Cette biographie, loin d’être hagiographique aborde à la fois la biographie de Pierre de Coubertin et l’évolution des Jeux Olympiques depuis avril 1896 à Athènes. Selon cet aristocrate, défenseur des colonies, « les rencontres sportives entre nations vont se substituer à la guerre ». Cette bande dessinée met en lumière un personnage que le grand public a associé définitivement aux Jeux Olympiques sans véritablement le connaître

Le dessin de cette bande dessinée, une biographie de Pierre De Coubertin, est très « classique », reprenant les principes de la « ligne claire », mais correspond finalement bien aux propos, à l’époque (fin du XIXe siècle et début du XXe siècle) et à la narration mise en place pour aborder les différentes facettes de ce personnage historique, assez complexe et jusqu’à présent peu connu. Le travail de la coloriste est également très pertinent. Le récit est soutenu par des « flash-back » concernant les premiers Jeux Olympiques, ou des périodes plus anciennes dans la vie de Pierre De Coubertin, et ils sont en couleur orangé ou ocre, et sont donc mis en exergue au sein de l’ouvrage. Les dessins, notamment, les portraits de Pierre De Coubertin, ne sont pas toujours flatteurs, son visage est très souvent marqué par des traits relativement « durs » et avec une certaine austérité voire méchanceté.

Le scénariste a trouvé un procédé narratif assez intéressant pour retracer cette biographie, loin d’être hagiographique. Ce sont deux journalistes, spécialisés dans les chroniques sportives et le suivi des Jeux Olympiques qui discutent au sujet de Pierre de Coubertin et des J.O. passés en se rendant à la cérémonie d’ouverture des J.O. de Berlin de 1936 par Adolf Hitler. Ainsi les deux journalistes peuvent aborder à la fois la biographie de Pierre de Coubertin et ainsi que l’évolution des Jeux Olympiques depuis avril 1896 à Athènes, suite à la création du comité international olympique en 1894. Cette bande dessinée est très didactique, même si une note de bas de page pour développer par exemple l’acronyme USFSA (Union des sociétés françaises de sports athlétiques) aurait été la bienvenue. Elle permet d’exposer certaines prises de position du baron De Coubertin, comme lorsqu’il souhaite : « la disparition de la guerre grâce au sport » (p.15). Les auteurs soulignent son appartenance à l’aristocratie et sa pratique de « sports pour aristocrates » : escrime, équitation, aviron et boxe. Le lecteur apprend que Pierre De Coubertin s’est beaucoup inspiré des travaux de Thomas Arnold, ancien directeur britannique du collège du rugby, il a transformé l’enseignement en Angleterre en faisant une large place aux sports dans les cursus des étudiants. De Coubertin déclare être depuis toujours préoccupé par la pédagogie et les questions scolaires. Il est également attaché à un certain universalisme et pacifisme, d’après lui, « les rencontres sportives entre nations vont se substituer à la guerre ». Un flash-back insiste sur les origines aristocratiques du baron De Coubertin, dont la noblesse de ses ancêtres remontent au XVe siècle pour certains et au XVIIe siècle pour d’autres. Son épouse est également issue de la noblesse. Certains représentants des instances sportives françaises impliqués dans les Jeux Olympiques de 1898, concomitamment à l’exposition universelle de Paris, reprochent au Comité d’organisation olympique : « que tous ces aristocrates qui le compose, ils ne représentent pas vraiment la France démocratique et sportive ». Ils visent notamment le baron De Coubertin mais également le Vicomte de la Rochefoucault son président. Les auteurs laissent à penser que De Coubertin, même s’il a évolué dans une famille et un milieu monarchiste et légitimiste, serait peu à peu devenu « Républicain par conviction ».

Les auteurs de la bande dessinée sont très explicites sur le racisme, et la défense des colonies, de Pierre De Coubertin. Même si l’on peut s’interroger sur la façon quelque peu anachronique dont les deux journalistes introduisent la question : « Il n’a jamais été très clair sur la question coloniale ? » . Les auteurs montrent au contraire, que cette question est purement rhétorique. En effet, ils font référence aux « Journées anthropologiques » de Saint Louis (Missouri) d’août 1904, où des « Indiens d’Amériques, des asiatiques, des syriens, des pygmées, des Zoulous devaient « se défier aux épreuves habituelles des civilisés, pour vérifier les capacités physiques des Indigènes et en déduire une supériorité de la race blanche (p.45) ». Pierre de Coubertin est ainsi ouvertement raciste dans ses propos et dans ses écrits. Nous pouvons souligner la pertinence des citations, dûment référencées, par Xavier Bétaucourt et Didier Pagot, qui illustrent sans ambiguïté les idées racistes, coloniales et misogynes de De Coubertin. Ainsi (p.47), l’un des journalistes déclare : «  Il avait écrit un article sans ambiguïté dans les « Sports athlétiques », c’était dans l’édition 3 mars 1894 […] . J’aimerais voir votre attention se fixer sur les choses lointaines, sur les œuvres d’initiative, sur les hommes d’action. Je voudrais que vous ayez l’ambition de découvrir une Amérique, de coloniser un Tonkin et de prendre un Tombouctou. ». Les auteurs mettent dans la bouche de De Coubertin, l’affirmation suivante : « J’étais et je reste un colonial fanatique, et puis, croyez-moi, la paix en Europe passe par l’extension coloniale. » (p.50). Ils soulignent également sa misogynie et son opposition à la participation des femmes aux J.O. Il écrit : « Le rôle de la femme reste ce qu’il a toujours été : elle est avant tout la compagne de l’homme, la future mère de famille, et doit être élevée en vue de cet avenir immuable ».(p.68). Même si le C.I.O. accepte la participation d’un petit contingent de femmes après les J.O. d’Athènes. Elles seront 277, pour 2883 athlètes en 1928 à Amsterdam. Xavier Bétaucourt et Didier Pagot explicitent les rapports de De Coubertin avec le régime nazi, ils lui font dire : « Vous savez que je n’ai pas d’admiration pour Mussolini, en revanche j’admire intensément Hitler » (p.95). Il valide les J.O. à Berlin en 1936, ils émettent l’hypothèse, qu’il aurait été « acheté » par le régime nazi pour soutenir ces J.O. En effet, à la fin de sa vie, De Coubertin aurait été relativement désargenté et en exil en Suisse depuis la première guerre mondiale (Lausanne, puis Genève).

Cette bande dessinée retrace également l’évolution des institutions liées aux Jeux Olympiques comme le Comité international olympique (C.I.O.) créé en 1894, ou le comité d’organisation, et met en évidence les comportements et les positions de De Coubertin et de ses autres membres. Elle décrit enfin le nombre de pays participants, les disciplines, le nombre d’athlètes (ainsi que la présence de femmes durant ces compétitions) depuis les « premiers » Jeux olympiques dit « modernes » d’Athènes du 6 au 15 avril 1896 (14 pays représentés et 9 disciplines) jusqu’à la bordure chronologique de cette bande dessinée : les J.O. de Berlin en 1936. (De Coubertin décède en 1937). Ainsi les J.O. de Londres de Juillet 1908 regroupent 2000 athlètes, provenant de 22 pays, on apprend d’ailleurs que c’est à cette occasion, que la distance du marathon est fixée à 42,195 km soit 26 miles et 385 yards, puisque la famille royale voulait accueillir au Château de Windsor le départ et l’arrivée devant la loge royale dans le stade.

Cette bande dessinée met en lumière un personnage que le grand public a associé définitivement aux Jeux Olympiques sans véritablement le connaître, à part peut-être quelques citations tirées de leurs contextes. Nous recommandons vivement la lecture de cet ouvrage, pondéré et complet, n’hésitant pas à explorer la complexité de ce personnage central et à la dimension internationale. Les auteurs réussissent à glisser de nombreuses anecdotes savoureuses, à conférer une légèreté et quelques traits humoristiques à leur récit. Ils rappellent que lors du premier marathon, parmi les 17 concurrents qui se sont affrontés, 13 étaient grecs. Spyridon Louis (qui sera présent en 1936 à Berlin) fut le vainqueur mais le troisième fut disqualifié parce qu’il avait effectué une partie du trajet en charrette !!!.