La Revue Dessinée propose ce trimestre de décortiquer le mécanisme des fake news, de nous révéler à qui sert une base militaire dans la Meuse ou encore de montrer à quoi ressemble un monde où la vidéosurveillance est partout. Bref, la Revue Dessinée éclaire le lecteur et lève le voile sur notre monde sous contrôle.

Le campus des Saoudiens

Voici le secret le mieux gardé de la Meuse : des militaires saoudiens s’entrainent sur un site reconverti de l’armée française. Mais, surtout, ces militaires sont peut-être impliqués dans le conflit qui a lieu au Yémen. La situation apparait paradoxale lorsqu’on sait qu’officiellement la France appelle à mettre fin au conflit dans cette zone. Il faut aussi se souvenir que la France totalise 8 % des ventes d’armes dans le monde et qu’elle se diversifie aujourd’hui en vendant aussi des formations. La localisation dans la Meuse s’explique par le fait qu’en 2013 le 8 ème RA a été dissous ce qui a représenté alors une chute de plus de 13 % de la population de la commune de Commercy. Tout est fait pour recréer de l’emploi y compris par des montages  financiers avec un groupe belge, Cockerill, très lié à Gérard Longuet. Le reportage lève le voile sur des pratiques pour le moins douteuses.

Dans la famille rubriques, je voudrais ….

« Face B » est consacrée à Ennio Morricone et permet de découvrir que l’oeuvre de ce musicien ne se réduit pas à quelques musiques célèbres de films. Il en a certes composé tout de même plus de 500 mais il a aussi touché à tous les genres et a aussi composé de la musique classique.  Moins connu sans doute qu’ Ennio Morricone, le roller derby. C’est un sport de contact pratiqué majoritairement par des femmes. Lisa Blumen retrace l’historique de ce sport et prend le temps de nous en expliquer les règles assez complexes. Ce sport apparait également comme le symbole d’une féminité décomplexée. « La sémantique, c’est élastique » nous invite à réfléchir à l’usage surabondant du terme « logiciel ». Abuser de ce mot à tout propos est une façon de dissimuler une certaine vacuité du discours. « Instantané » revient sur une photographie de 2018 qui montre la rencontre entre les deux dirigeants de Corée. «  La revue des cinés » décortique ce qui est considéré par certains comme « le plus grand western de tous les temps », à savoir le film de John Ford «  La prisonnière du désert ». « Inconsciences » retrace l’histoire du DDT, ce produit d’abord jugé miraculeux pour lutter contre la paludisme. Cependant, après l’avoir répandu abondamment, on s’est rendu compte de ses effets négatifs. Les alertes, notamment lancées par Rachel Carson, n’ont pas été entendues au début. 

Partout, tout le temps 

Drones, développement des caméras dans l’espace public ou attentat de Nice, la question de la vidéosurveillance est de plus en plus présente. On découvre des cas parfois étranges comme la petite commune de Saint-Marc-Jaumegarde qui compte une caméra pour 50 habitants. Certaines communes n’hésitent pas, d’autant qu’une partie importante des coûts est réglée par l’Etat. Parmi les 50 plus grandes villes, seules trois n’ont pas encore cédé au système des caméras de vidéosurveillance. En 2012, il y avait 935 000 caméras dont 827 000 dans des lieux ouverts au public. Plusieurs faits montrent pourtant que ce système est loin d’être la panacée : souvent la vidéosurveillance ne lutte pas contre la délinquance mais la déplace ! Ce système n’a pas non plus empêché l’attaque contre Nice. D’autres projets se développent aujourd’hui autour de la reconnaissance faciale. Des associations comme « La quadrature du Net » tentent de lutter contre une utilisation abusive de cette technologie. On lira aussi avec intérêt le reportage consacré aux grands flics qui se sont reconvertis comme chefs de la sécurité dans de grandes entreprises. Leur salaire augmente considérablement tandis que les entreprises y voient une garantie de protection. Tout cela ne doit pas faire oublier les questions éthiques qui peuvent se poser car ces anciens flics disposent de carnets d’adresses qui peuvent leur permettre d’obtenir de précieux renseignements.  

Mauvaises aires

Maïa Courtois et Gaspard Njock ont enquêté sur les gens du voyage et sur l’accueil qui leur est réservé dans les villes. Très souvent, comme à Rouen, les espaces qui leur sont dédiés sont peu accueillants puisqu’on se situe à moins de 500 mètres de deux sites Seveso. Un juriste, William Acker, issu d’une famille de voyageurs, dresse un état des lieux assez consternant : dans 47 départements étudiés, 63 % des aires jouxtent des autoroutes ou des stations d’épuration. Il faut aussi savoir que la dénomination de « gens du voyage » est celle de l’administration, ce qui a tendance à uniformiser des populations pourtant parfois différentes. 

La mécanique du fake

David Servenay et Fabrice Erre s’emparent du sujet des fake news et livrent un reportage passionnant aux multiples entrées. Ils décortiquent par exemple les méthodes utilisées par le groupe SCL ou expliquent la méthode TAA ou analyse du public cible. Il est assez effrayant de constater que le but n’est pas de convaincre par des arguments mais bien de cibler un public que l’on peut faire basculer dans le camp choisi. Un exemple lié aux élections à Trinité-et-Tobago en 2010 est à cet égard très éclairant. Aujourd’hui, il s’agit de convaincre par une information fausse mais qui vous touche car elle est clivante. On reconnait bien là les méthodes employées par Donald Trump lors de l’élection de 2016. L’enquête aborde également le rôle de la Russie, les fake news liées à la Covid ou encore le documentaire «  Hold-up ». 

La Revue dessinée offre également un extrait d’un futur ouvrage consacré à l’histoire du nationalisme corse. Elle annonce aussi pour sa prochaine livraison une enquête sur le chlordécone aux Antilles ou la difficile restitution des objets d’art. Ce numéro est passionnant comme d’habitude et la Revue dessinée est désormais incontournable et attendue.

Jean-Pierre Costille