Cette BD évoque, à travers les événements de Tiananmen et quelques personnages marquants, les oppositions de la société chinoise durant les années Mao et Deng Xiaoping. L’auteur, Jean-Pierre Pécau, a choisi de nous faire découvrir les coulisses de cette période à travers un dialogue intense et riche entre une étudiante, Lee Lang, présente lors des manifestations puis exilée en Australie, et Sheng, surnommé l’Ombre Jaune, homme de main du PC chinois, responsable, entre autre, de la répression.

Jean-Pierre Pécau a fait des études d’histoire et a été enseignant pendant quelques années. Durant sa riche carrière, il a été concepteur de jeux de rôles, scénariste pour la télévision (Série Les Lyonnais), puis scénariste de plus de 20 bandes dessinées, dont la série d’uchronies Jour J ou des épisodes des Reines du sang. Il est accompagné au dessin par Gin, dessinateur serbe, qui a précédemment travaillé sur un autre tome de la série Homme de l’année, le 3e, consacré à 1815.

Jean-Pierre Pécau décide, et c’est la base du dialogue entre les deux personnages principaux, de donner un nom et une identité à celui qui incarne la révolte de 1989. Cet homme, filmé par les télévisions internationales, est Han et se trouve être à la fois le fils de l’Ombre jaune et le compagnon de Lee Lang. A travers le destin de Han, qui s’enfuit après ce coup d’éclat et dont personne ne semble savoir ce qu’il est devenu, l’auteur nous offre une œuvre dense et riche qui évoque pêle-mêle la révolution de 1949 et l’arrivée au pouvoir de Mao, les premières désillusions et réformes avortées ou désastreuses comme la Campagne des Cent Fleurs ou le Grand Bon en Avant, les espoirs déçus à l’arrivée à la tête de l’Etat de Deng Xiaoping.

Les différentes planches sont très intenses et profondes car l’auteur a choisi de nous dresser des portraits de gens complexes, fiers de leurs idées, mais aussi pleinement conscients (ou qui prennent conscience à travers leurs échanges) des limites de leur système de pensée et de leur fonctionnement. Lee Lang, qui revient pour la première fois au pays après s’être exilée en Australie, peine à masquer ses déceptions, son décalage par rapport à son pays d’origine, ses amours frustrées, sa colère également. Sheng, malade et au crépuscule de sa vie, sous des aspects durs et de fidélité absolue au régime, est empli de rage quant à son rôle de père et d’homme de main. Malgré ses excès, malgré une violence et un endoctrinement implacables, il est un homme avec des doutes, avec des échecs, même si, en façade, ceux-ci ne sont pas assumés. Han et les autres personnages, plus secondaires, sont eux aussi très bien travaillés et évitent de tomber dans une simple caricature qui pourrait être inhérente à l’évocation de cette période.

Au final, ce nouveau tome de la série L’homme de l’année, se révèle être une plongée riche et complexe dans les arcanes de la société chinoise communiste, et le titre, centré sur un événement connu de tous malgré sa censure en Chine, n’est pas révélateur de la profondeur de l’immersion. Une vraie réussite et une BD qui s’adresse au plus grand nombre, mais qui peut s’avérer très intéressante pour ceux qui évoque la Chine communiste avec leurs élèves, en terminale particulièrement.