Ils sont celles et ceux qui témoignent des conflits : si quelques-uns sont devenus célèbres, la plupart sont restés anonymes. Pourtant, leur rôle est essentiel : il s’agit des correspondants de guerre. 

Grand reporter au Figaro, lauréat du prix Albert Londres en 2002, Adrien Jaulmes, qui a précédemment publié deux récits dont l’un intitulé « Sur les traces de George Orwell », propose un livre passionnant sur cette profession. Dans l’introduction, il présente donc ce métier en soulignant ses contraintes, ses dangers mais aussi les contraintes techniques qui ont changé avec le temps. Puis, en sept chapitres richement illustrés, il donne à comprendre ce qu’est ce métier. L’ouvrage prend le temps également de citer parfois en longueur des extraits des reportages de ces correspondants de guerre.

« Splendides petites guerres »

Les premiers correspondants de guerre font leur apparition au moment de la guerre du Mexique au XIXème siècle. C’est l’époque également du développement de la presse de masse. Dès le début, les journaux se regroupent pour unir leurs forces et donnent naissance à l’Associated Press. Russell est le premier correspondant de guerre qui devient célèbre durant la guerre de Crimée. Ses dépêches mettaient tout de même vingt jours à arriver avant publication. Les soldats appréciaient de lire ses reportages, qui ne furent pas toujours en revanche au goût de l’Etat major. 

Les premières polémiques

Roger Fenton fut également correspondant de guerre durant ce conflit et l’on découvre qu’à l’époque il fallait être à la fois photographe et chimiste pour maitriser les outils encore rudimentaires. Nulle possibilité alors de réaliser un cliché qui montre du mouvement. Les polémiques sur la photographie datent de cette époque car certains photographes n’hésitaient pas à déplacer les cadavres avant de prendre le cliché. 

Des contraintes techniques toujours fortes

A l’époque aussi, la photographie ne peut être imprimée en grand nombre dans les journaux, d’où l’importance des dessins. Les premiers correspondants de guerre tombent aussi au combat. A la fin du XIXème siècle, « le bon usage de la presse devient une partie de la stratégie militaire ». Les journaux ne font pas que relater, ils poussent parfois au combat. Les journaux rivalisent entre eux à coup de unes toujours plus sensationnelles. Le journalisme de guerre est vu alors comme un « sport un peu dangereux » qui attire les ambitieux et qui peut permettre de devenir célèbre. Au début du XXème siècle, la photographie est intégrée aux journaux. Quand la Première Guerre mondiale éclate, il est presque impossible d’utiliser les caméras au front sous peine d’être rapidement tué.

La première victime (c’est la vérité)

Lors de la Première Guerre mondiale, chaque pays mobilise ses journalistes et les met à contribution pour servir l’effort de guerre. Adrien Jaulmes présente évidemment la figure d’Albert Londres. A cette époque, les armées se méfient des journalistes et de leurs écrits mais elles apprennent aussi à utiliser l’image à des fins de propagande. Hurley choisit de superposer des images prises à des moments différents pour tenter de rendre compte de la réalité des combats. Comment considérer ce genre de clichés ? S’agit-il de manipulation ? Par ailleurs, c’est en 1916 que le premier documentaire sur la guerre est réalisé. 

En noir ou blanc

Associés à la propagande, les reporters de guerre sortent discrédités du conflit et ils doivent en plus s’adapter à un monde transformé. C’est l’émergence d’une nouvelle génération dans des guerres de plus en plus idéologiques. Le reportage de guerre devient une question d’engagement personnel et moral. Comme le dit l’auteur, « après s’être soumis à la censure par patriotisme, les journalistes le font désormais pour raisons idéologiques ». Il faut mentionner l’exemple de l’écrivain britannique E Waugh qui tira de son expérience de correspondant en Ethiopie un roman satirique « Scoop ». Ce livre est considéré comme le meilleur ouvrage et le plus dévastateur sur les reporters de guerre. Il y pointe les abus de notes de frais ou le jargon journalistique. L’auteur fait le bon choix d’en citer quelques extraits significatifs. 

La guerre d’Espagne, un tournant

Ce conflit est un tournant dans l’histoire du reportage de guerre car les correspondants deviennent des témoins engagés. Intellectuels et écrivains se passionnèrent pour la guerre d’Espagne, que ce soit Ernest Hemingway, Martha Gellorn ou Joseph Kessel. Le photographe de guerre devient un nouveau héros moderne. Adrien Jaulmes revient aussi sur la photographie devenue iconique prise par Capa et explique la polémique qui l’entoure. 

Pour une juste cause

Lors de la Seconde Guerre mondiale, le pourcentage de pertes parmi les correspondants de guerre est le même que dans l’infanterie. C’est dire s’ils sont au coeur des combats. L’auteur explique ensuite comment les Etats-Unis mettent en marche une véritable machine à informer. Dans le Pacifique et en Europe, ce ne sont pas moins de 1600 correspondants de guerre qui accompagnent les troupes dont 127 sont des femmes. Les cinéastes d’Hollywood sont mis à contribution et des écrivains célèbres deviennent des correspondants de guerre comme John Steinbeck. Il faut aussi évoquer Ernie Pyle correspondant d’une association de journaux américains. Ses articles paraissaient dans plus de 300 quotidiens et plus de 1 000 magazines à travers le pays. Ils étaient particulièrement appréciés car ils évoquaient la vie des soldats. Côté soviétique Vassili Grossmann fut un des premiers à pénétrer dans les camps de Maïdanek et Tréblinka. La Seconde Guerre mondiale à elle seule est davantage photographiée qu’aucun conflit auparavant. Quelques clichés marquent aussi durablement notre imaginaire. Adrien Jaulmes évoque aussi les reportages de Martha Gellhorn mais aussi les récits de John Hersey sur Hiroshima.  

Putain de guerre

Durant la période de Guerre froide, les correspondants de guerre ont plus de mal à trouver les mêmes repères moraux que pendant la Seconde Guerre mondiale. Il n’y a plus vraiment de victoire à décrire. « D’observateurs et chroniqueurs ils deviennent des critiques ». L’auteur parle de Jean Lartéguy qui, à l’occasion de la guerre de Corée, livra quelques confessions sur son métier : « ne jamais faire confiance aux collègues. S’ils peuvent te faucher une nouvelle, ils le feront ». On rencontre également Marguerite Higgins qui fut la première femme à remporter un prix Pulitzer de correspondant à l’étranger en 1951. La guerre du Vietnam marqua un autre tournant pour la profession. L’armée américaine donna accès aux journalistes au quotidien de la guerre. Le chapitre s’intéresse à Catherine Leroy, Henri Huet ou encore Don Mc Cullin. Là encore, l’ouvrage propose quelques photographies devenues ultra célèbres. 

Plus jamais ça

Durant cette période, les journalistes se sentent désormais investis d’une mission, «  celle de dénoncer les guerres et de les arrêter ». Echaudés par l’expérience du Vietnam et ses conséquences médiatiques, les militaires cherchent à mettre les journalistes à l’écart. L’opinion publique internationale devient un paramètre dont il faut tenir compte dans les plans de bataille. Ainsi les médias et les journalistes deviennent l’un des enjeux de la guerre civile qui éclate au Liban en 1975. En 1983, en parallèle des attentats suicides qui se multiplient,  on assiste aussi à des enlèvements de journalistes occidentaux. Pendant ce temps, les moyens techniques évoluent : plus légère, la betacam permet l’apparition de la figure du journaliste reporter d’images. Le chapitre évoque aussi la guerre en Yougoslavie, le génocide au Rwanda en évoquant Jean Hatzfeld. 

Guerres médiatiques 

Et aujourd’hui que constate-t-on ? Les reportages de guerre viennent de sources de plus en plus nombreuses et variées. Le matériel est aussi de plus en plus performant et de moins en moins couteux. La frontière entre communication et information parait parfois de plus en plus floue. L’auteur s’interroge sur le fait de savoir si tout le monde est aujourd’hui potentiellement journaliste. 

Cet ouvrage d’Adrien Jaulmes retrace donc presque deux siècles de conflits à travers la figure des correspondants de guerre. Il donne sa place, à la fois aux figures connues, mais aussi aux plus anonymes. Cet ouvrage est également très utile dans le cadre de la spécialité sur la question de 1ère S’informer . 

Jean-Pierre Costille