entamer la lecture d’un tel ouvrage tiennent surtout à l’aspect technique, le calcul erroné, le mauvais matériau, l’erreur visible en somme. Les exemples peuvent ne pas avoir de conséquence particulière (tours penchées comme à Pise, pyramides à l’aspect non lissé comme à Méïdoum) mais parfois entrainer des drames (gradins effondrés du stade de Fidenae à Rome en 27) surtout lorsque c’est le site lui-même qui présente des risques (zones inondables notamment ou l’auteur rappelle les tragédies de Xynthia et de Fukushima). Évidemment, il est des types d’édifices particuliers plus propices aux risques (ponts, barrages ou encore gratte-ciels).
Toujours dans le domaine du visible, se pose la question de l’esthétique, de l’harmonie avec l’existant et, là aussi, les exemples ne manquent pas : perspectives qui gâchent les choix originels (basilique Saint-Pierre de Rome) ou en incohérentes proportions avec le cadre local (Notre-Dame de la Paix à Yamoussoukro) ; interprétation extérieure des origines (cas de la grande mosquée de Djenné au Mali, classée au patrimoine de l’UNESCO, mais ayant été bâtie par des autorités coloniales françaises, ne pouvant pas être restaurée selon les techniques traditionnelles) ; le cas des pastiches est également intéressant, créant parfois de véritables anachronismes.
L’erreur peut se révéler plus sournoise, car pas nécessairement perceptible au premier coup d’œil : gouffres financiers, désastres écologiques, besoins mal évalués, absence d’entretien ou encore gestion difficile. Le domaine sportif, notamment dans le cadre des compétitions ponctuelles comme les Jeux Olympiques, fait office de coupable désigné même si d’autres leçons sont à tirer : impossible prise en charge par les égouts des 15 tonnes quotidiennes de déchets des habitants de la tour Burj Khalifa d’où l’important arsenal de camions devant se relayer pour les évacuer ; créations sur-mesure gênant fortement le remplacement des pièces et des matériaux ; bâtiments sans avenir, non remplis suite aux crises immobilières (tour de David à Caracas).
Au delà de ces nombreux cas de figures très explicites, quelques interprétations peuvent malgré tout apparaître un peu tirées par les cheveux : la trop grande ambition de certains constructeurs ayant précipité leur chute politique ; la cloche qui ne sonne pas un vendredi saint pour prévenir d’un incendie à la Nouvelle-Orléans en 1788 ; la station spatiale internationale sans public…On retrouve peut-être ici la limite, souligné dans le volume consacré à la peinture, de certains choix ne permettant pas nécessairement de coller avec le cadrage général de l’ouvrage.
Et si l’auteur amène également la réflexion sur quelques grandes questions de fond théoriques (L’utopie doit-elle être considérée comme une erreur architecturale si le projet n’est pas voué à aboutir (cas de la Tour de Babel notamment) ? La restauration peut-elle, elle aussi, être vue comme une erreur si l’on n’a pas cherché à trahir la pensée du créateur initial ?), il nous propose également d’autres éléments, plus concrets et plus actuels, sur le « fantasme des murs de protection » (mur de Berlin, frontière Etats-Unis/Mexique) ou le « désastre des grands ensembles », rappelant que, malgré l’échec de Drancy, ce modèle générateur de l’exclusion, allait devenir une référence.
D’autres entrées ponctuent encore cet ouvrage (l’architecture culturelle, l’architecture tyrannique, l’éphémère qui devint pérenne comme l’Atomium de Bruxelles ou notre chère Tour Eiffel…) que l’on pourra qualifier de tout à fait réussi : sous une plume claire et une mise en page soignée, les exemples apparaissent donc nombreux et variés, permettant donc d’engager une réflexion de portée générale en histoire et en géographie même si quelques conseils pratiques pourront interpeller tout personne faisant des travaux à domicile. La villa Savoye (« machine à émouvoir » signée Le Corbusier) n’affichait-elle pas quelques gênes au quotidien (étanchéité des fenêtres, couinement du vasistas ou encore insuffisance du système de chauffage) ?