Martine Quinot Muracciole, professeur de lettres classiques à Nîmes, nous invite à découvrir, dans son ouvrage paru aux Belles Lettres, Rome côté cuisines, le monde culinaire des Romains.

Ne vous attendez pas à une liste de recettes de cuisine ! La démarche de cet ouvrage est autre : c’est la cuisine, dans sa globalité (ustensiles, produits, modes opératoires, techniques culinaires, etc), qu’elle aborde ici.

Son travail, extrêmement documenté – il est impossible de ne rien apprendre à la lecture de Rome côté cuisines – prend appui sur les sources dont nous disposons. C’est ainsi que Martine Quinot Muracciole déconstruit dans un premier temps une série de clichés et de mythes autour des pratiques des Romains : les femmes ont trouvé leur place dans le triclinium ; les Romains ne semblaient pas avoir pour habitude de s’essuyer sur les cheveux de leurs esclaves (l’auteur rappelle qu’une seule mention est faite de cette pratique qui hante pourtant l’imaginaire collectif et que cette mention, en outre, émane de Pétrone). Elle s’intéresse à tous les types de sources : textes (recettes de Lucullus et Apicius notamment) ; fresques des thermopolia et popinae, mosaïques « asarotos oikos » (« au sol non balayé »), graffitis ou encore inscriptions sur les vaisselles, mais aussi restes des fosses d’aisance et des décharges, endroits qui peuvent nous apprendre beaucoup sur l’alimentation dans l’antiquité. Arpentant les musées du bassin méditerranéen, elle emmène le lecteur sur les traces des habitudes culinaires des Romains.

Son ouvrage se divise en quatre parties. Dans la première, intitulée « Mise en bouche », elle retrace notamment la vie de l’extravagant Lucullus : richissime après ses campagnes militaires en Asie, il a mené une vie fastueuse lui valant les foudres de ses contemporains. Elle peint l’esthète, l’homme fin et de bon goût, qui sait allier le beau et le bon, refusant le médiocre, y compris lorsqu’il dîne seul – ainsi lui doit-on la fameuse réplique : « Ne sais-tu pas que ce soir Lucullus devait souper chez Lucullus ? ». Apicius est lui aussi réhabilité : envié et méprisé par ses contemporains, son portrait caricatural a traversé les âges. Pourtant, c’est également l’esthète cuisinier qu’elle voit en lui. C’est peut-être l’image du festin de Trimalcion qui a fait des gourmets de « gros mangeurs », nous indique-t-elle avec justesse. Elle s’intéresse au Re coquinaria dont les 10 livres déstructurés peuvent perdre le lecteur peu averti. Le métissage est bel et bien présent : au fil des recettes, nous découvrons les produits du monde romain, du royaume Parthe à l’Ethiopie où l’on va chercher le cumin. Mais les recettes d’Apicius ne sont pas simples à réaliser car elles sont lacunaires et imprécises, très souvent. C’est donc à la lecture éclairée de Martine Quinot Muracciole que nous nous fierons, excepté pour les recettes de loirs dont elle avoue ne pas avoir cherché à les reproduire !
D’autres noms seront évoqués : Varron, Columelle, Pline l’Ancien pour les « scientifiques » ; Horace et Martial pour les auteurs satiriques. Eux aussi nous permettent de toucher aux réalités de leur temps.
Dans le « Vade-mecum », Martine Quinot Muracciole aborde d’abord les trois moments de la journée où les Romains mangent : le jentaculum frugal et peu évoqué dans les textes ; le prandium, souvent pris dans les « popinae » ; enfin la « cena ». Ce dernier moment revêt aussi un caractère social et si ce que l’on mange a une importance capitale, le moment partagé entre amis, les discussions, les jeux, le loisir, font partie intégrante du repas. L’auteur s’intéresse aux dessous de ce festin : qui cuisine ? ; quelle intendance nécessite-t-il ?; comment conserve-t-on les denrées ?
De l’oeuf à la pomme, autrement dit du début de la cena à la fin, les aliments seront recensés.
Tous les aspects des « cenae » sont évoqués : les lieux, à savoir le triclinium, sont visités ; l’hygiène est soulignée (les Romains mangent certes avec les doigts mais lavent leurs mains régulièrement durant le repas et protègent les coussins des banquettes du triclinium) ; plats, couverts sont présentés…
Dans le « Bene sapiat ! », partie plus restreinte que les autres, Martine Quinot Muracciole retrace les grands principes de cette cuisine méditerranéenne : sans gras, simple, nourrissante, utilisant des herbes pour aromatiser, utilisant des légumes de saison. Une cuisine d’actualité !
Enfin, « Nunc est coquendum, nunc est edendum » ! fait place à la pratique et à la découverte de plats romains. Au travers de 12 menus à thèmes en 3 services, le lecteur aura une vision complète de la cuisine romaine. Du menu A+ alliant l’originalité et la créativité du maître Apicius mais bien difficile à envisager pour nous (tétines de truie et testicules de coq y sont à l’honneur !) au menu « Nain de jardin » ligth et végétarien, vous trouverez votre bonheur !
Au travers de ces menus, nous découvrons encore des realia de cette cuisine romaine : l’usage des « maris pomae » ou « fruits de mer » dont les romains étaient friands ; l’habitude des bouillies ; l’usage du miel ou encore des figues présentes dans nombre de recettes et déjà connues pour leurs qualités nutritives et thérapeutiques.
Des détours sont faits par la Gaule et la Corse mais l’auteure souligne elle-même le manque de références antiques. Ces détours ne sont peut-être pas nécessaires pour qui veut découvrir l’art culinaire romain.

Si cet exposé exhaustif peut paraître un peu long pour qui ne souhaite pas devenir spécialiste de cuisine antique et si le vocabulaire technique employé peut être un frein pour les novices, pour toute personne quelque peu avertie, cette découverte plus large (et précise !) de l’alimentation romaine antique est un régal ! La source documentaire joue un rôle fondamental dans le projet de l’auteur. C’est donc avec assurance que les initiés pourront parcourir cette balade culinaire ponctuée de digressions dont on peut aisément se délecter !