La destruction des bouddhas de Bamiyan en 2001 ou le saccage de Palmyre en 2015 montrent que la culture peut être envisagée sous un angle géopolitique. En trois parties et treize chapitres, les auteurs proposent une approche très complète des géopolitiques de la culture. La première partie est consacrée au rôle de l’artiste aux côtés de l’Etat puis dans la deuxième partie il sera question de la culture du point de vue du diplomate et des politiques culturelles nationales. La troisième partie traitera de l’entrepreneur et de l’industriel pour montrer les enjeux de ces productions. L’ouvrage comprend un certain nombre de cartes en annexe ainsi qu’un index.
Géopolitique des artistes et première moitié du XXème siècle
Le premier chapitre présente les fondements de la notion d’art national. Très tôt les artistes sont associés à des pays alors que leur démarche est le fruit d’inspirations multiples. Au début du XXème siècle, on considère donc qu’il existe un art italien ou allemand qui exprimerait le génie de la nation. Le deuxième chapitre envisage trois conceptions de l’art national entre 1920 et 1940 à travers l’exemple de la France, des Etats-Unis et de l’Allemagne. A cette époque, Paris est un aimant pour tous les artistes. Les Etats-Unis se caractérisent par le melting-pot tandis qu’en Allemagne c’est l’époque de la lutte contre l’art dégénéré. Pour élargir le propos, on part ensuite en direction des modernités « périphériques ». Le Japon et la Perse intègrent la peinture à l’européenne pour définir leur accession en tant que nations autonomes au jeu international des modernités. De leur côté, le Brésil et l’Argentine tiennent à distance la peinture à l’européenne en choisissant d’utiliser des motifs indigènes préhispaniques. Les auteurs développent notamment le cas des artistes muralistes et soulignent leurs ambiguités.
Modernités en temps de guerre froide et de décolonisation
Pour la guerre froide on a tendance à opposer le réalisme socialiste à la liberté créatrice présente aux Etats-Unis. Or ce récit est aujourd’hui contesté et il faut plutôt déjà parler d’un monde multipolaire. Il faut aussi revenir sur cette idée d’un déclassement de Paris à l’époque. Quant à l’histoire de l’art en Europe de l’Est, elle reste très largement à écrire en revisitant par exemple l’idée d’uniformité du réalisme socialiste. Des artistes comme Willi Sitte ou Werner Tübke sont ainsi à reconsidérer. Le chapitre envisage ensuite le cas des pays arabes en insistant sur leur diversité.
De la géopolitique de l’art à l’art géopolitique
Deux phénomènes majeurs sont à considérer : l’arrivée de nouveaux acteurs porteurs d’une histoire jusque-là minorée et l’émergence d’un art pour lequel les questions géopolitiques sont devenues la matière même. Dans l’histoire, un évènement comme un conflit ou un traité de paix a pu donner naissance à une oeuvre d’art comme le montre la colonne de Trajan.
Politiques de la culture dans le monde
Dans cette deuxième partie, il s’agit d’abord de considérer les rapports entre culture et politique à l’échelle internationale et transnationale depuis 1945. L’art et la culture sont aussi abordés en terme de rapports de force. Il s’agit donc de voir l’usage qui est fait de l’art et de la culture par des pays. Depuis longtemps la France a utilisé la culture comme moyen de politique étrangère. Le chapitre suivant propose d’abord une brève histoire du système culturel international. La culture de la société de consommation est un des domaines de la Guerre froide comme le montre le jazz. Puis c’est l’époque de la décolonisation et une ville comme Alger est alors un résumé des contradictions de l’époque : plusieurs options s’affrontent comme le panafricanisme ou encore le panarabisme. Ensuite c’est la mondialisation et enfin aujourd’hui une interrogation sur celle-ci.
De la diplomatie culturelle au nation branding
Ce chapitre précise le sens de mots ou expressions qui ne sont pas tous équivalents. C’est l’occasion aussi de préciser quelques éléments chronologiques. Ainsi on constate que la diplomatie culturelle de la France n’est jamais aussi forte qu’au lendemain des conflits. Ensuite des termes comme soft power ou nation branding sont expliqués. Les auteurs parlent aussi des travaux de Frédéric Martel qui a mis en évidence la capacité des Etats-Unis à s’adresser au plus grand nombre.
Acteurs étatiques et acteurs non étatiques
Par les lois qu’ils font ou les mesures de soutien qu’ils développent les Etats demeurent des acteurs majeurs. La partie développe trois exemples à savoir celui de la France, des Etats-Unis et de la Chine. On constate la multitude d’organismes impliqués et cela tend aujourd’hui à être plutôt vu comme un point de faiblesse. La France est en train de réduire et de redéployer ses moyens. La France, puissance moyenne, tente de conserver une ambition globale. La Chine de son côté s’ouvre avec prudence en n’autorisant qu’une trentaine de films étrangers chaque année. Il faut aussi envisager les organisations internationales ou supranationales. L’Unesco balance entre universalisme et différentialisme et c’est grâce à la Chine que la publication du Courrier de l’Unesco a pu reprendre en 2017. Ensuite les acteurs non étatiques sont abordés, que ce soit les villes ou les collectivités territoriales. C’est l’occasion aussi de parler de la stratégie menée par le Louvre à l’international. Il faut aussi considérer la politique des fondations comme l’exemple de la fondation Ford en Europe pendant la guerre froide.
Economie et géopolitique de la culture
Dans cette troisième partie, les auteurs abordent entre autres l’exemple devenu emblématique de la ville de Bilbao et du musée Guggenheim. A travers cet exemple il faut surtout mesurer qu’art et économie longtemps considérés comme opposés peuvent en fait fonctionner ensemble. On trouve ensuite quelques indices de puissance de sept pays parmi les plus riches. On voit la difficulté de mesurer ce domaine et les critères possibles sont multiples ce qui peut générer autant de classements différents. Les auteurs précisent ensuite quelques caractéristiques du marché de l’art, l’importance de l’économie du star-system ou le rôle du marketing de la culture. On mesure enfin la culture face à la barrière des territoires. Ainsi on voit les spécificités de certains cinémas comme le cinéma indien. Le film « masala » repose sur les caractéristiques d’un film de divertissement mélangeant amour, humour, action, drame…tout en se terminant par un happy end.
Quelques spécificités sectorielles : des arts vivants au jeu vidéo
On organise en France plus de deux mille festivals par an rien que pour le secteur de la musique. Le marché des arts plastiques se caractérise lui par son internationalisation et le rôle des galeries. Le tour d’horizon permet aussi d’aborder la question des musées ou celle du patrimoine reconnu au titre de l’Unesco. Dans le domaine de la musique le streaming a tout changé. Les jeux vidéo sont aussi traités et c’est un secteur où la moitié du chiffre d’affaires est généré par les pays asiatiques.
En conclusion les auteurs rassemblent plusieurs points. L’art et la culture sont les moyens d’un soft power de théorisation récente mais de pratique ancienne. L’art n’est pas seulement un des instruments au service du prestige d’une nation, il est l’un des modes de représentation de celle-ci. Une nouveauté est l’apparition d’un art en lui-même géopolitique. Les Etats restent des acteurs culturels majeurs et tous les pays aspirent à jouer un rôle sur la scène internationale. Au niveau économique enfin une distinction doit être faite entre des secteurs d’activité très dépendants de la subvention publique et d’autres qui voient avant tout dans la puissance publique un régulateur.