« Je souffle dans le ciel tel un millier de vents » est le dernier tome du manhua biographique consacré à l’extraordinaire destin de Kunlin Tsai et il couvre la période allant de 1970 à 2020.

A propos de ce dernier volet, l’illustrateur Zhou Jian-Xin écrit : « pour cette période de cinquante ans, je ne continue pas d’employer la technique narrative des trois premiers volumes, mais j’adopte plutôt la méthode du plan sur plan pour présenter en alternance les moments d’entretien et les flash-back. Cette étape montre non seulement les efforts que fait le héros pour développer sa carrière, mais aussi la croissance effrénée de l’économie taïwanaise. C’est également une étape grâce à laquelle l’environnement politique évolue vers l’ouverture et la démocratie sous la pression et le choc violent de différentes forces politiques et sociales  (voir Le fils de Taïwan, Tome 1/4, « Le garçon qui aimait lire », p.8) Les autres tomes : Le fils de Taïwan – Dix ans sur « l’île verte », 2/4; Le fils de Taïwan, l’ère du Prince, tome 3, parus en 2023».

En 1972, Kunlin Tsai travaille pour les assurances-vie Cathay à Taipei. Tchang Kaï-chek mort, son fils Tchang Ching-kuo lui succède. Le régime politique est toujours autoritaire mais des groupes Tangwaï, qui critiquent le pouvoir du Kuomintang se développent, notamment par le biais de revues et de livres. En dépit des risques, Kunlin Tsai consulte ces écrits et réfléchit progressivement à ce qu’est Taïwan. On voit ainsi le personnage penser (p.44-45) : « n’est-ce pas aux 17 millions d’habitants de décider de l’avenir de Taïwan ? Taïwan doit devenir un pays indépendant ? Cela…pourrait-il être possible ? Durant les 400 ans d’histoire des Taïwanais, ces derniers ont toujours accepté passivement d’être gouvernés par des régimes étrangers. Des Hollandais, des Espagnols, les gouvernement de Koxinga et de l’empire Qing, puis les Japonais et enfin le Kuomintang… Nous les Taïwanais, nous n’avons jamais été maîtres de notre sort ».

Kunlin Tsai va également assurer la création d’un musée d’art et, deux ans après, il reçoit la mission de créer une maison d’édition : Culture Encyclopédique.
Il créé encore également un mensuel féminin « Nonnon », plutôt avant-gardiste dans la Taïwan des années 80. Ces mêmes années 80 voient le pouvoir du Kuomintang ébranlé par des contestations de plus en plus nombreuses. De retour dans le monde de la publicité (Guohua), Kunlin Tsai remporte même un prix pour une campagne, particulièrement réussie, vantant les mérites d’une voiture. Avec la fin de la dynastie Tchang et la levée de la loi martiale, Kunlin Tsai peut enfin évoquer sa déportation sur l’île Verte à ses propres enfants auprès desquels il évoquait « 10 ans d’études au Japon ». Il finit sa carrière comme directeur général de la société Guohua puis devient, jusqu’à la fin de sa vie, un infatigable militant des droits de l’homme, témoignant, avec son camarade Chinsheng Chen, de l’horreur de la déportation.

Alors que Yu Pei-Yun, l’autrice de l’album, l’interviewe, Kunlin Tsai, d’une extraordinaire modestie, déclare ne pas être un héros et n’avoir rien fait de remarquable. Ce superbe manhua, dont les quatre tomes sont des petits bijoux d’intelligence, nous emmène bien à la rencontre d’un homme au destin hors du commun et dont le courage et la vie ne peuvent que forcer l’admiration.
Yu Pei-Yun, à la fin de l’album écrit ainsi (p.142-143) : « à travers ces entretiens avec monsieur Tsai, j’ai pu compléter les lacunes de mes connaissances sur l’histoire de Taïwan, que l’on ne nous a jamais enseignée à l’école. Qu’il soit prisonnier incarcéré sur l’île Verte ou vice-président d’une grande société, M.Tsai n’a jamais cessé de lire. Par la littérature, l’histoire, la philosophie et la poésie, il est devenu un homme cultivé. Il n’a pas vécu dans la haine malgré les injustices subies. Qu’il s’agisse de dessinateurs au chômage, d’amis sans travail ou bien de la petite équipe de base-ball de Hongye, il leur tendait toujours la main avec gentillesse, quelles que soient les difficultés rencontrées. Malgré son âge avancé, au lieu de se consacrer à ses petits enfants comme beaucoup de retraités, il a choisi de se mobiliser pour la justice et les droits de l’Homme, en espérant que les violences d’État ne se reproduiraient plus et que Taïwan aurait un meilleur avenir ».

Grégoire Masson