Baru propose ici le troisième et dernier volume de sa trilogie consacrée aux souvenirs de la communauté italienne installée en France. Comme pour les précédents volumes chroniqués ici et là, l’auteur utilise différentes couleurs et traits selon ce qu’il évoque. Le procédé est aussi le même avec des histoires plus ou moins développées qui éclairent, chacune à leur façon, la vie et les souvenirs des Italiens installés en Lorraine. Pour se repérer, signalons que le livre propose à la fin une généalogie avec les têtes des personnages. Pour compléter votre livre de recettes, sachez qu’on trouve, comme dans les volumes précédents, un exemple de recette, à savoir ici le risotto aux cèpes.
La gamelle de mon père
Cette première histoire raconte le quotidien des ouvriers métallurgistes. Quand le père de Téo faisait les seize, c’est-à-dire deux postes à la suite, son fils se glissait dans l’usine pour apporter sa gamelle à 10 heures. Il put alors assister à un phénomène fascinant comme la coulée. Comme dans d’autres histoires, Baru alterne les couleurs avec un noir et blanc lorsqu’il change de registre. Longtemps après, on retrouve Téo discutant de cette époque avec un des chefs de l’époque à la mémoire défaillante. On comprend alors qu’autre chose se cache derrière, avec la mention d’un accident qui tua un ouvrier mais dont le père de Teo sortit vivant. On perçoit également que l’école fut une voie d’intégration pour beaucoup d’Italiens.
Bersaglieri
Le terme de Bersaglieri désigne l’unité d’élite de l’armée italienne dont les chapeaux et casques sont ornés d’un toupet de plumes de coq de bruyère. Baru, comme il le précise un peu plus loin dans l’histoire, a pris des libertés avec l’histoire. En effet, il s’appuie sur le destin de Lazzare Ponticelli pour rendre hommage, de façon globale, aux Italiens qui ont combattu pour la France. L’auteur évoque aussi Caporetto, cette bataille où les Italiens furent massacrés par les Allemands et les Autrichiens.
Morra !
Le mot fait référence à un jeu de mains, peut-être le plus vieux au monde. La règle est très simple. Chaque joueur annonce un chiffre de 1 à 10 pendant que sa main dévoile de zéro à cinq doigts. Celui qui annonce la somme des doigts affichés a gagné. Le nombre 10 est parfois appelé Morra. L’élément le plus important est surtout qu’il faut hurler l’annonce.
Clandestin
Francesco Nardi est né en Calabre en 1931. A l’aide d’un passeur, il gagne la France âgé d’à peine seize ans. Avec Rocco Primerano, Francesco a fait partie des 2576 Italiens entrés clandestinement en France en août 1947. C’est une époque où la France a besoin de main-d’oeuvre. Il s’agit aussi d’une histoire de tensions entre la France et l’Italie. Baru mélange les temporalités et convoque même les travaux d’Emmanuel Todd.
Acqua
Dans cette histoire, l’instituteur raconte à quoi servaient les pompes à eau qui étaient situées au bout des cités. Cela permet aux enfants de prendre conscience que l’eau n’a pas toujours été courante dans les maisons. Pour eux, ces bornes étaient surtout des lieux d’amusement pour se lancer dans des batailles d’eau. De façon très émouvante, l’enfant se rappelle que, longtemps après, son grand-père faisait couler l’eau dans sa maison a priori sans raison. En réalité, c’était pour lui une manière de dire qu’il avait mis les siens à l’abri.
Epilogue
Pour clore cette histoire des Italiens en France, on suit Baldelli qui doit démanteler l’usine où de nombreux membres de sa famille travaillèrent. On le sent tiraillé, d’autant plus qu’il se sent un peu étranger aux siens car il ne parle pas italien. Les Italiens sont devenus aujourd’hui transparents dans la société française.
Baru choisit de conclure sa trilogie en évoquant de nouveau les morts d’Aigues-mortes à la fin du XIXème siècle. Il fait un lien explicite entre les étrangers d’hier et ceux d’aujourd’hui.