Réitérant une formule efficace et éprouvée qui a déjà mis respectivement en lumière, dans deux précédents albums, les grands chefs français de 1914-1918 et leurs successeurs vaincus de 1940, cette troisième déclinaison est dédiée aux principaux maîtres d’œuvre de la résurrection militaire de la France lors de la seconde partie de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agit des généraux qui, de 1942 à 1945, ont commandé les troupes de la France Libre engagées dans les campagnes de Tunisie, de Corse, d’Italie, de France et d’Allemagne.

Une présentation initiale très claire brosse le panorama de ces différentes opérations de guerre, et dresse un tableau collectif des trente-huit généraux concernés. Le format limité des forces françaises de la Libération, très inférieur numériquement aux armées de masse de la conscription, fait que sont également pris en compte, à côté des chefs d’armées et de corps d’armée, un certain nombre de simple divisionnaires dont le rôle ou la notoriété ont été significatifs. Chacun de ces protagonistes bénéficie d’une notice biographique. Classé dans l’ordre alphabétique, leur contenu forme la substance principale du volume. Son intérêt va au-delà de la simple information factuelle, grâce à la mise en perspective de chaque parcours et à l’authenticité humaine qui se dégage des appréciations et notations dont les uns et les autres ont fait l’objet au fil de leurs carrières.

Le constat le plus singulier qui puisse en être tiré est, sans doute, que la reconstitution et l’engagement victorieux d’une armée française crédible fait émerger un groupe de chefs dont la diversité apparente ne contredit pas la cohérence commune. L’impression de diversité résulte surtout du large écart des âges lié à la promotion éclair des jeunes chefs FFL, qui accèdent aux hauts commandements avec une décennie d’avance sur la norme antérieure et, dans une moindre mesure, des circonstances de guerre qui favorisent l’ascension de certains profils atypiques (le brillant mais controversé Billotte, l’excentrique Langlade, l’instable Larminat). Cependant, qu’ils soient issus des FFL, de l’armée d’Afrique ou de l’armée d’armistice, tous ces hommes n’en sont pas moins le produit de la méritocratie militaire de l’entre-deux-guerres, et sont déjà repérés comme des sujets d’élite avant la déroute de 1940. Hormis les trois plus jeunes, tous sont fortement imprégnés par l’expérience de la Grande Guerre, vécue dans les tranchées et parfois en captivité en tant que jeunes officiers subalternes. Beaucoup ont servi aux colonies et la plupart sont diplômés de l’enseignement supérieur militaire. Issus d’une sélection serrée, sensiblement accélérée mais en aucun cas révolutionnée, les généraux de la victoire, dont les plus distingués accéderont au pinacle des hautes responsabilités de l’après-guerre, sont bel et bien les héritiers légitimes des vaincus de 1940.

Si on revisite avec intérêt les biographies incontournables des généraux les plus connus, et pour certains illustres, de la France Libre, les Béthouart, Catroux, Guillaume, Juin, Koenig, de Lattre, Leclerc, Legentilhomme, Monsabert, Salan, etc., celles de leurs camarades plus effacés ou plus oubliés ne sont pas pour autant à négliger. En effet, d’excellents professionnels trouvent dans ces pages matière à réévaluation. Citons, parmi d’autres, l’impressionnant baroudeur Callies, le méthodique Henry Martin, le dynamique Molle, le discret Sevez, ou encore Sudre le fonceur et Valluy l’intellectuel. Deux généraux inscrivent leurs noms sur le registre des morts au champ d’honneur : Diego Brosset et Édouard Welvert. Un solide peloton de généraux des blindés performants, dont Leclerc est la brillante tête d’affiche, apporte la preuve que, si l’armée de la défaite avait manifestement raté la révolution des chars, celle de la libération a su au contraire en tirer le meilleur parti. Enfin, même si son action n’est qu’indirecte, Charles de Gaulle est un arbitre clé de la distribution des rôles et du choix des chefs. À cet égard, on ne peut manquer d’être impressionné par la hauteur de vue du chef de la France Libre, qui confie les plus hauts commandements à d’anciens serviteurs du régime de Vichy : unanimement reconnus de longue date comme les meilleurs de leur génération, Alphonse Juin et Jean de Lattre de Tassigny devaient amplement justifier cette confiance.

Les auteurs, qui maîtrisent parfaitement leur matière et leurs sources, mettent à contribution archives privées, dossiers militaires personnels et une bibliographie bien choisie. Leur style fluide, la maquette soignée et la belle qualité iconographique de l’album, la finition irréprochable du texte que n’écorche pas la moindre coquille, achèvent de faire de ce livre une référence aussi recommandable par son contenu qu’élégante par sa forme.

© Guillaume Lévêque