Dans les pas de Paul Vazeilles, broussard de grande brousse, tel est le sous titre de l’ouvrage de Philippe San Marco

L’auteur qui a enseigné la géopolitique et la géographie urbaine à L’Ecole Normale  Supérieure de Paris est aussi l’auteur d’un premier livre sur comment assumer la passé colonial de la France : Sortir de l’impasse postcoloniale Publié en 2016, éditions Publibook Des Ecrivains. Il réinterroge le passé colonial pour répondre aux menaces qui pèsent aujourd’hui sur la société française fragilisée par les mémoires plurielles. Il veut surtout refuser l’instrumentalisation de l’histoire coloniale. Loin des écrits à charge ou a décharge il s’agit de remettre les faits dans leur contexte, les contradictions et les ambiguïtés de la France coloniale.

Suivre l’itinéraire de son grand-père maternel Paul Vazeilles, un « broussard », de 1909 à 1941 en AOF, un personnage ordinaire, sans rien caché, sans tabou est non pas une biographie mais un prétexte à une histoire de la colonisation. Une écriture alerte, une documentation sérieuse servent le projet : assumer le passé colonial pour le dépasser devant les défis du XXIe siècle.

L’auteur alterne, tout au long de l’ouvrage, la biographie de son grand-père, la présentation d’un thème inspiré par ce moment de la vie de Paul Vazeilles, son analyse et ce que cela nous apprend pour le monde d’aujourd’hui.

Pourquoi aller aux colonies ?

L’auteur cherche à retrouver les motivations des militaires, avides d’exploit et d’avancement, des missionnaires militaires, comme Ernest Pschari, mais surtout civils en quête de mysticisme et d’une vocation évangélisatrice. Sans oublier les fonctionnaires, cette catégorie est incarnée par Paul Vazeilles. Passionné dans son enfance par les récits d’explorations, issu d’une famille de petits paysans ruinés par le phylloxéra et à la recherche d’un emploi, il sollicite l’appui d’un sénateur pour intégrer l’administration coloniale. Le récit des péripéties de la nomination du jeune commis de 4e classe aux Affaires indigènes permet de montrer les soutiens nécessaires à l’époque pour entrer dans la fonction publique et la promesse d’une ascension plus rapide qu’en métropole.

Dans ce premier chapitre le thème retenu est d’abord comment les motivations personnelles s’inscrivent dans une politique nationale : la politique coloniale pour oublier la ligne bleue des Vosges et la défaite de 1870. L’auteur rappelle l’opposition Ferry / Clemenceau. L’intérêt économique n’était qu’un argument supplémentaire, faute de colons prêts à partir, l’auteur s’appuie sur l’ouvrage d’Henri BrunswigMythes et réalités de l’impérialisme colonial français, Colin, 1960 qui montre le peu de retombées économiques de la colonisation de l’Afrique subsaharienne et son coût financier.

Un second thème est abordé, celui du vocabulaire : races, sauvages… replacé dans le contexte idéologique de l’époque. Réfutant l’idée d’une France entièrement raciste, Philippe San Marco cite même un propos de Léon Daudet en 1921, à l’occasion de l’attribution du prix Goncourt à René Maran, sur la « prétendue infériorité de la race noire ». Contrairement à l’idée, défendue aujourd’hui par certains, d’une France raciste il rappelle une affirmation utile de Lucien Febvre : « L’histoire est fille de son temps »in Honneur et patrie, Perrin, 1996 – cité p. 45 qui invite à nuancer toute projection sur l’époque coloniale des catégories mentales actuelles.

Le départ aux colonies ne bénéficiait pas d’un grand prestige, il était même suspecté de cacher une mauvaise action, d‘autant que la mortalité y était élevée.

Fada N’Gourma, l’administration coloniale au quotidien

Ce second chapitre rapporte les débuts de Paul Vazeilles qui débarque à Dakar le 23 janvier 1909 pour sa première affectation à Fada N’Gourma, Haut-Sénégal-Nigeraujourd’hui Est du Burkina Faso, plus d’un mois de voyage. Il y découvre à la fois l’histoire du royaume Gourmanché dont Fada N’Gourma est la capitale et les fonctions qu’il doit y exercer, notamment la tournée à pied ou à cheval pour le recensement. La présence française y est tempérée par le faible nombre de ses représentants dans un environnement naturel inhospitalier et par la faiblesse des moyens financiers depuis qu’en 1905 la loi de finance avait adopté le principe de l’autonomie financière des colonies.

Deux préoccupations majeures : maintien de l’ordre public et recensement fiscal peu efficace voir impossible pour les éleveurs semi-nomades. La perception de l’impôt se fait au niveau de chaque village à la charge du chef de village qui assumait aussi des fonctions de police et de justice indigènesSur ce thème des chefs de village en AOF voir la thèse de Philippe Méguelle Chefferie coloniale et égalitarisme diola – Les difficultés de la politique indigène de la France en Basse-Casamance (Sénégal), 1828-1923, Ed L’Harmattan, collection Etudes Africaines, 2013, 648 p.. On est très loin de ce qui se fait en métropole, une fois les principes définis l’application était souvent impossible. Des excès ont existé, l’auteur rappelle les exactions de la colonne Voulet-Chanoine en 1898 qui avait, dès cette époque été rapportée dans la presse anti-coloniale en métropole.

Certains administrateurs pensaient qu’il fallait investir l’impôt sur place pour en justifier le prélèvement. Ce raisonnement était très éloigné de la conception des populations habituées à payer le tribut au vainqueur comme ce chef baoulécité p. 79-80 qui ne voit pas l’intérêt des routes ou du chemin de fer dont il n’a pas l’usage. De plus leur construction, faute de moyen, a été faite par le travail forcé.

Bamako

Après un premier congé en métropole et son avancement dans la carrière Paul Vazeilles est nommé en 1912 à un poste de bureau au cabinet du gouverneur du Haut-Sénégal-Niger à Bamako où il participe à la réorganisation de l’administration.

Avant de présenter l’administration française, Philippe San Marco rappelle la longue histoire des grands empires africains : Gao, Songhaï, Mali, Massina, les ambitions marocaines et ottomanes en Afrique et la présence côtière européenne depuis le XVIe siècle. Les grandes étapes de la conquête de l’Afrique de l’Ouest permettent d’évoquer la politique de Faidherbe, l’avancée du fleuve Sénégal au fleuve Niger et les résistances : El Hadj Omar Tall, les Touaregs de Tombouctou et Samory TouréContre lequel se bat le héros du roman de Joseph Peyré Bataillons noirs paru en 1941 qui donnent des héros à la jeunesse africaine actuelle.

Au début du XXe siècle le pouvoir politique décide de retirer la gestion des colonies au département de la Marine en créant un ministère civil des colonies. Un des problèmes est que les colonisateurs ont organisé leur administration sans tenir compte des formations politico-territoriales antérieures. Les frontières qui en découlent au moment de la décolonisation n’ont guère été remise en causeSur ce sujet voir la conférence Le défi de l’intangibilité des frontières africaines (1964-2014) de Ladji Ouattara au festival de géopolitique de Grenoble en 2015.

Les migrations actuelles suivent des routes migratoires anciennes. Des structures ethnoreligieuses antérieures à la colonisation sont encore actives comme la confrérie tidjane à laquelle appartenait El Hadj Omar Tall.

Sarafere

De 1913 à 1917 Paul Vazeilles est en poste dans la région de Tombouctou, cité frontière entre le monde sahélien et le Sahara, une zone chargée d’histoire : affrontements entre El Hadj Omar Tall et les Touaregs, traces de la conquête française. L’auteur décrit la région. C’est une région à la population diversifiée : Maures, Touaregs, Peuls, Songhaïs, Soninkés, une région troublée par les rezzous venus du Nord. Malgré la guerre Paul Vazeilles continue à gravir les échelons.

Dans ce chapitre l’auteur aborde la question de l’esclavage : traite négrière atlantique, traite transsaharienne très active dans la région de Tombouctou. La libération des esclaves décrétée en 1905 engendre une révolte (1915-1916). L’application du décret s’avère difficile à mettre en œuvre notamment pour les esclaves de case. La libration des esclaves par engagement dans les régiments de tirailleurs est évoquée. Mais, comme l’écrit Philippe San Marco, cette subordination perdure longtempsVoir Esclavages et abolitions en terre d’Islam de Roger Botte, André Versailles Editeur, 2010, 380 p. – En Mauritanie, où il a été aboli plusieurs fois, et pour la dernière fois en 2007, il reste en vigueur de fait.. La responsabilité des Africains dans les traites a longtemps été réfutée en Afrique, pourtant ce fait commence à être traité par des historiens africains comme Ibrahima Thioub, cité par l’auteur ou Tidiane DiakitéLa traite des Noirs et ses acteurs africains du XVe au XIXe siècle, publié en 2008, Editions Berg international, 240 p..

Dakar

Vazeilles revient en Afrique avec sa jeune épouse en 1918. Cette fois, c’est à Dakar comme administrateur adjoint principal. Ce retour alors que la guerre n’est pas terminée offre l’occasion de voir le recrutement des troupes coloniales, les résistances de la population à la mobilisation et le rôle de Blaise DiagneConférence des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, 2018 : L’Afrique dans la Grande Guerre. Les photographies de la mission de recrutement Blaise Diagne mais aussi les différents statuts : citoyens des Quatre Communes ou sujets de l‘AOF.

Dès le lendemain de la guerre, cette question de la citoyenneté revient sur le devant de la scène pour les anciens combattants, les blessés, les veuves et orphelins de guerre. L’auteur, après d’autres historiensPhilippe Buton, Marc Michel (dir.), Combattants de l’empire – Les troupes coloniales dans la Grande Guerre, Vendémiaire, 2018, 360 p. tente un bilan humain de l’engagement des troupes coloniales venues d’AOF.

L’après-guerre est aussi le moment de la naissance des mouvements d’émancipation, favorisés par l’expérience de la guerre et le développement du communisme même si quelques manifestations antérieures eurent lieu comme la Conférence panafricaine de Londres en 1900. En Europe la notion de colonisation humanitaire civilisatrice est réaffirmée.

En suivant les traces de Pap Ndiaye, l’auteur évoque les conditions de développement du mouvement de la négritude. Dans l’entre-deux-guerres, le refus d’octroyer la citoyenneté aux ressortissants des colonies ne s’appuie ni sur la couleur de peau, ni sur la religion mais sur les modes de vie non conformes à ceux de la métropole, sur l’assimilation (acceptation du code civil, monogamie). L’auteur met en regard de ce refus du premier XXe siècle, les revendications actuelles des ceux qui se plaignent d’être «  des Français malgré eux » parce que nés en France ou des « Français de papier ».

Il rappelle l’existence et le rôle des députés des Quatre Communes au parlement : Blaise Diagne, Lamine Gueye…

Le Caylor

On y retrouve Paul Vazeilles entre 1921 et 1923, promu administrateur. L’auteur aborde dans ce chapitre les spécificités de l’islam en Afrique de l’Ouest et les confréries.

Le Caylor fut au XVIIe siècle un puissant royaume entres les fleuves Sénégal et Saloum, dominé par une caste guerrière, les Tiedo. C’est une riche région agricole qui devint le bassin arachidié. La politique des traités, conduite par Faidherbe, y fut mise en défaut par Lat-Dior avant d’être un protectorat à partir de 1883.

L’islam a gagné la région progressivement et ne fut pas imposé par la guerre. C’est plutôt un islam de l’aristocratie wolofe. Dans les cours de l’Ecole nationale d’Outre-mer il est décrit comme un islam spiritualisé. Aujourd’hui ce concept d’islam noir est remis en cause, il ne serait qu’une création coloniale. Pourtant l’actualité récente au Mali montre que l’islam intégriste refus le soufisme très présent à l’époque de Paul Vazeilles et encore aujourd’hui.

Un islam guerrier, rejet par les populations, a aussi existé notamment dans le califat de Sokoto (1804-1859), de même Samory s’était ériger en chef des croyants dans son opposition aux Français. Un mouvement djihadiste a existé au XIXe siècle avec l’ambition d’imposé la charia. C’est l’émergence des conquête coloniales qui a conduit à une évolution vers la résistance à l’occupation des Blancs, d’autant que ces mouvements étaient profondément esclavagistesSur ces aspects on pourra se reporter à l’ouvrage de Marc-Antoine Pérouse de Montclos, L’islam d’Afrique au-delà du djihad, Vendémiaire, 2021.

Un paragraphe est consacré aux confréries. La Tidjaniya, fondée en Algérie à la fin du XVIIIe siècle, demeure majoritaire au Sénégal malgré la concurrence mouride. Ces confréries sont influentes dans les cercles du pouvoir. L’histoire des Mourides est très liée à la colonisation, à la fois dans le développement de la culture de l’arachide et en opposition à l’exil forcé de son fondateur Cheikh Ahmadou Bamba en 1895.

Les travaux de Le Chapelier sur l’islam (1899) ont pourtant été ignorés jusqu’aux études de Jean Suret-Canale. Les deux auteurs ont montré l’évolution de l’islam commerçant et de cour. Philippe San Marco montre qu’elle fut l’attitude de l’administration française face à l’islam en AOF : une politique concordataire cherchant le ralliement des chefs religieux. Mais plein de soupçon devant cet islam qui prélève les dons des fidèles et voyage à La Mecque William Ponty met en place une surveillance des prêches. Après la Grande Guerre, l’attitude est plus conciliante en réponse au loyalisme des chefs religieux pendant le conflit. Pour l’auteur c’est l’occasion de dresser le portrait d’El Hadj Seydou Nourou Tall, petits fils d’El Hadj Omar Tall, leader des Tidianes qui fur en relation étroite et apaisée avec l’administration coloniale à partir de 1920, une situation aussi profitable à sa famille, sa confrérie qu’aux Français. Son influence fut grande pendant la seconde guerre, il entretint des relations avec Léopold Sédar Senghor.

Indiéné

Changement de décor, l’auteur suit son aïeul dans son nouveau poste au nord de la Côte d’Ivoire et reprend la description qu’en faisait Elisée Reclus dans sa Nouvelle géographie universelle : une société longtemps marquées par la domination ashanti sur des peuples réduits en esclavage, cette escale côtière entre Sénégal et Gabon est de conquête intérieure récente (1887-1889) même si le mot conquête est impropre puisque faite de traités et de protectorats. L’auteur rappelle la construction des frontières demeurées inchangées depuis les indépendances. Quand Paul Vazeilles arrive la pénétration de la forêt par l’administration est à la fois très récente et peu marquée. La mise en valeurConstruction du chemin de fer grâce au travail forcé sous la gouvernance de Gabriel Angoulvant est faite d’affrontements avec les populations et de répression violente : la « révolte des Abbey ». Ces violences dénoncées par Maurice Delafosse ont entraîné des déplacements de population vers la Gold Coast britannique et vers le Libéria.

C’est l’occasion d’analyser la doctrine de mise en valeur, les écueils et les conséquences. Le système traditionnel d’exploitation de sols souvent pauvres, par une agriculture vivrière itinérante ne dégageant que peu de surplus ne permettait pas l’émergence d’une classe dirigeante qui reposait alors sur la guerre qui fournissait esclaves et bétail et sur le grand commerce (or, sel, ivoire). Deux doctrines s’opposent : la politique des concessions, plutôt en AEF, de vastes territoires considérés comme vides à des compagnies commerciales et la construction d’infrastructures par le travail forcé, d’une part et d’autre part l’idée d’un développement agricole grâce à la prospérité des paysans défendue par Jules Harmand avec le soutien à l’agriculture vivrière. Ce soutien basé sur les progrès de la traction animale a été certes conduit de façon maladroite : charrues mal adaptées, les bœufs des éleveurs quand la culture est affaire des paysans, pas de réflexion sur le rapport à la propriété et l’accès à la terre. En Côte d’Ivoire, l’administration a soutenu les cultures d’exportations (coton, caoutchouc, cacao, café), l’essor des plantations a nécessité l’apport d’une main-d’œuvre mossi venue du Nord. La mise sur pied des sociétés indigènes de prévoyance pour atténuer les effets des mauvaises récoltes a été inégale et à rencontrer l’opposition du commerce colonial. La politique de développement agricole était prise entre deux objectifs : le commerce et l’autosuffisance des paysans.

Dedougou

Le passage de Paul Vazeilles dans ce poste permet d’aborder la question de l’instruction publique, une politique ancienne dès les années 1880. Reprenant ici les travaux de Denise BoucheCahiers d’Études africaines Année 1966 22 pp. 228-26, Les écoles françaises au Soudan à l’époque de la conquête. 1884-1900, l’auteur décrit ce qu’on a appelé les « écoles des otages » ou « écoles des fils de chefs » dont a témoigné Amadou Hampâté Bâ Amkoullel l’enfant peul (Mémoires I), prix tropiques 1991, actes Sud, 1993mais aussi les écoles des missions et les écoles coraniques. Se posent en Afrique la question de la laïcité et celle de l’application des programmes métropolitains peu adaptés.

L’autre thème abordé est celui de la santé : la recherche sur les différentes fièvres qui affectaient les Français aux colonies et les populations. Les héritiers de PasteurCréation des différents instituts Pasteur de Saïgon, Tunis, Brazzaville… se distinguent notamment le Dr Jamot et ses travaux sur la maladie du sommeil. L’auteur montre les insuffisances de la politique sanitaire en terme d’investissements dans les structures d’assistance médicale aux populations, en particulier en brousse, et les oppositions aux médecines traditionnelles comme le montre les difficultés des campagnes de vaccination. Philippe San Marco fait une critique des thèses anticolonialistes de Guillaume LachenaMaître de conférences à l’université Paris-Diderot et à Sciences-Po, chargé du cours « Global Health in Africa : Critical Perspectives », chercheur au Médialab. Il a écrit : Le médicament qui devait sauver l’Afrique. Un scandale pharmaceutique aux colonies, Le médecin qui voulut être roi. Sur les traces d’une utopie coloniale Le médecin qui voulut être roi. Sur les traces d’une utopie coloniale (Paris, Le Seuil, 2017, collection L’Univers Historique) en montrant que l’administration coloniale était bien consciente des limites de son action sanitaire (rapport Meray). Il propose un intéressant parallèle entre la dissémination des certaines pathologies aux colonies lors des déplacements de population dans le cadre du travail forcé et les actuels effets sanitaires de la mondialisation avec le Covid : « Un Etat peut-il arriver à contrôler une épidémie par des moyens purement démocratiques ? » Citation p. 321.

Man

Ce chapitre aborde la question de la police et la justice avec comme point de départ l’affaire du décès de Né Gué en 1936, une histoire d’empoisonnement. Du code de l’indigénat aux réalités quotidiennes de la justice en brousse, l’auteur montre à la fois les excès déjà dénoncés à l’époque par quelques auteurs dont André GideVoyage au Congo, Gallimard, 1927 présentation sur la chaîne Lumni https://www.lumni.fr/video/voyage-au-congo-une-denonciation-du-colonialisme-1, la non-séparation des pouvoirs administratifs et judiciaires, le maintien des attributs judiciaires des chefs de villageLa « petite justice ». En 1901 une réorganisation de la justice a intégré des magistrats professionnels dans la justice coloniale non sans heurts avec l’administration. Enfin un décret de 1912 prévoyait de juger en fonction des coutumes et religions, rompant avec le principe d’universalisme. Si la référence en matière de justice demeurait la justice française dans l’idée d’une assimilation, la distance, le manque de moyen et le pragmatisme ont conduit à une justice coloniale originale avec un respect croissant des coutumes aux dépens de l’émancipation des individus comme le montre des situations où des femmes ont fait appel à la justice pour contrer le pouvoir patriarcalL’auteur cite ici les travaux de Marie Rollet. Les mêmes hésitations se retrouvent en matière de sanctions pénales.

Ouagadougou, le Front populaire sous les tropiques

Après un peu de légèreté et d’humour à propos de mariage du père de l’auteur avec une demoiselle Vazeilles, il est question de l’empire mossi et son histoire puis celle de la Haute-Volta.

Le succès électoral du front populaire a instillé une nouvelle politique coloniale sous l’autorité du nouveau gouverneur général, à Dakar, Marcel de Coppet. Il s’agissait de lutter contre le travail forcé pour aller vers une application progressive des nouvelles lois sociales. L’intervention de l’administration lors de recrutement de main-d’œuvre pour des entreprises privées fut interdite.

Cette politique fut de courte durée, Marcel de Coppet quitte Dakar en octobre 1938.
L’auteur évoque les débats à la Ligue des droits de l’Homme à propos de la colonisation, les discussions Challaye/Violette engageaient déjà la future politique de décolonisation.

Gaoua

C’est la dernière affectation de Paul Vazeilles1938-1941 avant sa retraite. Rapportant une des rares études sur le peuple Lobi, celle de Maurice Delafosse, l’auteur décrit cette région et l’histoire d’un peuple animiste de paysans-guerriers longtemps insoumis.

La guerre fait de Gaoua, au sud-est de l’actuel Burkina Faso, un point névralgique pour la fuite vers la Gold Coast des Français désireux de rejoindre Londres. L’auteur évoque la défense de l’empire face aux colonies italiennes, l’affaire de Mers el-Kébir. Il montre la scission de l’empire entre deux allégeances : Pétain / De Gaulle.

 

Conclusion

La formule de Pierre Singaravélou : « l’empire représente un miroir déformant dans lequel tour à tour la métropole se mire ou se déteste, projette ses ambitions et ses angoisses »Citation p. 321 résume bien le propos de cet ouvrage quand on la complète de ces lignes : « L’exigence actuelle de repentance n’est que la perpétuation de la posture coloniale – inversée, mais identique, de même nature »citation p. 323 de l’auteur qui, refusant toute instrumentalisation de l’histoire, souhaite replacer la colonisation « dans son contexte, ses contradictions et ses ambiguïtés. Dans sa banale humanité. »Citation p. 8.