La vieille histoire de la photographie dans les sciences sociales
La première partie de l’ouvrage rappelle que des sociologues, des ethnologues et des anthropologues se sont très vite emparés du médium photographique dont l’apparition a coïncidé avec l’émergence de leur discipline. Toutefois, l’usage de la photographie était surtout illustratif. Au début du XXème siècle sont parues des monographies (voir l’ouvrage de Trasher sur les gangs de Chicago en 1927) ou ont été organisées des expositions de ces photographies qui ne trouvaient pas toujours leur place dans les publications savantes (voir à ce propos l’ouvrage de Benoit De l’Estoile). C’est Douglas Harper (avec son étude sur les vagabonds du NO américain, 1976) qui engage un véritable tournant dans la manière de considérer la photographie en sociologie. En 1981 est mis sur pied le réseau de l’International Visual Sociology Association (IVSA), principale structure qui regroupe tous ceux qui travaillent dans le domaine de la sociologie visuelle. Cette dernière est définie ainsi par Harper comme « l’usage de la photographie, du film et de la vidéo pour étudier la société, et l’étude des artefacts visuels d’une société. » Malgré les efforts de diffusion et de vulgarisation de cette approche, force est de constater que « l’université (…) maintient un certain analphabétisme dans le domaine du langage iconographique. » (Mattioli, 2007).
Faire de la sociologie « sur, avec et en » images
Il existe trois usages de la photographie en sociologie :
– La recherche sur les images (la sémiologie et l’iconographie) doit beaucoup en France aux travaux de Laurent Gervereau. Les photographies sont considérées comme « les traces d’une activité sociale, leur étude nous renseigne sur cette activité et sur les procédés de construction du sens dans les champs sociaux où elles sont produites et circulent. » (p. 25).
– Faire de la sociologie peut aussi consister, par le biais de la photographie, à récolter des données et à analyser des phénomènes sociaux. La photographie devient un outil de recherche. Elle peut être réalisée par le chercheur lui-même, par un photographe professionnel ou bien encore par les enquêtés eux-mêmes. De nombreuses questions se posent sur les usages des photographies récoltées et sur leur interprétation. L’ouvrage se concentre davantage sur les dispositifs à mettre en œuvre que sur les méthodes d’interprétation et laisse le lecteur sur sa faim.
– Il s’agit dans ce troisième cas de figure de restituer une recherche par l’image. C’est dans ce domaine que les marges de manœuvre sont les plus limitées. L’écrit prime encore sur le visuel et toute recherche ne peut se limiter à la fabrication d’un film ou d’un recueil photographique sans un support textuel. Si une thèse de doctorat (portant sur le cinéma) peut consister en la production d’un documentaire, les instances universitaires actuelles ne sont pas prêtes à accepter qu’elle s’y limite. Un volume écrit est exigé.
La photographie : une solution passe-partout ?
Au-delà de la question du droit à l’image, du consentement éclairé des enquêtés, il est indispensable pour le chercheur de mener une réflexion sur l’utilité de cette démarche. « Les images ne sont pas intéressantes pour tout, ni dans les sciences sociales, ni ailleurs. Vouloir imposer leur usage, sans considération pour les spécificités de l’objet d’étude et de la situation d’enquête, ne peut que conduire le chercheur vers des difficultés dans les analyses et dans ses justifications ultérieures de l’apport des usages. » (p. 82) Si la multiplication des moyens mis à notre disposition et à celle de nos élèves (appareil photographique numérique, téléphones portables) ainsi que la diffusion d’images par le biais de diaporama facilitent l’usage de la photographie comme support pédagogique, il ne faut pas perdre de vue les objectifs que l’on cherche à atteindre avec. Pour alimenter notre réflexion, la visite de deux sites consacrés à la sociologie visuelle s’impose. Le premier est un média scientifique collaboratif, proposé par le Laboratoire d’histoire visuelle contemporaine (Lhivic/EHESS), qui héberge notamment le carnet de recherche visuel de Sylvain Maresca.
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes