C’est le second ouvrage de Julien Fargettas, docteur en histoire, il a consacré sa thèse aux Tirailleurs sénégalais de la Seconde Guerre Mondiale (IEP d’Aix / Université de Provence)1.

Comme l’auteur le rappelle en introduction l’engagement des troupes coloniales dans les conflits de la décolonisation a nécessairement une nature différentes de leur engagement dans les deux conflits mondiaux : Pouvait-on faire confiance à des soldats issus des colonies alors que le recrutement et les formes de guerre évoluent durant cette période ? Outre les sources militaires l’auteur s’est appuyé sur les témoignages des anciens tirailleurs.

En huit chapitres l’auteur traite d’abord de la seconde guerre et ses conséquences immédiates puis de l’évolution du corps des Tirailleurs et de leur engagement dans les guerres de la décolonisation.

De la gloire à la crise

Dans ce premier chapitre l’auteur rappelle rapidement le rôle des troupes coloniales dans la libération de la France sans oublier l’évocation des soldats libérés ou évadés qui avaient rejoint la Résistance. Il montre la méfiance envers les soldats de couleur manifeste dans ce qu’il est convenu d’appeler le « blanchiment » des troupes coloniales à l’automne 1944.

A propos de Thiaroye Julien Fargettas conserve le terme d’incident, on se souvient de la polémique qui l’a opposé en 2017 à Armelle Mabon à ce sujet. Cet épisode de la démobilisation n’est pas isolé, il témoigne d’un malaise croissant parmi les tirailleurs et la question est posée au sein du commandement militaire du devenir de ces troupes, traditionnellement chargées du maintien de l’ordre dans les colonies, par crainte de défections.

 

Le « dogue noir »

L’auteur rappelle que dans un premier temps les troupes noires n’ont pas été engagées en Indochine, elles sont pourtant présentes et utilisées en Algérie en 1945 mais aussi en Syrie, en 21947 lors des émeutes de Madagascar puis au Maroc, non sans brutalité.

 

Indochine, Algérie, les guerres coloniales

Le troisième chapitre débute par une analyse des conditions de recrutement des tirailleurs, désormais des engagés, surtout voltaïques et soudanais. L’auteur aborde l’engagement des régiments dans les guerres coloniales de manière assez descriptive : dates, lieux, effectifs, bilan humain mais aussi évaluation des « performances » des soldats et usage de la violence lors des représailles dans ces guérillas.

Confiance et méfiance

L’analyse des « incidents » dans les unités est faite à travers les rapports. L’auteur insiste sur la méfiance des officiers français d’autant qu’elle s’appuie sur une peur de l’Islam, notamment dans le contexte de l’engagement au Maroc et en Algérie.

Un paragraphe est consacré à quelques exemples d’indiscipline et de désertion ainsi qu’aux prisonniers du Viêt Minh.

On ne peut que regretter que l’auteur n’ai pas utilisé des témoignages africains comme ceux publiés récemment par Abdoul Sow dans Des tirailleurs sénégalais se racontent2 qui expriment le ressenti des tirailleurs.

 

« Amours » coloniaux

L’auteur évoque ici brièvement les rencontres avec des femmes blanches en métropole pendant les deux guerres mondiales et leur caractère « honteux » dans les textes militaires consacrés aux unions mixtes. Il décrit la situation des troupes en Afrique du Nord puis en Indochine où les relations avec les femmes autochtones semblent plus nombreuses malgré la méfiance du commandement et comment se pose la question du devenir des enfants métis nés des amours officiels ou tarifés.

 

Permanences et ruptures

Le chapitre six est consacré à l’évolution du statut et du quotidien des tirailleurs entre 1945 et 1961. L’auteur évoque la gestion en fonction de l’ethnie, un fait déjà évoqué par Jacques Frémeaux dans son ouvrage De quoi fut fait l’empire3 pour une période bien plus ancienne, un racisme qui se manifeste au quotidien, y compris dans les relations avec les populations arabes ou asiatiques et dont l’auteur donne quelques exemples. Il détaille aussi les évolutions dans la vie militaire : premiers parachutistes, européanisation de la tenue.

 

Un nouveau soldat africain

Il s’agit ici de voir quelles furent les conséquences de la loi Lamine Gueye du 7 mai 1946 sur la citoyenneté, ses lentes implications sur les troupes coloniales et notamment le décret du 19 octobre 1955 et l’africanisation des cadres qui prépare les futures armées des états indépendants.

 

Quitter l’Afrique, le cas de la Guinée et de ses soldats

Ce dernier chapitre au titre ambiguë concerne la Guinée et les conséquences pour les tirailleurs guinéens du choix du leader Sékou Touré au moment du référendum de 1958. Ce sont en effet environ 30 000 Guinéens qui sont engagés notamment en Algérie, une situation complexe que l’auteur décrit depuis les sources françaises, même s’il rappelle les conditions diplomatiquement difficiles de fin de service de ceux qui sont restés dans l’armée français après l’indépendance de la Guinée et le sort de ceux qui demeurèrent au camp de Rivesaltes dans les années 60.

 

Si Julien Fargettas ouvre un nouveau chapitre de l’histoire des tirailleurs, l’appui préférentiel sur les sources françaises en limite la portée en ne donnant que peu la parole aux principaux intéressés avant que leur témoignage s’éteigne au fond de la brousse.

——–

1Les tirailleurs sénégalais les soldats noirs entre légendes et réalites 1939-1945, Tallandier, 2012

2L’Harmattan-Sénégal, 2018, 407p.

3CNRS Editions, coll. Biblis, 2014, 588p.