Loin d’être la plus médiatisée, la réforme des universités de Nicolas Sarkozy est ici passée au crible par Michel Leroy, journaliste indépendant et ancien directeur du Centre de Formation des Journalistes de Paris. Avec comme crédo la critique datée de mai 1968, le président rêve d’un modèle américain basé sur l’autonomie et la compétition, un jeu risqué où quelques gagnants triompheront mais où beaucoup d’autres y laisseront des plumes.
Il est donc question de moyens et mieux vaut être déjà « gros » pour exister dans la course. Ainsi, pour attirer les crédits, des effectifs importants semblent une bonne base, certains n’hésitant pas à inscrire des étudiants fantômes pour tenter d’améliorer leur sort (voir la crise à l’université de Toulon en 2009).
Il est surtout question de résultats pouvant se mesurer en termes d’insertion professionnelle (question vitale certes gênée toutefois par une quête de l’utilitarisme et du monde de l’entreprise qui tend à se mordre la queue) mais aussi d’évaluation de la production scientifique (l’AERES qui classe laboratoires et revues contribuant au déclin et à la mort de certaines, le « facteur h » qui dicte aux chercheurs la marche à suivre largement en faveur des sciences dures) et d’image d’une offre de diplômes étoffée (et nombreux sont ceux qui maîtrisent l’art de décliner un seul et même master en sous-options pour gonfler les chiffres).
Ces dérives s’accompagnent en réalité d’une crise plus profonde. Elle touche les étudiants qui ne semblent pas tellement se plaindre de leur situation matérielle mais qui avouent un grand malaise psychologique face à leurs conditions de formation. Les enseignants, eux, sont nombreux à souffrir d’un statut précaire, la titularisation étant bien souvent pipée par le localisme notamment dans les petites universités.
Valables pour l’ensemble du système, ces constats sont exacerbés pour les sciences humaines. Si notre président n’a pas digéré la princesse de Clèves (qui lui survivra), force est de constater que la production en sciences humaines se porte bien (et les recensions associées auxquelles nous contribuons). Les inscriptions sont cependant en chute libre et l’utilité de la recherche dans ces domaines est trop souvent perçue comme un apport à l’acceptation sociale d’une innovation technologique. Corollaire, la culture de la recherche sur projets montre que la jeune génération d’enseignants-chercheurs maîtrise de mieux en mieux l’art de monter un projet parfois au détriment de sa portée scientifique.
La recomposition territoriale issue de cette politique ne donne pas vraiment d’allure de complexité si on l’accentue notamment par l’angle de la quête du plus beau campus : au Sud les élites, au Nord, le reste. Quelques nuances et particularismes régionaux apparaissent : Le Nord/Est semble mieux se porter que le Nord/Ouest, le Sud/Est domine un Sud/Ouest hésitant entre Bordeaux et Toulouse. A Paris, c’est le chouchou de Saclay qui tient la pole position.
En conclusion, Michel Leroy souligne que l’université de demain sera davantage internationale par son recrutement mais également d’une composition sociologique plus âgée (étudiants en reprise d’études). Le numérique en fera aussi un lieu d’apprentissage « hors les murs ». Mais ces mutations, logiques, se feront dans un contexte de « fin du mythe égalitaire », la notion « d’université d’excellence » n’étant d’ailleurs pas clarifiée. La quinzaine de grands pôles accueillera-t-elle la recherche, le reste se contentant des premiers cycles ?
Une critique vigoureuse et argumentée de cette réforme accompagnée, en fin d’ouvrage, par un glossaire, une chronologie et quelques cartes. L’une d’elles n’est pas sans paradoxe : celle montrant que les universités aux plus faibles taux d’insertion professionnelle sont surtout dans le Sud de la France, pourtant décrite comme la moitié des élites.