Sociologue de l’environnement à l’université de Liège, Catherine Mougenot expose en quelque sorte les coulisses du monde de la recherche dans cet ouvrage. Partant du constat que la recherche se publie, s’applique, parfois se vulgarise mais hélas ne se raconte pas, l’auteure prend appui sur la force des témoignages (de nombreuses heures d’enregistrement traitées ici) pour tâcher de la rendre moins obscure.

Et pour analyser ce « paysage » de la recherche, quel meilleur terrain que celui de la biodiversité ? Terme complexe à la forte charge symbolique, il est souvent l’affaire de travaux pluridisciplinaires lesquels ne sont pas sans poser de problèmes de définition et de légitimité des acteurs à le traiter.

Dès lors, comment cette histoire se raconte-t-elle ?

Où la motivation prend-elle source ? Démarre-t-elle à l’enfance et à ses souvenirs empreints d’imaginaire ? Se poursuit-elle logiquement lors de la thèse dont le terrain reste l’objet d’un attachement particulier ? Arrive-t-on à des spécialisations par sexe, par thème, par région, à des « nous » qui deviennent les faiseurs d’un terrain de recherche ? Cet enchaînement semble être la norme.

Le terrain est avant tout l’occasion de faire des rencontres de toute nature. Il y a les collègues pour un aspect pratique évident. Il y a les commanditaires de la recherche que les chercheurs n’aiment pas toujours leur reprochant de ne pas lire les rapports, les gestionnaires reprochant aux chercheurs de rester trop théoriques ou de vouloir servir directement le Prince.
Il y a aussi les enquêtés eux-mêmes avec qui l’échange se fait parfois avec sympathie, empathie mais aussi parfois avec un gros décalage : comme l’indique l’auteure, il est difficile de résister à cette anecdote où un économiste aux souliers vernis saluant les agriculteurs qu’il venait interroger s’est vu lancé un « Bonjour Monsieur le professeur » et lui de répondre « Mais je ne suis QUE maître de conférences » !

L’interdisciplinarité est donc nécessaire sur ce thème et il faut savoir passer outre les querelles de clocher (sciences dures/sciences « molles », universitaires/enseignants de grandes écoles…) et surtout l’enjeu sacré des publications (« et alors, çà devient mou, pas publiable ou alors chez les sciences sociales »). Pour cela, de plus petites équipes, moins gourmandes, voire des duos peuvent constituer des pistes intéressantes. En ce sens, des expériences fructueuses sont à relater : la rencontre entre agronomes et botanistes qui a par exemple pu donner naissance à un courant spécifique, celui de l’agro-écologie.

Terminant sur les belles histoires de la recherche impliquée mais aussi les moins belles (concurrence, résultats détournés…), Catherine Mougenot conte ici un véritable voyage dans la carrière des chercheurs au travers de cette vision de l’intérieur privilégiée. Il en ressort un discours sans polémique des plus transparents et un plaidoyer pour les vertus pédagogiques du récit hélas souvent méprisées.

Xavier Leroux ©