Une nouvelle étude sur la définition, la circulation et la réception de l’iconographie morale et politique dans l’Italie du XIVe siècle.

Après avoir soutenu en 2011 une thèse sur l’imagerie morale des ordres mendiants et des communes toscanes entre 1315 et 1415, Bernard Cosnet publie une étude sur l’Italie du XIVe siècle. L’auteur s’insère ainsi dans le renouveau d’intérêt pour l’imagerie politique du bas Moyen Âge italien, marqué notamment par les contributions de Patrick Boucheron sur les fresques dites du Bon Gouvernement Patrick Boucheron, « “Tournez les yeux pour admirer, vous qui exercez le pouvoir, celle qui est peinte ici”. La fresque du Bon Gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti», Annales. Histoire, Sciences Sociales, 6/2005 (60e année), p. 1137-1199 ; id., Conjurer la peur. Sienne, 1338. Essai sur la force politique des images, Paris, 2013..

Le thème des vertus, représentées par leur personnification, connaît un succès très important dans la production artistique d’Italie centrale au XIVe siècle : à partir de ce constat, l’auteur s’interroge sur les facteurs qui ont pu contribuer à l’essor de cette iconographie, sur les modifications intervenues dans la représentation de vertus ainsi que sur le statut des personnifications morales à la fin du Moyen Âge.
La démarche qu’il a suivie consiste à éclairer le rapport entre la riche réflexion théologique et morale médiévale et les représentations – religieuses et séculaires – des personnifications qui en sont dérivées.
Après avoir défini, dans l’introduction, les spécificités du procédé de la personnification dans les arts figuratifs – en parallèle avec la prosopopée littéraire – et après avoir donné un aperçu des études précédentes et avoir posé les limites de son champ d’études – l’Italie centrale, entre 1300 et 1415 –, l’auteur affronte son sujet en trois parties. Dans la première, il établit les fondements théoriques de la représentation et définit le public visé ; dans la deuxième, il montre l’influence exercée par les ordres mendiants dans l’élaboration et la diffusion de l’iconographie ; il montre enfin le processus de « sécularisation » du thème des vertus et sa diffusion dans un contexte laïc, public comme privé, au cours du XIVe siècle.

La thèse principale de l’auteur consiste donc à mettre l’accent sur l’apport des ordres mendiants dans la définition d’une morale qui passe par la personnification de vertus. Cet apport aurait alors permis d’ouvrir la voie à une reconsidération positive de l’Antiquité et, donc, à la l’affirmation de l’Humanisme dans l’Italie du XVe siècle.

L’ouvrage se conclut par un inventaire des personnifications des vices et de vertus dans la péninsule italienne réalisées, tous supports confondus, entre 1300 et 1415. Ce travail méritoire permet ainsi de recenser 975 vertus et 130 vices, divisés par commanditaire, par typologie d’œuvre et par aire géographique.
Nous rendrons compte du développement de cette thèse, entre histoire des idées et histoire de l’art, avant d’avancer des considérations pour en faciliter l’usage dans l’enseignement secondaire.

Personnification, diffusion et affirmation des Vertus dans l’Italie du Trecento.

La première partie est consacrée aux fondements théoriques de la diffusion des cycles de Vertus. Tout d’abord, l’auteur s’attache à retracer les origines du septénaire – les quatre vertus cardinales et les trois vertus théologales – dans la réflexion théologique chrétienne. C’est avec Thomas d’Aquin (1225-1274) que le système moral trouve sa systématisation définitive. Si, dans les arts figuratifs, le nombre de vertus est souvent variable, ce n’est qu’à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe que la représentation de Foi, Charité et Espérance avec Prudence, Force, Justice et Tempérance devient plus fréquent. Le septénaire négatif, établi en pendant de sept vertus, connaît une fortune encore moins importante dans les arts figuratifs. Après quelques représentations de Vertus par cycles ou en figures isolées, de grands cycles voient enfin le jour à partir de la chaire du baptistère de Pise, réalisée en 1260 par Nicola Pisano, puis avec les fresques de Giotto dans l’église Notre-Dame de la Charité (ou chapelle des Scrovegni) dans l’Arène de Padoue en 1303-1305.
L’auteur essaie donc de définir le public visé par ces personnifications morales à partir de leur emplacement dans les édifices religieux. Elles recouvrent souvent un rôle secondaire dans la figuration, mais parfois fortement symbolique : ainsi, elles peuvent servir de cariatides dans les monuments sculptés ou être représentées dans un faux soubassement en marbre, comme dans la chapelle de Padoue. Cette fonction « porteuse » des vertus est parfaitement en résonance avec les traités de l’époque.
La liste des exemples, fresques comme retables, conduit l’auteur à affirmer que les cycles de vertus ont un caractère « hermétique » et que leurs destinataires privilégiés sont les membres des ordres religieux, car le message serait soit invisible soit incompréhensible pour les laïcs. Même lorsque les Vertus figurent dans les fresques à l’intérieur des palais civiques, le public serait limité aux conseils et aux officiers de la ville. Pourtant, cet excursus se termine sur une chronique romaine qui relate la réaction du peuple romain à la réalisation de fresques allégoriques commanditées par Cola di Rienzo sur la façade d’une église, que la « foule » comprend parfaitement (p. 49).
Enfin, l’auteur montre comment la diffusion des personnifications morales est liée au renouveau de l’art de la mémoire, et notamment au caractère moral qui lui est attribué par l’éthique médiévale. Le Moyen Âge reprend ainsi à son compte les règles de l’art mnémonique, et particulièrement l’idée qu’une personnification, imaginée comme située dans un lieu bien défini, portant des attributs insolites, et frappante par sa beauté ou par sa laideur, aide la mémorisation d’un concept. Le défi passe ensuite aux artistes, qui seront chargés de rendre visible l’invisible.

Une fois établi ce caractère moral, mnémonique et apparemment hermétique, l’auteur passe ensuite au rapport privilégié entretenu par les ordres mendiants – Franciscains, Dominicains et, en moindre mesure, Augustins – avec le développement de l’iconographie des Vertus.
L’ordre franciscain est le plus novateur dans l’iconographie des Vertus, comme il l’est en effet dans son message. Avant d’aborder la question proprement iconographique, l’auteur fait un utile excursus sur l’évolution de l’idéal de pauvreté et des tensions entre les courants spirituels et l’obéissance à la papauté. C’est dans la basilique Saint-François d’Assise, dans le cycle de la voûte à la croisée du transept de la basilique inférieure que le « paradigme » franciscain des Vertus se dessine, dans les Triomphes des trois vœux et de saint François. Ce modèle se répand rapidement dans les couvents de l’ordre, à partir de la basilique Santa Croce de Florence, jusqu’à sa perte de centralité dans l’iconographie de l’ordre par la mise à mal du modèle originel de pauvreté, entre 1323 et 1336.
L’ordre dominicain présente une imagerie moins novatrice par rapport à celle des frères mineurs, mais plus prolifique. Ses nouveautés se concentrent sur l’art funéraire et sur les attributs en accord avec la pensée théologique de l’ordre. Le Tombeau de Saint Dominique, réalisée par Nicola Pisano et son atelier à partir de 1264 est très novateur : pour rendre le monument visible à un grand nombre de fidèles, le sculpteur réalisa un sarcophage en marbre avec, en relief, épisodes de la vie du saint et porté par de cariatides Suite aux modifications intervenues à partir de 1411, la série de statues est toutefois lacunaire.. C’est dans le Tombeau de Marguerite de Brabant à Gênes, réalisé par Giovanni Pisano à partir de 1313 que la formule d’un sarcophage porté par les vertus – cardinales, en ce cas – est mise en place. Et c’est cette formule, diffusée par les élèves de Giovanni, qui est adoptée pour le Tombeau de saint Pierre martyr dans l’église de Sant’Eustorgio à Milan par Giovanni di Balduccio, vers 1335-1339. Les sept vertus, accompagnées de l’Obéissance, deviennent ainsi les fondements de la sainteté du dominicain C’est bien l’insistance sur l’Obéissance et la centralité de Thomas d’Aquin qui constituent, selon Cosnet, les spécificités de l’iconographie dominicaine..
Pour l’ordre des Augustins, c’est surtout la récupération de la doctrine de l’évêque d’Hyppone qui marque un renouveau dans l’iconographie des Vertus. À titre d’exemple, nous pouvons citer la Maestà réalisée par Ambrogio Lorenzetti pour le couvent de Massa Marittima. Dans ce retable, les personnifications des vertus théologales, assises sur les gradins du trône de la Vierge, prennent des attributs issus des écrits d’Augustin. On remarquera notamment que la Charité abandonne la flamme au profit d’une flèche et d’un cœur.

Une foi établie l’importance des ordres mendiants dans l’élaboration et la diffusion des personnifications des Vertus, Bernard Cosnet passe à leur diffusion dans le monde laïc. Cette nouvelle préoccupation pour l’édification morale est visible dans les écrits des laïcs À l’instar du Libro di buoni costumi e buoni proverbi e buoni ammaestramenti de Paolo da Certaldo (v. 1320-1370), ou des Ricordi de Giovanni di Paolo Morelli (1371-1444) sur lesquelles travaille actuellement l’équipe de l’Atelier Morelli., mais également par la fortune connue par quelques traités qui laissent une place importante à la figuration par personnification C’est le cas des vulgarisations de la Somme du Roi, du Tresor et du Tesoretto du florentin Brunetto Latini mais également des Documenti d’amore de Francesco da Barberino et de la Canzone delle virtù e delle scienze de Bartolomeo di Bartoli.. Des cycles de vertus se trouvent également dans des demeures privées, notamment des membres de l’élite politique, avec une proximité aux modèles mendiants qui leur confère, selon l’auteur, une « dimension conventuelle ». Comme il souligne par la suite, toutefois, la représentation des vertus dans les espaces de représentation des demeures – salles de réception ou loggias – oblige à ne pas lire ces images seulement comme moyen d’édification, mais aussi (surtout, on aurait envie de dire) comme moyen d’afficher sa propre exemplarité morale.
Les personnifications morales occupent également l’espace public. Elles se multiplient, par exemple, sur les édifices de la place de la cathédrale florentine et grâce aux commandes des confréries, comme le Tabernacle de la Vierge à Orsanmichele. Une iconographie spécifique de la Charité, tenant une corne d’abondance, y trouve un usage politique, par l’identification totale entre la ville de Florence et la Charité, la vertu qui s’approche le plus de l’idée de Bien commun L’auteur cite à ce titre une Vierge à l’Enfant attribuée à Giotto (Florence, Museo nazionale del Bargello, 1334-1337), où la Vierge en majesté est flanquée par une personnification de Florence offrant un bouquet de lys et d’une Charité offrant un cœur à l’Enfant. Cf. Vittoria Camelliti, « Civitas e Caritas. Una Madonna giottesca al Bargello : un’allegoria della città di Firenze », Critica d’arte, 35-36/2008 (2009), p. 111-124..
Dans la ville rivale, Sienne, les représentations morales sont très nombreuses sur les murs du Palazzo Pubblico. Dans l’encadrement de la Maestà de Simone Martini (1313-1315, puis 1321), on trouve, dans l’axe de la Vierge, un médaillon avec une personnification novatrice et complexe, qui résume à elle seule la Morale Bicéphale, présentant un profil de femme âgée, les yeux bandés, identifiée comme « lex vetus » et tenant une tablette avec les dix commandements, l’autre jeune, couronnée d’un diadème, identifiée comme « lex nova » et tenant une tablette aux sept sacrements. Un nimbe polygonal porte les inscriptions des sept vertus.. Dans la Salle des Neuf, c’est Ambrogio Lorenzetti qui réalise, à partir de 1338, le cycle dit du Bon Gouvernement. Selon l’auteur, le peintre puise largement, pour l’iconographie des Vertus, dans « l’imagerie conventuelle » et notamment dans celle augustinienne L’auteur souligne que l’ordre des Vertus est le même que celui dressé par les Dominicains (comme on le voit dans le Triomphe de saint Thomas, qui toutefois est bien postérieur : 1365). L’iconographie de la Charité est très proche de celle de la Maestà de Massa Marittima et la Foi reprend les vêtements et la coiffure de l’Espérance dans ce même retable. Encore, il compare les autres vertus à celle du Triomphe de saint Augustin à Ferrare, conservée à la Pinacoteca Nazionale, pour en déduire que les vertus siennoises « découlent de l’imagerie des ermites », sauf que la fresque de Ferrare est datée vers 1378. Une comparaison avec une enluminure de la Novella sive commentarius conservé à la Bibliothèque ambrosienne de Milan est aussi proposée mais, d’une part, ce manuscrit est également postérieur (1354) et, d’autre part, l’illustration à laquelle l’auteur fait référence (fig. 60) ne correspond pas à ce manuscrit : la légende indique qu’il s’agit du Corpus iuris canonici, daté 1360-1370, conservé à Madrid, Biblioteca Nacional d’España Ms. M. 197..
Si le cas de Sienne est particulièrement riche, l’association des vertus au bon gouvernement affichée par les communes italiennes n’est pas rare et sert à légitimer le pouvoir en place. Selon l’auteur, elle dériverait d’un schéma monarchique qui associe le souverain aux vertus, et qui aurait été importé en Italie par la dynastie angevine de Naples. Si bien que, par l’activité du sculpteur Tino di Camaino à Naples et en Toscane, l’auteur imagine une influence du « modèle angevin » sur des monuments florentins, des questions concernant la chronologie et le modèle commun seraient à poser En effet, ce programme de célébration des vertus des souverains angevins se retrouve dans les tombeaux réalisés à Naples à partir des années 1320 par de sculpteurs toscans : Tino di Camaino et Giovanni et Pacio Bertini da Firenze. L’idée de vertus-cariatides soutenant le sarcophage, que Tino di Camaino emploie à Naples vers 1323-1325 pour le Tombeau de Marie de Hongrie connaît un vif succès à Naples, se retrouve également à Florence, notamment dans Tombeau de l’évêque Antonio d’Orso réalisé par le même Tino di Camaino. Toutefois, Tino a réalisé d’abord le tombeau florentin (vers 1320, selon les datations que Cosnet même accepte), puis celui de Naples. D’ailleurs, le modèle commun est encore plus ancien : il s’agit du Tombeau de Marguerite de Brabant par Giovanni Pisano, vers 1313, cité dans les chapitres précédents..
Le Bon Gouvernement siennois connaît aussi son pendant : la Tyrannie et sa cohorte de Vices sont représentées dans le même cycle, mais aussi à Florence, dans une fresque perdue de Giotto au palais du podestat et ou encore dans le palais Corboli d’Asciano. Selon l’auteur, c’est donc grâce au recours aux personnifications morales et à d’exempla issus de la tradition antique que les ordres mendiants ont permis la diffusion d’une vision positive de l’antiquité.

Quelques considérations.

Ce livre constitue ainsi une porte d’accès à l’imagerie morale de l’Italie du Trecento et une contribution capitale aux études sur l’histoire des représentations politiques de la fin du Moyen Âge. Bernard Cosner y aborde notamment avec clarté le procédé de la personnification, son emploi dans l’art ainsi que le système moral fondé sur la relecture thomiste d’Aristote.

Pour les professeurs d’histoire-géographie du secondaire, ce livre constitue un outil fondamental pour aborder, d’un point de vue italien et civique, l’émergence d’une nouvelle société urbaine dans le cadre du thème d’histoire de Cinquième « Sociétés, Église et pouvoir politique dans l’Occident féodal (XIe-XVe siècle) ». Le troisième chapitre, en particulier, traite de « La sécularisation des vertus ».
Sans oublier leur place dans la propagande princière contemporaine, les Vices et les Vertus ici recensés, et en partie reproduits, peuvent servir de base pour guider les élèves dans l’étude des valeurs morales et civiques des villes italiennes de la fin du Moyen Âge, ainsi que de leurs peurs. La mise en parallèle à l’aide des iconographies politiques modernes – et notamment celle de la République française – peut être très stimulante.
La traduction des dialogues entre les quatre Vices et les quatre Vertus cardinales entourant le premier consul Brutus (p. 207, fig. 100-XVI) peut se prêter à cet usage, tout comme la traduction des cartouches siennoises éditée par Patrick Boucheron P. Boucheron, Conjurer, op. cit., édition de poche, p. 237-242..

Des aspects restent toutefois demandeurs d’ultérieures réflexions, notamment sur la place de l’art monumental dans les communes italiennes, sur les mobiles des commanditaires privés et sur la circulation des modèles artistiques à la veille de la Renaissance.
Les professeurs pourront attirer l’attention des élèves sur chacun de ces trois éléments, dans le cadre d’une étude plus approfondie de la civilisation communale italienne et du milieu dans lequel a vu le jour la Renaissance italienne.

L’analyse centrée sur les ordres mendiants et le paradigme de la non-visibilité et de la non-intelligibilité des images morales de la part des laïcs constituent un premier point qui mérite davantage de réflexions : alors que l’art monumental des communes populaires du Trecento était éminemment civique, contingent et démonstratif La regrettée Maria Monica Donato ainsi que Matteo Ferrari et Giuliano Milano l’ont rappelé récemment dans leurs contributions au catalogue de l’exposition Dal Giglio al David. Arte civica a Firenze tra Medioevo e Rinascimento (Florence, Galleria dell’Accademia, 14 mai – 8 décembre 2013), Florence, 2013 ; cf. Gherardo Ortalli, La peinture infamante du XIIIe au XVIe siècle, Paris, 1994 [éd. or., Rome, 1979]., une partie non négligeable de ses destinataires – exerçant le commerce ou les arts mécaniques – savaient lire et écrire Carlo M. Cipolla, Istruzione e sviluppo. Il declino dell’analfabetismo nel mondo occidentale, Bologne, 2002 [éd. or., Harmondsworth, 1969], p. 52-54. et donc pouvaient être sollicités par des œuvres et des tituli vernaculaires qui étaient mis à leur « disponibilité visuelle » P. Boucheron, Conjurer, op. cit., édition de poche, p. 27 ; cf. M. M. Donato, « « Cose morali, e anche appartenenti secondo e’ luoghi »: per lo studio della pittura politica nel tardo medioevo toscano », in Paolo Cammarosano (dir.), Le forme della propaganda politica nel Due e nel Trecento, Rome, 1994, p. 491-517.. D’ailleurs, la chronique romaine citée par l’auteur confirme cette capacité (p. 49).
Les commandes privées demandent aussi à être abordées à la lumière de l’émergence, dans ces villes italiennes, d’un « esprit de consommation religieux » stimulé par les mêmes ordres mendiants Richard A. Goldthwaite, Ricchezza e domanda nel mercato dell’arte in Italia dal Trecento al Seicento. La cultura materiale e le origini del consumismo, Milan, 1995 [éd. or., Baltimore-Londres, 1993]. qui confortaient l’élite politique citadine dans les droits de s’enrichir et de gérer les biens de la communauté Giacomo Todeschini, Richesse franciscaine. De la pauvreté volontaire à la société de marché, Lagrasse, 2008 [éd. or., Bologne, 2004] et id., Au pays des sans-nom. Gens de mauvaise vie, personnes suspectes ou ordinaires du Moyen âge à l’époque moderne, Lagrasse, 2015 [éd. or., Bologne, 2007].. La simple expiation des fautes semble alors ne pas pouvoir être le seul mobile de la « privatisation » de l’espace sacré R. A. Goldthwaite, op. cit., p. 122.. La chapelle des Scrovegni, classée parmi les « demeures privées » (p. 219), constitue, à cet égard, un exemple important. Une nouvelle étude de cette commande en propose en effet une lecture globale, attentive notamment à ses échos dans la culture padouane contemporaine et aux visées du commanditaire. Enrico aurait cherché à attirer ses concitoyens dans cette église par des indulgences et à mettre cet édifice à leur disposition pour l’administration des sacrements Chiara Frugoni, L’affare migliore di Enrico, Turin, 2008, notamment le sixième chapitre, « Vices et Vertus : ce qu’Enrico en pense »..
Déjà évoquée en ce qui concerne les sources de Tino di Camaino, enfin, il faut poser la question de la circulation et de la transmission des modèles iconographiques, afin d’accorder une place plus importante aux conditions matérielles du travail des ateliers d’artiste, ainsi qu’à la culture figurative propre à un contexte donné. Le caractère augustinien des Vertus de la fresque du Bon Gouvernement est affirmé par l’auteur en raison des attributs de la Charité et du fait qu’elle reprend en partie le modèle mis à point par Ambrogio Lorenzetti pour la Maestà de l’église des Augustins à Massa Marittima. Or, si les attributs de la Charité – la flèche et le cœur – sont effectivement issus de la réflexion augustinienne, ils ont aussi fait leur entrée parmi les modèles que l’atelier de l’artiste pouvait remployer librement et faire entrer ainsi dans la culture figurative siennoise. Pour cette raison, la citation en 1407 de la Charité du Bon Gouvernement par Taddeo di Bartolo (fig. 88) garde son origine augustinienne, tout en pouvant se présenter comme un hommage à Ambrogio Lorenzetti et comme une citation de la fresque monumentale bien visible dans le même palais.

Ilario MOSCA – © Clionautes