Aussitôt qu’est évoquée l’histoire de la folie, le nom de Michel Foucault revient tel un repère inamovible. Claude Quétel se propose de considérer la folie autrement qu’à travers le prisme foucaldien dans un ouvrage qui s’appuie sur un travail d’archive sans précédent et rétablit certaines perspectives absentes des travaux de Michel Foucault.

De la « maladie de l’âme » aux névroses et aux psychoses, des temples d’Asclépios aux « HP », de l’ellébore aux thérapies cognitives comportementales, l’auteur écrit ici une histoire de la folie sur une période historique qui couvre de plus de 2000 ans.

Claude Quétel, ancien directeur de recherches au CNRS, est un historien spécialiste de l’histoire de l’enfermement et de la psychiatrie. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire de la médecine et sur l’Ancien Régime.

L’écriture de l’histoire de la folie appartient aussi bien à l’historien qu’au médecin, au psychologue, au philosophe, au psychanalyste, au sociologue, chacun ne voyant midi qu’à sa porte. Paradoxalement, puisqu’il s’agit d’histoire, ce sont les historiens qui se sont le moins penchés sur la question.

Et s’il n’y avait pas de date fondatrice dans l’histoire de la folie ?

Claude Quétel se pose dans son ouvrage, des questions d’historien : Et s’il n’y avait pas de date fondatrice dans l’histoire de la folie ? Et si les fous pathologiques et reconnus comme tels étaient là eux aussi depuis toujours, aussi anciens que l’humanité elle-même ? Et si depuis toujours on avait d’abord et essentiellement cherché à soigner les fous ? Depuis quand et sous quelle forme, la folie-maladie a –t- elle été distinguée de la folie, antithèse de la raison et de la sagesse ?

L’antiquité et les fondements de la folie

C’est la Grèce classique qui, la première, a longuement réfléchi sur la folie, sur la maladie de l’âme. Existe –t-il des civilisations ou des sociétés, même premières sans fous ? s’interroge l’auteur.

Il consacre quelques pages aux civilisations qui ont précédé et influencé la Grèce où les fous sont soignés par des « prêtres-médecins » au milieu d’un déploiement religieux, de jeûnes, d’ ablutions de purifications et d’onctions. Dans la médecine babylonienne et dans la Perse ancienne toutes les maladies sont commandées par des démons et le traitement fonctionne sur le modèle magico-religieux. La Grèce archaïque fonctionne également sur ce modèle subissant en cela l’influence de la médecine égyptienne.

L’auteur nous livre d’intéressantes réflexions sur la folie à travers la mythologie et les poèmes homériques de la très ancienne Grèce. Elle est le plus souvent un châtiment envoyé aux hommes en proie à la démesure. Dans le monothéisme Dieu envoie la maladie et la folie pour punir ses créatures. L’amalgame « fou-impie » n’a pas fini de peser sur la tradition judéo chrétienne.

Il est difficile de savoir quel sort était réservé aux « vrais » fous dans un environnement moins tolérant que celui des civilisations polythéistes, qui excluait et réprimait les pratiques magiques. Chassés de leur communauté, se cachant dans les bois pour y mener une vie sauvage, nombre de ces fous donnent naissance au mythe de la lycanthropie (« loup-homme », le futur loup-garou).L’auteur étudie ensuite des exemples tirés de la Bible, du Nouveau Testament pour clore ce premier chapitre.

Tandis que parallèlement le magico religieux continue de cheminer, la philosophie s’invente elle-même. Les philosophes passent de la cosmogonie (Qu’est ce que l’univers ?) à l’anthropologie (Qu’est ce que l’Homme ?). Ils étudient la nature, l’organisation des corps, l’origine des maladies. La notion de maladie de l’âme repose sur une double prise de conscience : philosophique et médicale.

L’auteur étudie des pages du Timée de Platon où est étudiée la déraison ou démence. Platon et Aristote prennent en considération les rapports du physique et du moral dans l’explication des penchants des actes humains. Chez les philosophes grecs on distingue une folie mauvaise et une bonne qui peut être créatrice .Délirer c’est donc au sens étymologique de delirare, sortir du sillon, soit en divaguant soit en prophétisant.

Le chapitre III , intitulé « la tradition hippocratique », nous explique ce qu’Hippocrate doit aux prêtres médecins et philosophes qui ont réfléchi à la médecine avant lui. Il fut cependant le premier à séparer la médecine de la philosophie. L’auteur nous commente les troubles mentaux tels qu’ils figurent dans le corpus hippocratique en insistant sur la réflexion moderne qui s’y trouve au sujet de l’épilepsie par exemple. Ensuite il consacre quelques pages aux continuateurs d’Hippocrate et aux différentes écoles qui sont nées et se sont opposées alors. Il nous montre comment les concepts définis dans la somme hippocratique ont évolué au cours des siècles suivants, s’affinant mais aussi se compliquant.

La richesse de la réflexion théorique des Grecs et des Latins a abouti à une, non moins riche élaboration thérapeutique, décrite dans les traités d’Hippocrate. A partir du III° siècle après J-C, c’est un véritable arsenal thérapeutique qui est à la disposition des médecins. L’auteur nous commente quelles étaient ces médications du corps et de l’âme.

La réponse médicale à la folie ne nous éclaire guère sur la réponse sociale nous dit- il. L’isolement d’un malade s’entendait à titre privé, au sein d’une famille. Il n’y avait pas d’hôpitaux ni d’asiles pour cela. Ce devait être assez fréquent pour que les plus grands médecins y consacrent des traités entiers.

La pratique de la folie au moyen-âge et à la renaissance

La réflexion théorique sur la folie ne progresse guère au Moyen –âge. Il faut attendre le XI° siècle pour que les traductions de l’arabe redonnent vie à la réflexion théorique médicale, et par suite à la folie. L’auteur évoque les théologiens avec les théories de Saint Thomas d’Aquin et les médecins, tandis que se multiplient les écoles de médecine (Montpellier au début du XIII° siècle, dans de très nombreuses villes d’Italie au XIV° siècle). Il nous résume ce que nous dit le discours médical sur les troubles mentaux à partir de cette période et dans les siècles qui suivent. Peu désireux de s’attirer les foudres de l’Église, les médecins évitent de se poser le problème de l’âme en termes médicaux.

La folie des traités médicaux n’est pas celle que supporte concrètement la société. Quelles sont les pratiques de l’Occident médiéval à l’égard de la folie ? La charité et l’assistance sont deux valeurs centrales de la chrétienté médiévale.

C’est dans cet esprit évangélique que naît « l’hôpital ». A partir des XII° et XIII° siècles, les fondations hospitalières se multiplient en même temps que les villes se développent. Des ordres hospitaliers sont créés dans ces grandes villes où ils accueillent des indigents et des fous…

L’utopie de la charité entrera en contradiction avec la pratique sur le terrain et les contraintes financières. Le surpeuplement et la nécessité d’une rotation conduira à limiter voire refuser l’admission de certains patients dont les fous qui « gèlent » des lits et demandent une ségrégation des locaux.

Une ébauche de spécialisation des locaux s’esquisse à partir du XIV° siècle ainsi qu’une laïcisation de la fonction et une plus grande médicalisation. En revanche nous dit Claude Quétel, le médecin n’est guère présent dans l’hôpital médiéval. Il n’est pas une figure centrale de l’institution. Il faut le chercher en « ville » se réservant à une minorité payante ou au service exclusif de quelque puissant personnage.

L’auteur énumère ici toutes les médications en vigueur, les méthodes fortes employées parfois, ainsi que la vogue des pèlerinages thérapeutiques. C’est un tableau haut en couleur et tout à fait effrayant que celui d’un pèlerinage thérapeutique de la folie au Moyen-âge dépeint ici par l’auteur.

L’auteur se demande ensuite comment les fous étaient supportés au quotidien par la société médiévale. Dans un milieu très majoritairement rural il existait une relative tolérance envers ceux qui étaient capables d’accomplir quelques travaux saisonniers. En fonction du degré de folie, du comportement, les fous sont enfermés par leur famille dans une grange, un cabanon au fond du jardin par exemple. Si la parentèle possède quelque argent elle confie le fou à une communauté religieuse. Les abbayes cisterciennes s’en étaient fait une spécialité.

L’auteur consacre quelques pages aux fous errants et « sans aveu » (sans être reconnus par qui que ce soit) qui au XIII° siècle étaient chassés et expulsés des grandes villes dans une économie à la limite de la survie. L’emprisonnement des fous très dangereux n’est qu’exceptionnel et concentré dans les derniers siècles du Moyen-âge.

L’auteur souligne au passage le contresens en vigueur à propos de la contention des fous furieux et de leurs conditions d’enfermement. Contresens véhiculé par les philanthropes de la fin du XVIII° siècle qui ne repose sur aucune connaissance historique valable.

La question de la folie se pose aussi en cas de suicide, crime sacrilège au Moyen-âge, qui entraînait la confiscation des biens de la famille. On comprend pourquoi les familles s’évertuaient à démontrer la folie du parent ainsi disparu.

Dans le chapitre III l’auteur nous commente les représentations et récupérations de la folie à travers la littérature (roman courtois), les « bouffons » du roi, les fêtes des fous, véritables institutions dès les premiers siècles du Moyen-âge. Il évoque également les allégories, la folie récupérée par la chrétienté médiévale dans son acception métaphorique.

Cette seconde partie s’achève sur « folie et religion » : folie assimilée au péché ou, à l’opposé la folie mystique qui conduit parfois aux « fous de Dieu », le Moyen –âge étant plein de ces pseudos messies et faux prophètes.

L’auteur consacre quelques pages ensuite à la folie associée au démon lorsque le paysage sociétal et religieux change dans les derniers siècles du Moyen –âge : Inquiétude d’une fin des temps qui s’empare de cette civilisation, montée des hérésies, création en 1231 d’une juridiction d’exception, l’Inquisition. Bon nombre de fous brûlent alors sur les bûchers.

L’enfermement des insensés

Le premier chapitre « L’évangile selon Foucault » est une réfutation des thèses de cet auteur. Claude Quétel y reprend point par point les contresens, les postulats faussés, les contradictions ,les anachronismes, les amalgames qui sous tendent la démonstration de Michel Foucault.

Quétel rétablit la vérité historique à partir d’un travail d’archives très fouillé et d’une connaissance historique qui replacent les événements et les idées dans une rigoureuse chronologie seule garante d’une démarche intellectuelle fiable.

L’auteur étudie ensuite ce coup de tonnerre qu’aurait été la fondation de « l’Hôpital Général » de Paris en 1656.En quoi les insensés auraient -ils été directement concernés ?
Il nous rappelle le problème de l’enfermement des mendiants suite à l’interdiction d’errer et de mendier quand on est valide surtout dans la première moitié du moyen âge, les malheurs du temps ayant fait se multiplier les pauvres dans toute l’Europe.

En France la question est d’autant plus importante que c’est le pays le plus peuplé d’Europe au début du XVI° siècle. Paris est d’autant plus envahi de mendiants qu’il en vient de tout le Royaume en 1534.Des hôpitaux sont fondés dans des villes de moyenne importance, des aumôneries, puis dans ce contexte apparaît l’Hôpital Général de Paris. L’auteur nous signale les problèmes auxquels devait faire face cet Hôpital, ses difficultés qui le vouaient à l’échec dès le départ.

L’enfermement des errants dans des lieux où se conjuguent l’assistance et la répression est un phénomène largement européen. L’auteur nous fait part de ses recherches sur l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne, les Provinces –Unies.

Dans les pages suivantes Claude Quetel examine la question des fous dans ces hôpitaux. Au départ ils n’étaient pas différenciés des autres indigents. Peu à peu ils seront logés à part. L’auteur donne des chiffres, cite des documents d’archives sur La Salpêtrière, Bicêtre, l’Hôtel Dieu….qui replacent dans leur contexte les conditions de vie ou plutôt de survie dans l’internement des insensés à cette époque. Il étudie également cet internement dans les hôpitaux généraux de province puis la faillite de l’institution jusqu’au milieu du XVIII° siècle.

La nécessité de créer des relais dans l’enfermement s’est ainsi imposée au pouvoir Royal : création de dépôts de mendicité, de maisons de force. Les insensés non indigents et non errants vont se voir absorbés dans la spirale des demandes d’enfermement, des lettres de cachet à la demande des familles.

Qui est fou sous l’Ancien Régime ? Qu’est ce qui déclenche une demande d’internement ? Quelle part a la folie dans ces demandes ? Autant de questions auxquelles répond Claude Quétel ici. Au XVIII° siècle, face à l’échec de l’hôpital général et à la multiplication des lettres de cachet, l’administration royale va encourager la conversion de communautés religieuses en maisons de force.

L’auteur étudie la diversité et la complexité des lieux qui accueilleront alors les insensés : prisons, tours d’enceintes, pensions privées et civiles… il évoque la vie quotidienne dans ces maisons de force, très différente selon la pension payée de 200 à 1200 livres, les transferts à la demande des familles dans l’espoir que le changement amènera une amélioration mais le plus souvent parce que la pension, au fil des ans , paraît plus lourde.

C’est un autre relais de l’hôpital général que celui des dépôts de mendicité à la fin du règne de Louis XV dont nous parle Claude Quétel dans le chapitre 4 de cette partie. Quinze ans après leur création, ce sera un échec patent.

L’auteur nous commente ensuite l’esprit de réforme des dernières décennies de l’Ancien Régime, animé par le puissant mouvement philanthropique qui s’épanouit alors et par les progrès de la centralisation monarchique. A la fin de l’Ancien Régime, en France, les insensés sont internés un peu partout, dans l’attente d’un lieu d’internement spécifique. Ces réformes sont dans l’air, la psychiatrie institutionnelle est en train de naître.

L’invention de la psychiatrie

Pendant la Révolution qui survient en France à partir du 5 mai 1789, le terme d’Ancien Régime , vulgarisé par Mirabeau en 1790 , suggèrera une société obscurantiste et rétrograde en proie à l’arbitraire et aux injustices, annulant par là même les réformes entamées à la fin du règne de Louis XVI et allant même jusqu’à les occulter dans leur historicité.

Les cahiers de doléances sont unanimes à réclamer l’abolition des lettres de cachet. Des inspections eurent lieu qui démontrent que les internements par lettres de cachet étaient loin de constituer une majorité, les placements directs par les familles et les collectivités étant plus nombreux.

Les biens du clergé ont été mis à la disposition de la nation (novembre 1789) celle-ci prenant en charge l’assistance publique. L’idée d’une assistance publique laïcisée et alimentée non par la charité mais par l’impôt s’impose désormais. C’est ainsi qu’est créé le Comité de Mendicité au début de l’année 1790.L’auteur nous livre ici ses connaissances sur ce sujet à partir de l’étude des rapports et des conclusions de ce Comité.

L’abolition des maisons de force religieuses (autant dire toutes) achève de détruire le système de l’internement des insensés sous l’Ancien Régime. Un vide juridique s’installe. Pour lutter contre la divagation des insensés trois structures pénitentiaires civiles ont été prévues. On se rabat provisoirement sur les anciens dépôts de mendicité, appelés dépôts de sûreté ou maisons de répression en attendant que la folie soit prouvée mais les démarches longues aboutissent à pérenniser la situation. Les fous sont disséminés un peu partout comme aux plus mauvais jours d e l’Ancien Régime.

A Paris , les pensions privées prennent une importance considérable :la pension Belhomme accueillera nombre de têtes fortunées qui échappent ainsi au Tribunal révolutionnaire. La situation est critique et dramatique.
A la fin de la Révolution, réponse sociale et réponse médicale se méconnaissent mutuellement. C’est le juge in fine qui décide qui est fou, qui ne l’est pas ou ne l’est plus. Les soins donnés restent ceux préconisés par l’Antiquité (pharmacopée et bains).

Selon Claude Quetel, le XVII° siècle n’est pas une naissance (comme l’estime Foucault) mais une étape dans l’histoire de la folie. Une révolution de l’esprit s’opère avec Descartes et Spinoza. L’auteur nous fait part de toutes les réflexions et avancées des principales têtes pensantes du début du XVII° siècle en France et en Angleterre.

Le XVIII° siècle voit naître les conditions d’un nouvel esprit scientifique. C’est le siècle de Lavoisier et de Buffon, de Linné et de Cuvier qui entreprennent de mettre en ordre la Nature. Les médecins emboîtent le pas aux naturalistes et se risquent aux premières grandes nosologies , aux études cliniques.

La société du XVIII° siècle , celle de ses élites, plus que celle du siècle précédent , est en accord avec ses savants et s’intéresse à leurs recherches accessibles à un large public et non uniquement aux spécialistes. Qu’est-ce que la folie pour les encyclopédistes ? L’auteur esquisse des réponses à cette question avant de s’intéresser aux indications thérapeutiques en vigueur à cette époque. : saignées, transfusions, évacuants, bains de choc dans la rivière ou la mer, sédatifs, narcotiques….

L’électricité à peine née, le XVIII° siècle invente l’électrochoc. Au vaste panorama des thérapeutiques classiques s’ajoutent plusieurs médications qui paraissent aussi folles que la folie elle-même :les processions dansantes, l’extraction des pierres de tête ou pierres de folie que l’on retrouve dans l’iconographie des XVI° et XVII° siècles ( Bruegel l’Ancien, Jérôme Bosch)

L’auteur nous étonne en citant des remèdes tout à fait baroques et délirants en vigueur à cette époque. Il y évoque les empiriques qui concurrençaient les médecins par leurs recettes et leurs secrets .Peut on parler d’empirisme à propos de Mesmer (1734-1815) et du « magnétisme animal », première avancée scientifique en direction du développement ultérieur de la psychiatrie dynamique ?L’univers serait empli d’un fluide subtil qui mal réparti serait responsable de la maladie.

Parallèlement à ce que l’auteur a nommé rétrospectivement « le baroque thérapeutique »,chemine depuis l’Antiquité l’idée de remèdes moraux , de traitement relationnel avec le malade .Le terme de « moral » en matière de curation est ambigu et ne cessera de l’être tout au long du XVIII° siècle. La folie serait l’exacerbation des passions. On est responsable de sa folie comme on l’est de ses passions.

L’auteur évoque ici le modèle anglais, l’excellente réputation de l’Angleterre dans la guérison des fous. Nous y trouvons des informations abondantes et fondées sur les lois anglaises, les résultats obtenus, les théories des médecins les plus éminents de l’époque.

Dans le chapitre 3, « Bref retour sur Foucault », Claude Quétel revient sur la troisième et dernière partie de la thèse de Michel Foucault en repérant les glissements de sens , la grille d’analyse , les conclusions erronées à la lumière de solides données historiques.

Le quatrième chapitre de cette partie est consacré à Philippe Pinel, véritable artisan d la fameuse libération des aliénés de leurs chaînes mais aussi l’homme d’un livre : le traité médico -philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie ( 1800-1801) dans lequel est mentionnée « la visée qui surgit d’un traitement tenant tout entier dans le rapport de parole ».

Le dernier chapitre nous fait part du rôle de la thèse de Jean-Etienne-Dominique Esquirol dans la naissance de la psychiatrie.

Le siècle d’or de l’aliénisme

Tandis que débute la psychiatrie, la folie et son internement continuent dans un décalage total sur le terrain entre théorie et pratique. L’auteur dresse l’ état des lieux à la fin de l’Empire et sous la Restauration : en quoi une loi est-elle nécessaire ?

Un peu partout, depuis le début de la Restauration, on commence à réorganiser, agrandir, construire des asiles bien avant la loi de 1838 sur les aliénés que nous décrit et commente ici l’auteur avant de développer l’idée du boom asilaire en France à cette période.

Dans le chapitre « Les murs de l’asile » il nous dépeint les changements radicaux opérés au sein des asiles en matière de traitement des malades, d’organisation des journées, des activités ou travaux thérapeutiques devenus travaux tout court au fil des décennies, d’événements festifs organisés.

Les thérapies quant à elles, semblent suivre la continuité des décennies précédentes avec toutefois le développement de la chirurgie, de la psychochirurgie. C’est plutôt de garder les fous que de soigner les malades qu’il s’agit dans le siècle d’or de l’aliénisme. L’auteur nous explique qui était chargé de cette tache : les gardiens, les surveillants chefs, les médecins chefs ….

Dans le chapitre 4, l’auteur nous explique et nous démontre que les réponses institutionnelles n’ont pas été les mêmes dans le monde occidental. Il cite et commente l’exemple de la Belgique, des Pays- Bas, des pays scandinaves, de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Suisse, de la Russie, de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de l’Argentine, des Etats unis. C’est donc une étude comparative vaste, bien documentée et très réfléchie que nous offre Claude Quétel dans ces pages.

A la fin du XIX° siècle, la détérioration des asiles est rapide mais il survit car le moins performant des asiles est quand même pour les familles une solution en désespoir de cause. La réflexion théorique en France se détache dès lors de plus en plus de l’institution asilaire et de sa pratique. Elle y est centralisée dans la capitale et plus précisément à Sainte-Anne.

La psychiatrie de la seconde moitié du XIX° siècle et du début du XX° siècle affirme de nouvelles certitudes en multipliant les classifications, en créant de nouvelles entités (névroses, psychoses entre autre). L’auteur nous en dresse, dans ce dernier chapitre, un tableau complet dans lequel il commente les » travaux » sur l’hypnose de Charcot, les découvertes de Freud, les troubles mentaux de l’alcoolisme, ceux liés à la toxicomanie née de l’enthousiasme provoqué par l’arrivée des analgésiques et anesthétiques. Les « nouveaux territoires « de la psychiatrie sont aussi ceux du sexe et de la sexualité. D’autres médecins élargissent le concept de dégénérescence mentale en y incluant les poètes (! )et les psychoses de guerre.

Le temps du doute

On n’a pas attendu le raz de marée antipsychiatrique des années 1960-1970 pour s’apercevoir que l’asile ne guérit pas, nous dit l’auteur qui examine le phénomène sous l’angle de la statistique médicale dans les premières pages de cette partie de l’ouvrage. C’est un travail de recherche et d’analyse considérable et rigoureux que nous offre l’auteur dans ces pages.

A un long XIX° siècle de certitude, de foi dans le progrès et dans l’avenir, succède celui du doute et des remises en cause de toutes sortes. Les bouleversements radicaux des deux guerres mondiales, la révolution bolchévique influencent le mouvement des idées et les psychologies collectives.

Le refus de la guerre et de la civilisation qui l’a engendrée a donné naissance au dadaïsme. Le surréalisme se développe sur le terrain de la psychiatrie et s’émerveille des productions de l’inconscient. L’auteur évoque Breton. A cette époque la folie semble sortir de son ghetto aliéniste et l’art lui fait une petite place (« l’art psychopathologique et les fous littéraires »).

La psychiatrie en tant que concept global s’impose dans les années 1920 tandis que l’aliénisme s’efface. La neurologie, la psychologie clinique, la nouvelle théorie des constitutions apportent des modifications. La spécificité des faits sociaux, d’une vie psychique collective ainsi que la notion d’interaction s’appliquent aussi aux malades mentaux en conflit avec le milieu social.

Mais c’est surtout la psychanalyse qui va marquer le développement de la psychiatrie. L’auteur examine ici en quoi cette discipline a influencé la psychiatrie après en être née et il nous donne un aperçu des théories de Freud, contestées, des idées de Jung, de Lacan et d’autres spécialistes moins connus.

Claude Quétel consacre ensuite quelques pages au sort des malades mentaux pendant la seconde guerre mondiale dans lesquelles il commente la programmation de l’euthanasie des malades mentaux par les nazis, la situation catastrophique des hôpitaux psychiatriques dans les années de famine et de froid dus à la guerre.

Dans le chapitre 3, l’auteur traite de la révolution des thérapeutiques biologiques : neuroleptiques, tranquillisants ou anxiolytiques, le lithium. L’avènement de la psychopharmacologie va modifier radicalement la prise en charge des malades mentaux, permettant des cures ambulatoires capables de freiner les internements. Les psychotropes induisent cependant une dépendance avec de sévères syndromes de sevrage.

Le chapitre IV est consacré aux antipsychiatries. Une antipsychiatrie aussi ancienne que la psychiatrie nous précise l’auteur en nous donnant d’abondants exemples tirés de l’histoire, de la littérature, de la presse. Il replace le raz de marée des années 1960-1970 dans son contexte historique et social : crise des valeurs, révolte étudiante, luttes face au « Pouvoir »…

La contestation de la psychiatrie diffère en cela de celle qui a toujours accompagné l’histoire de la psychiatrie et qui ne visait qu’à en supprimer les défauts. Cette fois se pose la question de la relativité du normal et du pathologique. Thomas Szasz , l’un des pères de l’antipsychiatrie, part de l’idée que les gouvernements ont toujours conspiré contre leurs sujets pour les maintenir en esclavage : « A l’âge de la Foi, l’idéologie était chrétienne, la technologie était cléricale et l’expert était un prêtre, alors qu’à l’âge de la Folie, l’idéologie est médicale, la technologie est clinique et l’expert est un psychiatre ».

Ainsi va s’élaborer toute une explication sociologique de la folie. Les causes de la folie ne seraient pas à rechercher « dans « le sujet mais hors de lui, dans un système de relations et dans un environnement pathologique. Ce n’est plus le malade qu’il s’agirait de psychiatriser mais la famille et la société.

Cette folie bouc émissaire d’une société de la Raison trouve son point d’orgue avec la thèse , en 1961, de Michel Foucault qui occupe aujourd’hui quasiment tout le champ historiographique de la folie.

L’auteur évoque ensuite les antipsychiatres anglo-saxons, italiens pour revenir à la France de mai 1968 où la contestation psychiatrique se fond dans la révolution culturelle. Il traite du cinéma très influencé et inspiré par le mouvement antipsychiatrique, de la psychiatrie d’Etat utilisée en URSS.

Le dernier chapitre s’intitule « atomisation de la psychiatrie ».Au lendemain de la seconde guerre mondiale et avant la vague de l’antipsychiatrie, il n’est plus possible de regarder la folie et d’y répondre comme avant, nous dit Claude Quétel . La folie est au cœur d’une réflexion sur l’être et la liberté.

Ce qui change vraiment à partir des années cinquante c’est qu’on considère que l’hôpital ne doit plus être que le maillon lourd et provisoire d’une chaîne thérapeutique. Au sortir de ce nouvel hôpital psychiatrique , d’autres maillons sont prévus comme paliers vers la réinsertion dans la vie active.

Cette profonde révolution dans l’approche de la folie remet en question le concept même de maladie mentale. On parle de troubles de la personnalité. La notion de maladie est remplacée par celle de trouble. Une nouvelle classification s’impose en 1980 dans le monde occidental.

Le dernier chapitre intitulé « Crise ou déclin » nous montre comment la psychiatrie, toujours là, s’est faite plurielle, diversifiant ses approches. L’approche neurobiologiste conserve le vent en poupe. Nouvelle venue, l’approche cognitiviste connaît actuellement la plus grande faveur. C’est une psychologie expérimentale qui émet l’hypothèse que la pensée est un processus de traitement de l’information. Elle met l’accent sur l’importance des schémas inconscients de pensée et la manière dont des schémas dysfonctionnels (opinions, croyances) peuvent générer divers troubles mentaux.

L’approche psychanalytique, plus diversifiée que jamais se sépare de ces thérapies cognitives comportementales.
A partir des années 1990 se déchaînent des attaques en règle contre la psychanalyse. En 2002 ces attaques commencent à devenir féroces (Mensonges freudiens, histoire d’une désinformation séculaire de Jacques Bénesteau éditions Mardage).

Le thérapeute moderne se voit dépossédé de son savoir sur l’art de soigner et de se guérir par le patient lui-même qui fabrique lui-même sa cure personnelle en consommant de multiples psychothérapies de la même manière qu’il se nourrit de substances chimiques. Il existe une pathologie fin de siècle qui consiste en une boulimie de cures multiples, en une automédication permanente sur fond de désenchantement du monde, nous dit Elisabeth Roudinesco.

On parle aujourd’hui de la « guerre des psys » : l’effacement progressif de la psychanalyse dans le champ psychiatrique, le risque de disparition de la psychiatrie laminée entre les biologistes et les psychologues.

Guerre des psys, guerre aux psys , la psychiatrie nous dit l’auteur est actuellement en crise, bien plus gravement que dans les deux décennies antipsychiatriques. La demande de soins en France n’a cessé de progresser avec un nombre de lits en diminution constante. Selon l’OMS, la dépression deviendrait en 2020 la première cause d’invalidité dans les pays développés, devant les maladies cardio-vasculaires.

Est née une psychiatrie « interstitielle » faites de structures, de petits arrangements : réseaux de santé de proximité, équipes mobiles, points d’écoute, points santé, intervenants dont le rôle ne cesse de croître en matière de santé mentale.

Le champ psychiatrique de la santé mentale ne cesse de s’étendre : la famille, le travail, le chômage. On parle par exemple de « syndrome de l’épuisement anxio-dépressif de l’enseignant »..chaque catastrophe s’accompagne d’une cellule d’aide médico-psychologique…Il y a aussi le « management familial » qui n’est pas sans faire penser à Super Nanny de la télé réalité. Cette psychiatrie « tous azimuts », cette pratique qui tend à se trouver sollicitée dans des domaines de plus en plus périphériques inquiète les psychiatres.