Qu’on ne s’y trompe pas, ce qu’on trouve derrière ce titre mettant en vedette le chien le plus stupide de l’Ouest est bel et bien une aventure de Lucky Luke d’après l’auteur belge Morris, sur un scénario de Jul et un dessin d’Achdé.

Aussi contemporain qu’une aventure d’Astérix, cet album s’empare d’une polémique de notre temps : la question de la consommation de viande… transplantée dans une paisible petite ville du Wild West via une guerre entre des brutes viandardes invétérées, un die hard veggie avec une ménagerie digne de Sylvain et Sylvette et une brochette de desperados. 

Contrairement à Astérix, Lucky Luke ne nous avait guère habitués dans sa version classique à aborder de grandes questions contemporaines. C’est sans doute là qu’est l’apport principal de Jul, dont je confesse que les pérégrinations préhistoriques et grecques avaient fini par me lasser tant je les trouvais prévisibles et khâgneuses en me désespérant de ne pouvoir communier avec l’enthousiasme julophile affiché par certains. Cette fois, je dois dire qu’on sourit beaucoup et que l’on se prend même à éclater de rire devant certaines situations et quelques jeux de mots toujours bien sentis et bien dosés.

La singularité des expériences posthumes d’Astérix et Lucky Luke réside sans doute dans la capacité à renouveler et à adapter les personnages, ce qui ne sera jamais possible pour Tintin dont les ayants droits ont fait d’autres choix. Le Lucky Luke qui en ressort aujourd’hui est sans doute plus adulte, plus moderne et certainement plus caustique qu’autrefois en demeurant toujours aussi mesuré que l’original. S’il n’avait pas un certain sens de l’humour, on le traiterait presque de centriste tant il semble à la recherche  d’un hypothétique juste milieu entre brutes salaudes et viandardes et gentils utopistes veggies virant au totalitaire …

Les inconditionnels des trois classiques francais et belges que sont Astérix, Tintin et Lucky Luke ne manqueront pas de reconnaître ou de croire reconnaître des clins d’œil, reprises de scènes ou de personnages, comme on fait ailleurs des reprises musicales. Ici l’arrivée du devin Prolix, plus loin les caprices d’Abdallah ou de Pépé Soupalognon y Crouton …

Il y avait déjà un goût de l’histoire – la vraie – dans les Lucky Luke originaux, agrémentés de documents en fin de volume. Or, les nouveaux épisodes ont souvent réussi à avancer avec la diffusion de l’historiographie. Les adeptes d’une mémoire figée et mythifiée qui leur tient lieu de connaissance historique hurleront à la réécriture de l’histoire comme ils ont pu le faire lorsque le précédent épisode – Un cow boy dans le coton – avait mis en scène un cow boy noir (le marshal Bass Reeves, 1838-1910) : la dénonciation du politiquement correct est le réflexe pavlovien du privilégié devant l’égalité et du réactionnaire devant les faits. En réalité, les derniers épisodes de Lucky Luke ne font que retrouver ces faits en remettant en selle une histoire tombée dans l’oubli, réécrite, décolorée et falsifiée par Hollywood. La bande de desperados de cet album compte d’ailleurs une femme et un cow boy noir à qui on ne donne pas un rôle spécifique de femme ou de cow boy noir. On respire. Oui, une importante minorité de cow boys était noire, d’un sur quatre à un sur cinq pour un emploi situé au plus bas de l’échelle sociale du Wild West. De même, les travailleurs du chemin de fer étaient-ils nombreux à ne pas avoir la tête de Dale Robertson (Ben Calhoun) dans Le cheval de fer (2e chaîne de l’ORTF, 1973) puisque beaucoup étaient chinois, une présence dont on tient compte dans cette dernière livraison de Lucky Luke.

Les Amérindiens sont là aussi et donnent l’impression que les auteurs ont voulu tout donner en se payant aussi une attaque indienne en règle. C’est d’ailleurs au moment où l’on croit voir ressurgir un stéréotype qui aurait échappé à la vigilance des auteurs que Jul nous surprend au détour de la page par une réplique qui fait un sort à un vieux cliché colonial. Comme personne n’est parfait, les lecteurs des éditions Anacharsis relèveront que les auteurs mettent tout de même le mot « papoose » dans la bouche d’un Comanche. Ce terme algonquin aujourd’hui aussi bien accueilli qu’un mot en N n’était peut-être pas nécessaire pour des enfants qui n’ont pas baigné dans John Wayne. Dire qu’on avait évité le cliché de la squaw ! 

 Certes, le moment d’un Lucky Luke est toujours très court quand on lit par ailleurs des livres à petits caractères, sans images avec des mots savants et des notes en bas des pages. Il est court mais c’est un bon moment.